45. La Démission d'un Faucheur, Première Partie

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12 juillet 1866

C'était l'été, les fleurs s'épanouissaient en étoiles de couleurs diverses et variées sur les buissons et les arbres. L'odeur si particulière de terre humide flottait dans l'air. Le sol de la forêt était jonché de mousses bien vertes, grouillantes d'insectes en tous genres.

Vincent demeurait dissimulé derrière l'écorce d'un chêne séculaire, en alerte au moindre frémissement. Il avait couvert ses cheveux châtains d'un béret à carreau marron et portait une veste de couleur similaire. Un faisan sauta soudain par terre, produisant un léger bruissement de plumes.

L'adolescent épaula la carabine et mit l'animal dans sa ligne de mire. Il l'admira un instant, prêt à tirer. L'oiseau arborait un magnifique plumage brun et doré, sa tête et son coup étaient d'un éclat bleu métallique. Il trouva de la satisfaction à observer cette créature, sereine, vulnérable, ignorante de la mort imminente qui planait.

Soudain, une main pesa sur son épaule. Le garçon sursauta, pivotant avec son arme en direction de l'intrus. Le faisan, effrayé, déploya ses ailes dans un bruissement tumultueux.

«Bonjour jeune comte.»

L'homme qui se dressait devant lui arborait un long manteau noir élégant, ses cheveux gris réfléchissant des éclats argentés. Vincent, tenant fermement sa carabine, se sentit troublé. Une intuition insaisissable lui murmurait que l'individu en face de lui n'était pas tout à fait humain.

« Qui êtes-vous ?

- Un ami de votre mère, Claudia Phantomhive », déclara le faucheur d'une voix calme et feutrée. « En quelque sorte. »

Un silence s'ensuivit.

Le visage méfiant de l'adolescent s'adoucit soudainement, laissant poindre un sourire d'une politesse enjôleuse, bien que teinté d'une légère fausseté.

- Enchanté ! Que puis-je faire pour vous ?

-Pourriez-vous m'escorter jusqu'à son manoir, jeune lord ?

-J'aurais volontiers été votre guide, mais je ne rentrerai pas sans gibier.

Un sourire malicieux, teinté d'une sinistre étrangeté, s'épanouit sur le visage de l'inconnu, tandis qu'il répondait d'une voix grinçante.

-Je vois, je vois, dans ce cas, je pourrais peut-être me joindre à vous ? Cette activité me semble divertissante.

Vincent observa les cicatrices qui marquaient le visage et le cou de cet étrange visiteur. Après un haussement d'épaules, il accepta.

- Si cela vous chante.»

Le visiteur s'évapora aussi brusquement qu'il était apparu, laissant le jeune comte dubitatif quant à la réalité de leur rencontre. Une demi-heure s'écoula. Vincent brandit fièrement le cadavre ensanglanté d'un lièvre qu'il venait de tuer.

«Il est fascinant d'observer ainsi la vie s'échapper de son hôte, n'est-ce pas ?»

Le faucheur venait de réapparaitre entre les buissons.

«Ses yeux sont déjà vitreux, bientôt les foies et le pancréas cesseront de fonctionner détruit par leurs propres sécrétassions de ferments et d'enzymes. Ses muscles vont se contracter et ce petit corps mou va se raidir.

-Vous semblez avoir beaucoup de connaissances sur ce sujet. Qu'est-ce que vous faites dans la vie ? Êtes-vous médecin ? questionna le comte en attachant les pates arrière du lièvre à sa ceinture.

L'homme inclina légèrement la tête vers le ciel, portant un de ses longs ongles gris à ses lèvres. Il observa l'adolescent du coin de l'œil, un sourire en coin se dessinant sur son visage.

-Mon travail est censé être tenu secret aux yeux des vivants.»

Vincent le regarda, interloqué. Que voulait-il dire ? Le visage de l'adolescent, ainsi empreint de curiosité et d'incompréhension, ressemblait à un peu celui de sa mère.

«Mais cette partie de chasse m'a beaucoup amusé, alors j'accepte de vous donner un indice. Les médecins s'occupent des vivants, mon travail, quant à lui, consiste à s'occuper des morts.

«Oh, alors vous êtes croque-mort ?

-Intéressant, c'est ce que vous pensez ?»

L'homme aux cheveux d'argent médita, un doigt toujours posé sur le devant de ses lèvres. Un sourire plus grand encore que le précédent se dessina sur son visage balafré.

«Oui, Undertaker, je suppose que l'on peut m'appeler ainsi.

-Vous ne m'avez pas encore montré vos butins. Votre chasse a-t-elle été fructueuse, Monsieur Undertaker ?»

L'homme ouvrit son manteau noir, découvrant une dizaine de perdrix, un ramier et deux renards. Vincent considéra impressionné l'importante quantité de gibiers.

***

Undertaker pénétra dans la pièce d'une démarche silencieuse.

Claudia, elle, occupait un fauteuil de velours, plongée dans un livre à la couverture effacée par les âges. Le temps avait laissé sa marque sur son visage, sculptant des pommettes plus anguleuses, parsemant quelques rides délicates aux confins de ses yeux. En revanche, sa chevelure indigo, soigneusement nouée en chignon, conservait sa lueur éthérée. Elle récita soudainement des mots à voix haute.

«'L'absence est l'image de la mort', qu'en dites-vous ?»

Enfin, elle leva ses yeux vers lui. Il demeura muet.

Leur silence s'étira, emprisonnant le temps dans une torpeur mélancolique, comme si l'atmosphère elle-même s'était alourdie.

Il observa le changement qui s'était opéré dans le regard de Claudia, une lueur éteinte, disparue.

La comtesse se leva, s'avançant vers lui, et il fit de même.

Sa joue rencontra la chaleur de son buste, ses bras se refermèrent autour d'elle.

Ils restèrent ainsi, deux âmes perdues retrouvées.

Une soudaine envie de remonter le temps de quinze ans naquit en lui. Il aurait aimé effacer la tristesse provoquée par ses années d'absence.

Il avait cru que sa vie serait meilleure sans lui. Il s'était trompé. Elle avait besoin de lui. Et lui, plus encore, avait besoin d'elle.

En vie.

L' Âme Maudite (Terminée) SebastianxOCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant