Chapitre 3.1

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"L'insomnie est une illusion de feignant."

Daniel Pennac (écrivain et romancier)



Incroyable, que je sois le seul mec dans cette baraque, c'est une chose, mais le seul de bonne humeur, c'est assommant ! J'avais l'habitude de voir trop souvent ma meilleure amie faire la moue ou avec de la tristesse au fond du cœur pour je ne sais quelle raison car de ce côté, elle a su rester extrêmement discrète. D'ailleurs, cela s'est trop souvent traduit par son apparence vestimentaire : l'adolescente gothique et révolutionnaire qu'elle est devenue, trahissait bien son malaise et j'ai toujours été surpris que sa mère ne reçoive pas le message subliminal qui lui était lancé.

Mais désormais je vais devoir cohabiter avec une autre fille qui ne semble pas mieux lotie que ma sœur de cœur. Lorsqu'elle est arrivée, ce petit bout de bonne femme m'a fait une drôle d'impression : à la fois de la douceur et une envie de mieux la connaître et de l'autre, ce regard éteint et presque agressif à certains moments qui cherchait à ne pas me laisser l'approcher. Ensuite, il y a son look : avec son chapeau, ses lunettes rondes et sa robe, évidemment tout en noir, cela ne surprend qu'à moitié. Mais après, ce sont ses grosses bagues à tous les doigts, toujours dans le même ton ou bien encore son maquillage peu discret que l'on aperçoit malgré les verres correcteurs : un vert argenté qui étire l'œil et un rouge à lèvres ébène, sur un teint de peau ultra pâle. Quant à son chat, je n'avais jamais vu un animal comme lui. Ce félin ressemble à s'y méprendre à une panthère miniature mais dont on aurait étiré les oreilles. Tous les deux donnent l'impression d'avoir été parachuté dans Charmed. Il ne lui manque plus que la marmite et la baguette magique pour me faire décamper de là, à fond ! Car aussi bête que cela puisse être, j'ai malheureusement tendance à avoir peur de toutes ces personnes qui touchent à l'irrationnel.

Enfin, celle que je surnomme la patronne ! Car si lors de notre première rencontre, elle s'était comportée comme une fragile petite grand-mère joviale, à notre arrivée, je l'ai plutôt trouvée autoritaire et grincheuse. Je ne sais pas à quoi elle ressemblait lorsqu'elle était jeune mais je plains son mari. Il n'a pas dû avoir une vie facile. Je sais ce que vous pensez : que pour quelqu'un qui est toujours de bonne humeur, je me montre très pessimiste. C'est vrai, vous n'avez pas tort, mais il faut dire que cela doit venir de l'atmosphère qu'il règne dans cette maison. En plein jour, avec le soleil, elle apparait comme une demeure paradisiaque mais lorsque le soleil se couche, alors l'ambiance change. On pourrait alors se croire dans un vieux manoir hanté. Entre le plancher qui grince, des toiles d'araignées en sous plafond, cet air qui s'infiltre partout sous les portes, un volet qui claque toutes les cinq minutes car probablement pas accroché comme il faut... Pfff, on est loin des logements que j'ai eu l'occasion d'habiter.

Après un rapide tour des lieux, l'adjudant-chef nous a laissé nous installer dans nos chambres. Mais ce qui me frappe le plus dans cette demeure, c'est le style totalement différent qu'il règne dans toutes ces pièces. Par exemple, la pièce qui m'a été attribuée, a été totalement refaite de A à Z. Du coup, j'ai droit à des murs peints de différentes couleurs mais tout dans les tons gris, très à la mode, ces dernières années. Là encore, de chaque côté de ce grand lit, des tables de nuit probablement achetées dans une grande enseigne de meubles. La parure de drap est blanche et grise tandis qu'un confortable fauteuil en similicuir noir se dresse près de la fenêtre. L'armoire qui occupe le mur faisant face à mon lit est assorti à ce dernier. Et malgré les lampes et le grand cadre accroché au-dessus de ma literie, cette pièce manque de chaleur.

Après avoir rangé mes affaires, je suis redescendu voir plus dans le détail, quelle avaient été les tâches qui m'avaient été attribuées pour ce jour. Et ho, surprise : il m'a fallu tondre la pelouse. Pour cela, j'ai dû m'enquérir auprès de la propriétaire, du matériel en sa possession et où il se trouvait rangé.

Elle m'a alors emmené dans le sous-sol de sa demeure. Et là, on peut dire que ce dernier est glauque. Car si comme dans bien des maisons, beaucoup de vieux meubles et cartons y sont stockés dans un amas de poussière et de grosses toiles d'araignées, dignes d'Halloween, j'ai vite repéré comme une grosse tâche de sang sur le sol. Et comme ce dernier est fait de sable et de gravier, je ne peux pas être sûr de ce que c'était réellement. Ma raison a d'ailleurs cherché à me prouver par A fois B que cela pouvait être tout bonnement de l'essence qui sert pour la tondeuse. Oui... mais...

Pour midi, avec Bellatrix, nous avons choisi de ne pas manger ici. Nous avions besoin d'un peu d'air. Et effectivement, qu'est-ce que ça nous a fait du bien ! Et pour une fois, les citadins ont eu envie de marcher et de s'aérer. C'est ainsi que nous avons emprunté un chemin de randonnée... et hop !

A notre retour, nous nous sommes arrêtés dans une épicerie à quelques kilomètres de la maison pour faire le plein en biscuits et autres saloperies sucrées. Mais quelle n'a pas été notre surprise, en passant à la caisse, de reconnaître notre co-locataire.

- Ah tu travailles-là ? Je ne savais pas !

- Ben oui, il n'y a pas de sous-métiers !

- Effectivement, il n'y a que de sottes gens. Ce n'était pas une critique. C'est juste qu'on ne le savait pas, c'est tout. Tu finis à quelle heure ?

Et si l'espace d'un instant, j'ai vu son regard se faire plus doux à mon encontre, alors que j'attendais sa réponse, la minute suivante, ses yeux reprenaient ce ton froid, qu'elle ne passe, un par un, mes achats contre son lecteur de codes-barres. Ce n'est qu'une fois avoir achevé cela, qu'elle m'a répondu.

- Je finis à 19 heures. Ça te fera, 12.38 € !

Et tandis que je règle avec ma carte bleue, je tente une dernière approche amicale.

- Tu veux qu'on aille voir Voldemort, quand on rentre ?

- Pas la peine, je l'ai laissé à la vieille.

- Hi hi hi, c'est comme ça que tu l'appelle, toi ? Moi, je l'ai surnommé l'adjudant-chef !

Tandis qu'un semblant de sourire s'affiche sur son visage, elle me confirme que ça lui va bien aussi.

Lorsque nous quittons le magasin, je ne peux pas m'empêcher de demander à Bellatrix pourquoi elle n'a pas participé à notre conversation mais celle-ci s'est totalement renfermée sur elle-même. Alors, je me fâche un peu.

- Tu pourrais faire un effort. Il vaut mieux bien s'entendre avec elle, en vivant avec, tu ne crois pas ?

Mais la têtue ne répond pas, bien sûr.

La musique maléfique...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant