Quand on travaille dans le milieu médical, on ne peut pas dire que l'on ait un rythme normal. Et ce qui nous avait rapproché, peu à peu nous a éloignés encore plus rapidement.
En effet, Bérangère s'est vue bientôt changée de service par l'infirmière en chef et avec nos horaires décousus, nous ne faisions plus que nous croiser. De mon côté, je me suis attaché à une patiente... Non, non, je sais ce que vous allez penser et cela n'a rien à voir.
Cette femme avait plus de quarante ans et toute sa vie, elle avait tout fait pour tomber enceinte. Malheureusement, à cette époque, nous étions encore aux prémices de la fécondation in vitro et pour cela, elle avait passé l'âge requis. Quelle n'avait alors pas été son immense joie, lorsqu'avec son mari, ils s'étaient présentés devant moi, avec un test de grossesse positif pour leur première échographie. Puis la troisième avait très rapidement succédé à la seconde. Il s'agissait d'un petit gars en pleine forme. C'était dans ces moments-là, que j'appréciais plus que jamais mon métier. J'allais aider ce couple à plonger dans le bonheur absolu...
Sauf qu'une semaine plus tard, alors que je lui avais conseillée de surveiller sa tension, madame a été hospitalisée d'urgence pour une prééclampsie. Malgré tous mes efforts, il a fallu lui faire une césarienne. Je me rappellerais toute ma vie, lorsqu'on lui a dit ce qu'on allait faire, elle a éclaté en sanglot et m'a supplié de ne pas le faire. Elle préférait se sacrifier afin que son marié ait enfin ce bébé qu'il avait tant désiré. Je lui ai alors expliqué, que cela ne fonctionnait pas comme cela. Tous les deux risquaient de mourir. L'opération s'est bien passée et le prématuré a, aussitôt, été placé en unité de réanimation néonatale.
Pendant dix jours, j'ai passé beaucoup plus de temps auprès de cette maman qui essayait de remonter la pente et éviter la dialyse et ce si petit être sans défense, branché à une machine qui était chargée de remplacer ses poumons jusqu'à ce que les siens puissent prendre le relai.
Mais alors que je venais d'annoncer la bonne nouvelle à ma patiente : ça y était, le petit Grégory était sauvé, j'avais donné ordre au personnel de le débrancher de cette machine dont il n'avait plus besoin, quarante-trois minutes plus tard, on venait m'apprendre que par manque de personnel, l'ordre n'avait pas été suivi dans les temps. A cause qu'une gourde soi-disant débordée, ne sache pas faire les choses par ordre de priorité, un bébé était mort ! Le dernier espoir de ces gens venait de partir en fumée...
Je suis sans doute trop sensible et n'aurais pas dû faire ce métier. Lorsque je suis entrée dans la chambre où était alité la maman, j'ai ressenti comme un terrible coup de couteau dans le cœur. Vous l'auriez vue, tandis qu'elle tenait la main de son mari et venait de lui annoncer que ça y était leur petit était sorti d'affaire, ce magnifique sourire de bonheur. L'espace d'un instant, j'ai failli repartir sans rien leur dire. Mais je ne pouvais pas attendre plus et les laisser dans cette fausse joie. J'ai alors essayé de choisir mes mots pour expliquer l'inexplicable. Ma patiente s'est alors mise à hurler comme si je venais de l'égorger. Sa peine était tellement forte, qu'elle s'est subitement tenue la poitrine tout en continuant d'émettre comme une sorte de mugissement. Tout s'est joué en quelques minutes. Lorsque mon équipe est arrivée sur place, elle avait déjà perdu connaissance et ne respirait plus. Son cœur brisé par le chagrin avait cessé de battre. On appelle ce phénomène la mort subite d'origine cardiaque ou MSOC. Je n'avais rien pu faire ! Quant à son mari, avant même que je ne réalise ce qu'il venait de subir, il avait quitté la pièce. J'ai appris le soir-même par les flics, venus faire une rapide enquête, qu'en sortant d'ici, il s'était jeté sous le premier train qu'il avait vu !
Comment croyez-vous que même un médecin puisse gérer ça ? Moi, en tout cas, je n'y suis pas parvenu. J'ai pris tous mes congés qui me restaient et suis parti me réfugier, en haute montagne, dans le chalet que m'a prêté un ami. Pendant dix jours, je n'ai pas dessaoulé. Je n'ai pas eu la force de répondre au téléphone et avais fini par le laisser éteint. Certains diront que je suis un caractère faible... Peut-être ! Dés que l'alcool ne faisait plus son travail, je repensais à toute cette merde. Je suis devenue médecin pour sauver des vies, pas pour les perdre d'une manière aussi tragique. Jamais je ne pourrais oublier cette joie sur le visage de ma patiente. C'était une gentille femme qui avait le cœur sur la main, alors si le bon Dieu existe vraiment, pourquoi lui avoir infligé une telle souffrance ? Comment leur famille a-t-elle pu gérer ça ? Le fils, Grégory, 11 jours – sa maman, Géraldine, 42 ans – son papa, Gabriel, 44 ans. Ce dernier, lors de la dernière échographie, m'avait avoué que sa propre mère était si heureuse de prendre un grade supplémentaire, depuis le temps qu'elle désespérait de parvenir à l'être un jour.
Un mec ça ne pleure pas ! Voilà ce que m'a toujours dit mon vieux ! Alors pour ne pas lui désobéir j'ai débouché la bouteille de trop. Quand ma chère compagne est parvenue à ce que mon pote lui avoue enfin où j'étais, elle a pris sa voiture, furieuse, et en un temps record, elle est arrivée sur place. Comme je n'avais pas fermé à clefs... à quoi bon ! Elle a pu me trouver encore en vie mais dans un sale état puisque j'étais tombé dans un coma éthylique. J'avais inconsciemment voulu boire jusqu'à en mourir.
En plus de sa formation d'infirmière, ma Bérangère avait également suivi un stage de secouriste. Elle a donc parfaitement géré la situation et m'avait ramené à la vie ... et à l'hôpital ! C'est depuis ce temps que je suis devenu un alcoolique. Sur mon lieu de travail, j'étais toujours soft, mais dés que j'avais achevé ma garde et que je rentrais chez moi, je buvais. Pas cinquante verres, non, non, juste quatre ou cinq mais toujours de Whisky, Vodka ou Armagnac... bref, jamais rien en-dessous de quarante degrés.
Et ce qui devait arriver, arriva ! Nous nous sommes de plus en plus disputés puis elle a disparu. Oui, oui, du jour au lendemain. A l'hôpital, j'ai appris par hasard que ma compagne avait donné sa démission la veille au soir et quand je suis rentré, toutes ses affaires avaient disparues.
Cela m'a fait un véritable électrochoc ! Dix-huit mois après ma descente aux enfers dont elle m'avait sauvée, elle m'a quelque part, à nouveau sorti du trou où je m'enterrais peu à peu vivant. Ce jour-là, je lui en ai tellement voulu, que j'ai pris conscience de la merde que j'étais devenue. Je me suis inscrit aux alcooliques anonymes et même si cela m'a pris longtemps, je suis arrivé à redevenir soft... Un mec bien, quoi ! Sauf que l'amour de ma vie avait totalement disparu.
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La musique maléfique...
Mystery / ThrillerBellatrix est une brillante étudiante qui a toujours baigné dans le monde des livres. Pour parvenir à ses objectifs professionnels, elle surenchérit encore et toujours. Une vie sentimentale ? Aucune ! Une vie de famille épanouie ? Que nenni ! Des lo...