"Ce qu'il nous faut, c'est la haine. D'elle naîtront nos idées."
Jean Genet – romancier (1910-1986)
(Bérangère)
En cet instant, il m'est difficile d'exprimer très clairement ce que je ressens tant ma frustration est intense. Mille blessures mentales viennent se greffer à mon malaise. Je crois que j'en veux au monde entier et même à Dieu, si ce connard existe !
Non mais franchement, comment peut-on me traiter aussi mal ? Tout ça parce que je commence à être vieille et que j'ai une saloperie de tumeur dans la tête ! Et alors, on ne sait pas ce qu'ils ont les autres dans leur cervelle mais parfois quand on voit leur attitude, moi je les trouve pire que moi.
Ah ça y est, avec tout ça, ma migraine vient de se réveiller. Comment il avait dit cet abruti de neurologue, la dernière fois que je l'avais rencontré, pour m'obliger à avaler ses pilules bleues ? A oui. La tumeur compresse un bout de mon cerveau et cela m'engendre des séquelles neurologiques. Je t'en foutrais moi des séquelles.
A cause de tout ça, mon mari ne me regarde même plus. Dans son regard, je ne vois plus que l'image de sa patiente à domicile. Et ça, je ne le supporte pas. Qu'est-ce qu'il fout toute la sainte journée avec cette pouffiasse qui s'est collée à nos baskets, pire qu'une tique ? Dès le premier jour, j'ai senti qu'elle allait m'attirer des ennuis cette petite conne. J'aurais dû être encore plus méchante avec elle. Je l'aurais ainsi découragée de rester. Mais très vite, j'ai compris mon erreur. Surtout quand Charles-Henry m'a annoncé qu'il s'agissait de sa petite cousine.
Rien qu'à cette pensée, je m'empare du vase délicatement posé sur le bord de la cheminée et le balance de toutes mes forces, contre le mur adverse. Quel dommage que ces temps, je perde de plus en plus ma force car je l'attraperais avec un plaisir sadique par les cheveux et la passerais à tabac, avant de lui poser le fer à repasser bien chaud sur le dos. De cette nana sans cœur ni loi, j'en ferais mon esclave !
Comme si ça ne lui suffisait pas de s'être incrustée chez moi, il faut que désormais, elle tente de me piquer mon mari. Je hais les dévergondées, qui sous le prétexte de se montrer toutes gentilles envers un homme, obtiennent tout ce qu'elles veulent. Et comme si cela ne suffisait pas, il faut qu'elle traine avec ce petit déluré en manque de famille. Mais qu'il s'en prenne à son arrière-grand-mère si je ne l'aime pas. D'ailleurs, à quoi bon aimer puisqu'un jour ou l'autre on est forcément déçu.
Mon sentiment envers ce vieux con qui se fait encore appeler mon mari est assez complexe. D'un côté, je sais que je l'aime encore. Il a toujours été l'amour de ma vie, même dans les pires moments. Quand nous avons été séparés, je lui en ai voulu et en même temps, j'ai tellement pleuré de l'avoir perdu... La torture a été lente et extrêmement douloureuse. Voilà pourquoi, je n'ai pas gardé le seul enfant que ce connard de Dieu avait décidé de m'offrir. C'est la seule période de ma vie que j'ai encore du mal à regarder en face. Tout cela est dur à encaisser, même pour une femme de ma trempe. Alors on tente d'oublier ces souvenirs.
Quand cette cousine s'est pointée en chemise d'hôpital, à l'entrée du bureau des infirmières, alors que moi-même j'avais achevé ma longue journée de boulot, j'ai été extrêmement surprise qu'elle me connaisse et s'adresse à moi. Elle n'avait que la peau sur les os et en même temps, j'ai bien dû accepter qu'elle ait hérité de la morphologie de notre ancêtre en commun. Cela m'a profondément agacée car moi j'avais pris le physique de mon père. Une fois de plus, j'ai eu l'impression que cette branche de famille était parvenue à nous voler quelque chose. La ressemblance est pour moi primordiale puisqu'elle prouve bien que l'on est le fruit de cet arbre de la vie qui nous appartient.
Evidemment, dans ces conditions, alors que je m'étais moi-même sacrifiée en rejetant à tout jamais ce petit être qui s'était collé au fond de moi, je n'allais pas non plus accepter de m'occuper de ce gamin maudit !
Si je n'ai jamais regretté de l'avoir laissé partir à la DDASS comme on l'appelait à l'époque, j'aurais dû le tuer, lorsqu'il est revenu et je l'aurais enterré dans le jardin. Ainsi, ni vue, ni connue, et Charles-Henry n'aurait jamais rien appris de cette histoire. Mais de quoi se mêle-t-il, ce docteur de pacotille qui n'a jamais voulu me soigner lorsqu'il était en service ? Il disait m'aimer, mais que savait-il de ce sentiment ?
Et aujourd'hui, comble de l'ironie, il me parle de testament ! Oui, il faut qu'il meure ! Il ne mérite plus de vivre. Il doit payer pour la souffrance morale qu'il m'inflige. Je préfère tenir le rôle de la veuve éplorée que celle de la cocue de service.
Je m'installe alors sur mon rocking chair tandis que de la main droite, je tiens ce poignard... Cette arme blanche, je l'ai achetée, il y a maintenant quelques semaines, dans le but de me défendre. Du moins c'est ce que j'ai affirmé au mec de la boutique. Et si au départ, j'envisageais de m'en servir contre la vermine que j'héberge, je sais désormais que cette lame de vingt centimètres me sera encore plus utile. Avec son double tranchant, je m'imagine déjà pénétrer le bout du couteau dans la chair et couper net la carotide. Hummm quelle jouissance j'éprouve à l'idée de lui faire payer sa trahison.
Quand on s'est marié, c'était pour le pire et le meilleur... Le meilleur, ça fait longtemps qu'il est parti. Désormais, mon amour, c'est le pire qui t'attend. Et crois-moi, je sens que tu va apprécier ma surprise à sa juste valeur ! Tu pourras ensuite hanter cette demeure pour l'éternité ! Car, dès que je le pourrais, je dégagerais d'ici. Mais pour le moment, j'ai encore quelques choses à régler avant ta mise à mort !
Pour le moment, je dois absolument me détendre car j'ai désormais un rôle très important à jouer...
Alors, tandis que je ferme les yeux, je fredonne ce générique qui a tant marqué ma jeunesse, mes débuts d'infirmières, cette douce époque sans soucis ou presque... Dans ces chambres d'hôpital pour enfants, tous les soirs, j'entendais la même mélodie tandis que ces pauvres petits patients riaient aux éclats devant les péripéties de Casimir ou de l'un de ses camarades...
« Voici venu le temps des rires et des champs. Dans l'île aux enfants, c'est tous les jours le printemps. C'est le pays joyeux des enfants heureux, des monstres gentils. Oui c'est un paradis. »
Hélas, combien d'entre eux, l'ont rejoint un peu trop vite ? Je n'étais pas faite pour ce service où on voit agoniser et mourir tous ces pauvres petits, d'en d'atroces souffrances... Au moins le nôtre n'aura pas connu ça !
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La musique maléfique...
Mystery / ThrillerBellatrix est une brillante étudiante qui a toujours baigné dans le monde des livres. Pour parvenir à ses objectifs professionnels, elle surenchérit encore et toujours. Une vie sentimentale ? Aucune ! Une vie de famille épanouie ? Que nenni ! Des lo...