Chapitre 16.2

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Comme nous en avons désormais pris l'habitude, c'est aux environs de 5h du matin que j'appelle mon papa de cœur. Pourquoi à cette heure ? Me demanderez-vous. Tout simplement parce qu'à cette heure-ci, la mégère dort à poings fermés et que nous avons donc notre petit moment à nous.

Si ces dernières semaines, l'autre croyant être parvenue à se débarrasser de moi était plus calme et menait la vie moins dure à Charles-Henry, ce matin ce dernier est à nouveau très nerveux.

- Que se passe-t-il ? Je sens bien à ta voix, que tu es perturbé.

- Hier, un mec s'est présenté à moi et m'a posé plein de questions.

- C'était un flic ?

- Non, il est détective privé et a été engagé par le frère de Kristen...

- Mais, elle n'était pas fâchée avec sa famille, quand vous vous êtes mis ensemble ?

- Exact, ils n'ont jamais encaissé qu'elle se mette avec un vieux. En revanche, il vient de m'apprendre quelque chose qui m'a pas mal secoué.

- Quoi ?

- Apparemment, elle était enceinte de trois mois quand elle est morte et je suis maintenant certain que c'était cela qu'elle avait prévu, le jour-même, de m'annoncer. Hélas, j'étais déjà l'amant de Bérangère. J'ai lutté longtemps contre nos retrouvailles mais je n'ai pas pu résister. Je l'aimais tellement mon ex... Que du coup, cela a flouté cette relation si zen et agréable que je menais avec Kristen. Et je n'ai rien vu ! C'est la deuxième fois que Dieu m'a enlevé un futur enfant. A croire qu'il ne m'a jamais pardonné de ne pas être parvenu à sauver ce prématuré...

- Attends, je ne te suis plus, là. De quel prématuré me parles-tu ?

- Je ne sais même plus si je t'ai dit qu'au début de ma carrière j'avais été gynécologue.

- Ah non !

- J'aimais pardessus tout mettre au monde des enfants. Evidemment, parfois, la nature m'en prenait un ou deux, trop fragiles pour résister à ce monde cruel dans lequel, ils se retrouvaient. Et puis, un jour, j'ai fait la connaissance d'un mignon petit couple qui s'aimait comme jamais je n'en n'ai vu comme ça. Leur plus grand malheur était de ne pas parvenir à avoir un enfant bien à eux. A cette époque, c'était le début des FIV. En collaboration avec un collègue plus spécialiste que moi dans ce domaine, après plusieurs tentatives, cela a fonctionné. Ils sont parvenus à attendre un joli petit garçon. Ce n'était pas le mien, mais durant chacune des échographies que nous avons pratiquées, mon empathie était plus forte. Tu aurais vu le regard de ces parents. Déjà dans ce cas, la plupart ont les yeux qui brillent d'excitation et de joie. Mais eux, c'était encore autre chose. J'avais parfois l'impression de les emmener au paradis. Mais voilà qu'au dernier trimestre de grossesse, la maman a fait une pré-éclampsie.

- C'est quoi ce truc ?

- C'est une hypertension dû au dysfonctionnement du placenta. Je ne rentrerais pas dans les détails, mais si on ne parvient pas à calmer ça, c'est la vie de la mère et de l'enfant qui sont en danger. Encore aujourd'hui, 5% des grossesses sont concernées.

- Et que s'est-il passé ?

Car du fait qu'il ressente le besoin de m'en parler, me montre clairement qu'il ne s'en est toujours pas remis.

- A six mois de grossesse, j'ai dû lui faire une césarienne. Le petit était totalement formé et pas si maigre que ça, peuchéroune. Mais à cet âge-là, les prématurés n'ont pas leurs poumons de totalement achevés. Il faut donc les mettre en couveuse où ils sont reliés à une machine qui joue le rôle de leurs reins. Même si rien n'était encore joué, j'en avais déjà sauvé d'autres comme ça et j'étais optimiste. Hélas, déjà à cette époque, le milieu médical manquait de personnel pendant l'été. Et lorsque le petit Guillaume a eu ses poumons d'assez formés pour faire le boulot tout seul, l'infirmière remplaçante qui avait en charge cinq petits, a oublié ma consigne. Il faut savoir que normalement, pour une couveuse de cette unité de prématurés, il y avait une puéricultrice et une infirmière quotidiennes alors que là, en raison des vacances scolaires, elle s'était retrouvée toute seule. Et qu'à cause d'une mauvaise gestion du personnel, plusieurs prématurés sont morts dans la même journée, dont celui de ce pauvre couple si heureux, encore quelques semaines auparavant. Quand j'ai annoncé ça à la maman, alors que je venais de lui affirmer deux heures avant que leur fils était sauvé, elle a hurlé et en est morte sur le coup. Tu ne peux pas savoir ce que j'ai ressenti à ce moment-là. Le pauvre mari, effondré s'est suicidé dans la foulée pour les retrouver là-haut.

Au-delà de ce récit poignant que Papi Riri vient de me dresser, ce qui me touche, c'est sa voix tremblottante. Je n'ai pas besoin de le voir pour comprendre qu'il est en train de pleurer, tant d'années après.

- Je ne m'en suis jamais remis. Je suis devenu alcoolique pendant longtemps et c'est ce qui a causé notre rupture à Bérangère et à moi. Elle était enceinte et a avorté. Maintenant, j'apprend que ma seconde compagne est morte enceinte... ça fait beaucoup.

- Dis donc, si tu avais appris que tu allais être papa, comment aurais-tu réagi ?

- De quoi tu parles ?

- Tu aurais continué de voir Bérangère ?

- Tu rigoles ? J'aimais Bérangère, certes, mais pour cet enfant, j'aurais mis un terme à ma liaison. Le bonheur d'être père avant toute autre chose.

- Il ne t'es jamais venu à l'idée, que d'une manière ou d'une autre, Bérangère aurait pu l'apprendre et faire en sorte de la supprimer ?

- Mais comment ça ?

- Je ne sais pas moi. Un poison... ou mieux encore. Je te rappelle qu'elle a été infirmière pendant assez longtemps pour connaître pas mal de petites choses. Comme par exemple, l'autre fois, j'ai lu sur une revue spécialisée dans les meurtres, qu'un homme avait été tué en lui injectant une très forte dose d'insuline alors qu'il n'était pas du tout diabétique.

- Tu... tu... tu... veux... veux... veux... dire que... que... qu'elle... aurait... pu...

- tuer par amour ! OUI !!! Et c'est peut-être ce que l'enquêteur est venu découvrir en te questionnant. Il ne t'a rien dit ?

- Non, il avait d'autres personnes à voir.

- Bon écoute, je sens bien que tu n'es pas bien aujourd'hui, alors je vais te demander d'être extrêmement prudent. Si elle sent que tu la soupçonne...

- Oui, je sais. Merci Elyne. Et si on ne se revoit jamais. Prends soin de toi.

- Non Papi Riri, s'il te plait, sois prudent !

La musique maléfique...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant