6 mars 2006
Notre premier rendez-vous, je l'ai fixé dans un café qui se trouve à proximité de mon cabinet de consultation. Si elle arrive avec cinq minutes de retard, je la sens assez perturbée émotionnellement.
- Bonjour Eline.
- Monsieur Del Castelix.
- Comment s'est passée cette première journée ?
- Vous voulez que je vous dise ? Si cela n'avait pas été vous qui m'aviez engagé avec le salaire conséquent, je l'aurais quitté au bout de cette première journée.
- Pourquoi donc ? Pouvez-vous m'expliquer ?
- Je ne sais pas quelle a été l'éducation de votre femme, et quel est son problème mental, mais on dirait qu'elle se prend pour une bourgeoise d'un ou deux siècles précédents. Et son personnel, elle le traite comme quasiment de l'esclavagisme.
Même si Bérangère a des gros soucis neurologiques, je ne comprends pas qu'elle refuse de se faire soigner. D'autant que d'après ce que me dit la jeune que j'ai embauché pour quelques semaines, il semblerait qu'elle commence à développer une autre forme de maladie neurologique. Je voudrais tellement m'occuper d'elle. Mais je suis conscient que cela pourrait tuer notre couple.
- Pouvez-vous me raconter dans le détail, comment s'est passée cette journée ?
- Comme prévu, à l'heure que vous m'aviez annoncée, je me suis présentée à elle. Déjà, elle a passé dix bonnes minutes à me tourner autour, à m'observer sous toutes les coutures. C'était déstabilisant mais je n'ai pas bronché. Puis elle a débuté ses railleries, trouvant que je n'avais pas de goût vestimentaire, qu'elle n'aimait pas le parfum que je portais, etc... Elle m'a alors obligée à prendre une douche et à mettre le costume spécialement conçu à mon usage.
- Quel est-il ?
- Comme je me doutais que vous ne pourriez pas me croire, j'ai eu l'idée de me prendre en photo avec mon téléphone. C'est d'ailleurs la seule que j'ai pu faire car dès que je me suis à nouveau présentée à elle, votre dame me l'a confisqué et éteint. Elle m'a très clairement expliqué qu'avec ses problèmes de santé, il ne lui fallait absolument aucune onde.
- Je vois.
Mais en réalité, je ne comprenais plus rien. C'était un peu comme si elle avait deux personnalités : l'épouse aimante et gentille avec moi et le monstre face aux autres. Heureusement que cette jeune femme, était ultra moderne et s'était offerte, quelques mois plus tôt, l'un de ces nouveaux téléphones portables avec appareil photo intégré. Non mais jusqu'où irons-nous avec le modernisme ?
Quoi qu'il en soit, cette fois-ci, je ne peux que l'apprécier car grâce à lui, je découvre mon interlocutrice dans une tenue totalement d'un autre temps. Je suppose que ma femme a dû l'acheter dans une boutique où ils vendent les costumes de déguisements. Avec sa jupe de de toile longue plissée, imprimée de bandes camaïeu bleu-gris pastel et jaune, et cette chemise à manches longues en taffetas satiné noir, et rehaussée de dentelle blanche, elle a soudain tout à fait, la gueule de l'emploi. Impressionnant ! Il faudra que je demande à la société par laquelle nous passions, auparavant, si elle leur a demandé de faire ça, aussi.
- Et ensuite ?
- Elle m'a montré votre maison et m'a demandé, de faire le ménage de fond en comble. Elle est restée derrière moi durant toute la journée. Parfois, il y avait une poussière ou autre qui venait se redéposer là où j'avais déjà fait. Elle me la montrait et me faisait refaire la pièce entièrement. Ça, c'est pour balayer et dépoussiérer... D'ailleurs, à ce propos, elle sait, votre femme, que de nos jours, il existe des aspirateurs ?
Mon Dieu ! Je ne sais plus quoi penser. C'est plus grave que ce que je croyais. Devant mon silence, Elyne poursuit son récit.
- A midi, elle s'est installée à table et m'a demandé que je la serve. Une fois qu'elle a eu fini de manger, me prenant pour son chien, elle m'a dit que je pouvais manger les restes. Je vous assure que Madame a des manières très humiliantes.
- Je comprends.
- Après avoir fait la vaisselle, j'ai dû récurer vos chiottes et brosser le sol à quatre pattes. L'espace d'un instant, je me suis crue dans le rôle de Cendrillon ! Inutile de vous préciser quel rôle avait votre femme. Je peux vous dire que lorsque 18h a sonné, je n'ai pas donné mon reste pour arrêter cette mascarade, me changer et venir réclamer mon téléphone portable. Et à ce moment-là, elle n'avait pas du tout l'air folle. Je dirais juste, un tantinet sadique.
- Merci d'avoir joué le jeu. Puis-je compter sur votre patience et votre professionnalisme pour poursuivre cette...
- Mascarade ?
- Euh, oui, appelez ça comme ça, si vous le désirez.
- Je ne sais pas. Je vais y réfléchir.
- Très bien, réfléchissez, mais d'ores et déjà, voici une petite compensation.
Sans ajouter un mot de plus, je lui tends une enveloppe. Pas totalement naïf, j'avais prévu, pour le cas où la journée se serait passée plus mal que prévue, de lui fournir un complément.
A son regard, je comprends que la demoiselle apprécie le geste. Elle ne doit pas avoir eu souvent autant d'argent entre les mains. Je m'en rends compte à la tête qu'elle fait, lorsqu'elle découvre ce que je viens de lui remettre.
- Je vous attends, demain à 7h15, comme aujourd'hui ?
- Très bien, j'y serais.
- Notez tout ce que vous voyez et fournissez-moi le dossier vendredi soir. Même heure, même lieu.
Il est temps pour moi de rentrer à la maison.
Quelle n'est pas ma stupeur lorsque je pénètre dans la salle à manger, de découvrir une pièce affreusement sale. On dirait que personne n'est venu depuis six mois tant il y a de la poussière partout. Même quand je suis parti ce matin, c'était loin d'être comme ça.
- Mais que s'est-il passé ici ?
- Bonjour quand même !
- Oui, pardon ma chérie. J'ai eu une dure journée.
- Moi aussi, figures-toi ! Comme à son habitude la société m'a encore envoyé une souillon qui n'a rien fait du tout. J'ai eu l'audace de lui laisser la maison toute la journée et quand je suis rentrée, ce fut pour découvrir qu'elle avait glandé.
- Tu es sûre ?
- Bien entendu, je sais ce que je dis. D'ailleurs, tu en as une parfaite preuve, ici même.
- Mmmmm
Je dois bien reconnaître, que sur le moment, je ne sais plus quoi dire, ni quoi penser. Si je lui dis la vérité, elle n'aura plus confiance et si je fais semblant de la croire, quel prétexte donner pour faire revenir la jeune femme ?
La vieillesse doit me rattraper car je ne réfléchis plus en neurologue mais tout bonnement en mari aimant, prêt à tout passer à son épouse malade. Il me vient alors, une petite idée...
VOUS LISEZ
La musique maléfique...
Gizem / GerilimBellatrix est une brillante étudiante qui a toujours baigné dans le monde des livres. Pour parvenir à ses objectifs professionnels, elle surenchérit encore et toujours. Une vie sentimentale ? Aucune ! Une vie de famille épanouie ? Que nenni ! Des lo...