Chapitre 12.1

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"L'espionnage n'est pas une partie de plaisir..."

John Le Carré – romancier britannique (1931-2020)


(Charles-Henry)

Les jours suivants se déroulent comme dans un rêve. En guise de voyage de noce, nous passons les quinze jours à emménager dans notre nouveau petit nid d'amour. Je suis si heureux. Avec un architecte d'intérieur, peu de temps avant notre mariage, nous étions tombés d'accords sur quelques modifications, comme par exemple, à l'étage, une grande chambre que nous avons partagée en deux et fait installer une salle d'eau. Pour les personnes que nous inviterons, cela sera super. Nous nous sommes également offerts une suite nuptiale.

Bref, nous avons tout pour être heureux : une belle maison, de l'amour, de l'espace vert... Il n'y a que la santé de Bérangère qui m'inquiète. Elle a beau faire semblant que tout va bien, je sens bien que ce n'est pas tout à fait le cas.

Un jour, elle est souriante, aux petites attentions pour moi, le lendemain, elle reste au fond de son lit, maugréant qu'elle n'a plus qu'à mourir. Les mois passent et je suis bien conscient que malgré son suivi neurologique, cela ne s'améliore absolument pas. Tout cela m'inquiète au plus haut point. Je décide donc d'accompagner ma femme lors de son prochain rendez-vous. Mais contre toute attente, elle se fâche et m'annonce être assez grande pour y aller seule.

- Je ne veux pas voir de la pitié dans ton regard. Si tu m'aimes, alors laisse moi gérer cela toute seule. En attendant, viens t'allonger à côté de moi, je vais te faire un petit massage. Ça va te détendre.

Et comme à chaque fois, elle parvient à m'attendrir. Je suis conscient qu'elle me mène par le bout du nez mais je suis tellement bien avec elle, que pour ne pas la chagriner, j'accepte ce deal.


1er janvier 2000 - minuit

- Bonne année ma chérie !

- Oui à toi aussi mon chichou. Tu te rends compte, on change de siècle !

- C'est vrai que cela a quelque chose d'étrange. J'avoue que j'aimerais bien, d'un claquement de doigt, nous voir dans trente ans.

- Oh mon Dieu, pas moi ! Qui sait dans quel état je serais... Sûrement morte....

- Ne dis pas ça mon Trésor, je préfère nous imaginer tous les deux, main dans la main dans une petite maison de retraite cossue... Mon seul regret c'est que l'on n'ait pas eu d'enfants ensemble.

- On en avait un en route... Mais quand tu as sombré dans l'alcool, et que je t'ai quitté, quelques semaines après, je me suis rendue compte que j'étais enceinte. J'ai réfléchi longtemps mais j'avais mon travail et ne me sentais pas capable d'assumer d'être mère célibataire. J'ai alors choisi de me faire avorter.

- Tu n'as pas pensé que peut-être, au contraire, cet enfant m'aurait permis de me reconstruire ?

J'avoue que là, elle vient de m'assener un coup terrible. Si je comprends qu'elle ait pu avoir envie de me quitter quelque temps, en revanche, le fait qu'elle n'ait même pas songé à me dire ce qu'il en était me fait froid dans le dos.

- Cet enfant aurait eu... 26 ans !

Pour la première fois de ma vie, une ombre vient de se glisser entre nous et j'ai beaucoup de mal à ne pas laisser éclater ma colère

- Tu ne pourras jamais comprendre. Lorsque je t'ai ramassé inconscient dans ce chalet, je t'en ai terriblement voulu d'avoir cherché à me quitter de cette façon ! Tu as toujours fait passer tes patientes avant moi. Je ne pouvais plus vivre avec toi. Non seulement tu t'autodétruisais mais j'aurais fini par sombrer avec toi. J'ai eu du mal à me retrouver seule et je n'avais aucunement la force... de l'élever seule. Et je n'aurais jamais cru, à cette époque, qu'un jour on se retrouverait. Après notre rupture, j'ai trouvé refuge chez une vieille amie à moi. Elle s'appelle Rose et j'aimerais bien profiter qu'elle se réinstalle dans le même quartier que nous, pour l'inviter de temps en temps ici.

- Pas de soucis. Je ne suis pas un tyran et lorsque je suis à mon cabinet, libre à toi de voir qui tu veux.


3 mars 2006

Alors que je viens de raccrocher, mon cœur menace de me faire une tachycardie tant je suis sur les nerfs... et encore que cet adjectif est bien loin de ce que je ressens. Je me sentirais capable de trainer ma femme par les cheveux et l'obliger à me dire la vérité.

Depuis six mois, sous le conseil de son amie Rose, elle a décidé qu'elle avait besoin d'une aide-ménagère. Elle a donc fait les papiers nécessaires puis la première s'est présentée. Elle me paraissait très bien, mais à peine au bout de quelques jours, elle renonçait. En l'espace de six mois, nous n'avons pas eu moins de douze personnes et à chaque fois c'est la même chose : ou l'aide-ménagère fuit cette furie ou c'est cette dernière qui les met dehors. En vieillissant, je la trouve de plus en plus irascible. Notre couple est désormais bien loin de ce que nous avons connu dans notre jeunesse et j'en suis navré.

Aujourd'hui, j'ai fini par appeler le confrère chez qui, Bérangère est censée être suivie. Je suis bien placé pour savoir ce qu'est le secret médical. J'avais donc feinté pour simplement obtenir la date du prochain rendez-vous, prétextant que ma femme ne s'en rappelait plus. Or, la surprise, c'est moi qui l'ai eu, lorsqu'il m'a affirmé n'avoir jamais reçu madame Del Castelix. La garce m'a, une nouvelle fois, menti. Quel intérêt a-t-elle à faire cela ? Si elle n'a pas de traitement, comment fait-elle pour faire passer ses migraines ? Cette fois, je veux... non, j'exige une explication !

Une fois rentré, je découvre que la dernière femme de ménage a, elle-aussi baissé les bras et pris la fuite. Je sais très bien que si j'appelle l'organisme, ils vont me dire la même chose que la dernière fois. « Votre dame, ne semble pas bien dans sa tête et harcèle tout notre personnel. Plus personne ne veut travailler chez vous. Désolé. »

Dans un grand soupir, je décide de repousser cette pénible discussion. Une idée vient de germer dans ma tête. La semaine dernière, une petite jeune s'était présentée à la maison pour proposer ses services, comme baby sitter. Je la recontacte pour savoir si elle a trouvé un job et comme ce n'est pas le cas, je lui annonce l'embaucher pour surveiller ma femme et faire le ménage. Ce que je lui demande, semble tellement étrange qu'elle est sur le point de refuser. Il me faut lui proposer une très bonne rémunération avant qu'elle n'accepte. Voici comment Eline Fockew, vingt deux ans, est rentrée dans notre vie, pour notre plus grand malheur.

La musique maléfique...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant