La musique maléfique...

Chapitre 18.3

Je sens effectivement au ton de sa voix et à son regard glacial, qu'il ne ment pas et est toujours aussi en colère que moi. Je ne doute pas que ce sentiment soit avant tout pour se protéger intérieurement et éviter qu'un jour, l'effroi et la rancœur ne l'étouffent à tout jamais.

- Aujourd'hui, on parle beaucoup de vieux détenus, mais en réalité ce sont des gens qui ont été condamnés jeunes et en sont à leurs 38-40 ans d'emprisonnement. Voilà pourquoi, dans les journaux, on découvre qu'au cours de ces trois dernières décennies, la part des personnes âgées détenues a quintuplé. Mais qu'en est-il des vieux qui commettent des crimes à plus de cinquante ans ? Les met-on en prison ? Que nenni. Il a été prouvé que si la justice française enfermait tous les vieux qui ont commis des crimes, on irait droit au mur : difficultés de s'ajuster au rythme carcéral (lents, ils se déplacent parfois avec une canne...). Bref, on les place en maisons psychiatriques pour les plus méchants et en maisons de retraite pour les autres. Moi, je veux une vraie justice, un vrai centre de détention pour les vieux.

- Tu veux dire, comme aujourd'hui, on construit des résidences ou des HLM pour les personnes âgées, tu voudrais une prison pour les vieillards ?

- C'est ça ! Et selon les cas, ils ne seraient pas traités de la même façon. Je veux adopter l'adage "œil pour œil, dent pour dent"

Hum, là ça commence à devenir chelou !

- Tu veux dire quoi exactement ?

- Et bien, celui qui a empoisonné son voisin, on va lui imposer de la nourriture qui aura toujours mauvais goût ou qui lui donnera mal au ventre...

- Et celui qui a violé des enfants ?

... silence...

- Celui qui a noyé quelqu'un se verra régulièrement mis la tête sous l'eau. Celui qui a égorgé quelqu'un prendra des coups de couteaux, etc...

Je dois dire que tout ça me laisse perplexe

- Tu ne dis rien ?

- Je réfléchissais. Et à une personne comme Bérangère qui a plusieurs meurtres à son acquis avec des manières différentes ?

- C'est une bonne question. Je t'avouerais que je n'ai pour le moment aucune réponse.

- Et entre une personne qui aurait à son actif, un seul assassinat à l'arme blanche et un récidiviste, tu leur inflige la même peine ? Qu'ils aient cinquante ou quatre-vingt-dix balais ?

- Combien d'années endureront-ils ça ? Qu'en fais-tu lorsque leur peine est achevée ?

- Pour moi, ils demeurent dans cette prison jusqu'à la mort.

- Je t'avais dit Serges, que j'avais trouvé quelqu'un à la hauteur de tes rêves.

- Attendez, je suis loin d'avoir dit oui. Tout cela me parait bien flou. Quelle est la superficie du bâtiment qui est envisagé ? Avez-vous acheté un terrain où l'on pourrait monter une telle affaire ? Combien de personnes s'embarqueraient dans cette aventure ? Avez-vous des personnes dans le droit, de votre côté pour le cas où un jour, vous en auriez besoin ?

- Vous voulez dire, des avocats ?

- Par exemple. Quel budget avez-vous ? Car des prisonniers, même avec de la merde, il faudra les nourrir. Avez-vous prévu plutôt un style camps de concentration ou plutôt Koh Lanta plus sauvage ? En clair, vous laissez une bande de vieux délinquants avec leurs cannes et leurs déambulateurs, se chercher à bouffer tous seuls et s'entretuer lorsque l'un d'eux sera parvenu à cueillir une noix de coco ?

- Oulala, que de questions !

Je crois que je suis parvenue à l'impressionner et je le vois à son regard hagard, qu'il cherche seulement à se rappeler d'au moins une de mes interrogations. Mais j'en rajoute.

- Ils seront en cellules ou en dortoirs ? Mixtes ou par genres ?

- par genres ?

- Et bien oui, où place-t-on un trans sexuel par exemple ?

Je dois avouer que je finis par m'amuser de le mettre ainsi dans l'embarras. Il a désormais les sourcils froncés et commence à s'énerver tout seul. Je ne devrais pas, mais je suis curieuse de voir ce qu'il a dans le ventre. Aussi, je continue, dans le but unique de l'énerver tandis que son demi-frère et Thiefen nous observent chacun, d'un coin opposé de la pièce, où ils sont assis.

- Comment allez-vous dénicher ces malfrats ? Les attendrez-vous à la sortie des tribunaux ? Avez-vous une amie juge ? Pensez-vous qu'on pourrait avoir deux ou trois surveillants pénitentiaires qui viendraient travailler pour nous ?

Même si je ne suis pas très sympa de le pousser à bout, on ne s'improvise pas Spider Man ou tous ces gentils héros de télé, comme ça, à la légère.

- Je suppose que c'est un non direct ?

- Ramène-moi un dossier solide et la prochaine fois, j'étudierais ton projet à fond avant de te donner une réponse finale. Mais tu ne m'as répondu à aucune question. Tu comprendras que ça ne m'inspire pas beaucoup, tout ça. D'ores et déjà, qui serait de la partie ? C'est la question clé.

- Je n'en sais rien !

- Allons bon. Camilo, tu en seras, le jour où l'affaire est solide ?

Je suis même parvenue à prendre au dépourvu mon sex friend... C'est quand même assez hallucinant. Il croyait vraiment que je me contenterais d'aussi peu de renseignements ?

Après un certain temps de réflexion, ce dernier fini par répondre.

- Effectivement, si tous deux, veniez à vous mettre d'accord, cela pourrait m'intéresser de me joindre à vous et déjà, j'aurais quelques séances de tortures ou autres à proposer aux plus vicieux.

Si le fameux Serge-Hubert est blême de par cet interrogatoire costaud que je viens de lui faire subir, il ne semble pas m'en vouloir et nous nous décidons à passer à table. Alors que j'aurais cru qu'après ces visionnages de scènes morbides et ce projet plus dingue que tout ce que j'avais vu jusqu'à présent, j'aurais l'appétit de coupé, c'est tout le contraire.

Voilà qu'en un temps record, je me remplis l'assiette de tranches de Jésus, de rosette de Lyon, sans oublier un morceau de saucisson brioché et des grattons, le tout arrosé de Beaujolais. Ah oui, ça fait toujours plaisir de revenir à ses spécialités régionales. Evidemment, c'est dans la joie et la bonne humeur retrouvée par tous, que nous enchainons avec une cervelle de canut et une tarte à la praline. J'en ai l'estomac blindé et refuse même le digestif.

Par contre, je remercie vivement Serge pour cette super collation et lui assure que ça m'est allé droit au cœur.

S'il passe la nuit dans la chambre d'amis, alors que je partage mon lit avec Thiefen et Camilo, le lendemain matin, quand il est prêt à repartir, il est surpris de découvrir la liste des points à étudier et à me fournir quand il aura avancé dans son projet.

- Je ne te dis pas adieu mais à bientôt !