La musique maléfique...

Chapitre 1.2

Allongée sur mon lit, j'observe ce jeu de lumière qui court sur le mur, face à la fenêtre. Ici, nul besoin d'allumer ma lampe de chevet tant l'éclairage qui provient des lampadaires publics ou encore des phares de voitures qui circulent est important.

Un rapide coup d'œil à mon réveil indique qu'il est 23h30. Une voiture à la motorisation un peu trop bruyante s'élance alors dans la rue qui longe mon immeuble. De la main, je tâtonne jusqu'à trouver le tiroir de la table de nuit que j'ouvre enfin. Je m'empare alors d'une barre de céréales qui me servira de repas pour ce soir.

Mon smartphone se met enfin à vibrer, m'annonçant l'appel de mon meilleur ami. J'ai du mal à cacher mon enthousiasme lorsque je décroche l'appel sur l'application WhatsApp. Face à moi se tient un rouquin jovial au visage bien joufflu. C'est tout lui, ça. Il possède une joie de vivre à toute épreuve et n'a jamais tenu compte des remarques acerbes que lui a valu son obésité. Pourtant Dieu sait, si les gamins peuvent être méchant entre eux, mais il a toujours fait de sa différence une force... sauf face à ses parents.

Là encore, notre physique est tellement à l'opposé qu'on ne nous a pas raté. On a même osé nous surnommer "Laurel et Hardy". Et si lui, ça l'amusait, moi cela m'accentuait mon complexe de sac d'os. Car c'est également comme ça, que certains m'appelait. Quand j'ai adopté la mode gothique avec mes longues jupes coupe sirène au style romantique victorien en satin recouvert de dentelle noire et mes hauts assortis, je n'ai pas manqué de rembourrer mes soutien-gorge. Un maquillage excessif et des motifs de squelettes sur les fringues m'ont permis de davantage me faire respecter.

- Alors mon pti cœur, tu ne dors pas encore ?

- Tu rigoles ? Je t'attendais ! Alors, comment s'est passé ta journée ?

- Ben ma foi, au boulot, ça a été la routine. Je me suis pris de gueule avec deux trois ouvriers en façade et un locataire qui n'est pas satisfait du travail qui a été réalisé chez lui. Après maintes discussions, je suis parvenu à le calmer et en contrepartie, je lui ai promis qu'un plombier repasserait lui changer un thermostat.

De ce côté-là, le fait qu'il mesure un mètre quatre-vingt-quatorze pour cent vingt kilos, dans son métier est presque un point fort. Les autres hésitent à deux fois avant de s'en prendre à lui physiquement. Et puis, il a un charisme que je lui ai toujours envié.

- Par contre, mon rdv de ce soir, je dirais un grand bof. Je ne le reverrais pas, c'est inutile.

Là encore, il est inscrit sur plusieurs sites de rencontre et n'hésite pas à organiser des sorties avec ses conquêtes. Et quand, plus tard, il me raconte, il les qualifie tous par un grand bof, moyen, géant ou nul à chier. Il n'y a que les géants qu'il s'autorise à revoir quelques fois. Mais ça s'arrête là. A croire qu'il a peur de s'emmouracher.

- Par contre, reprend-il, ça y est j'ai trouvé la maison de mes rêves ! Et comble de l'ironie, tu pourras même venir y habiter avec moi. Il s'agit d'une cohabitation intergénérationnelle. Je me suis inscrit, il y a quelques temps et j'attendais d'avoir mon rendez-vous avec une personne de l'association pour t'en parler. Mais ça a finalement été très vite et on m'a même permis de rencontrer Bérangère qui est la propriétaire d'une belle demeure. Elle a perdu son mari, il y a déjà une dizaine d'années et n'a jamais voulu vendre sa propriété car ils l'ont acquise après leur mariage. Sauf qu'elle n'a pas pu avoir d'enfants et que cette grande maison est restée dans son jus. Désormais, elle a de plus en plus de mal à marcher et semble s'ennuyer car peu à peu, toutes ses amies et voisines de son âge sont décédées. Quand elle a vu un reportage à la télé qui évoquait ce principe de mettre en relation les jeunes avec les aînés, elle a contacté l'association. Au départ, elle envisageait de ne prendre qu'un co-locataire mais quand je lui ai parlé de toi, elle a accepté.

- Et tu m'as présenté comment ?

- Je lui ai dit que nous étions demi-frères et sœurs, tous deux issus de parents différents mais que mon père s'est mis avec ta mère, il y a très longtemps.

- Si tu continues, tu vas être pire qu'un marseillais... euh, tu devrais te lancer dans la politique, avec ta tchatche !

- N'empêche qu'elle est adorable, tu verras. Du coup, pour un peu, on ne pourrait plus l'arrêter. Elle a également décidé d'héberger la petite-fille d'une amie à elle, décédée depuis peu.

- Et cette maison, tu l'as visitée au moins ?

- Bien sûr et j'ai vraiment craqué. J'aurais eu les sous et qu'elle soit à vendre, je n'aurais pas hésité très longtemps.

- Elle est sur quelle commune ?

- C'est là que je te connais et que tu vas te plaindre, mais bon, on ne peut pas tout avoir !

- Aïe, tu me fais peur là !

- Elle se trouve sur la commune de Limonest. Si je suis à une dizaine de kilomètres du siège de ma boîte, j'ai regardé sur internet, et toi tu seras à quatorze kilomètres, soit une vingtaine de minutes en voiture.

- Tu es en train de me dire qu'il faudra que j'embarque avec moi ma Mini Cooper SE ?

- Ben tu seras plus indépendante car là, tu n'auras plus le métro en bas de chez toi !

Evidemment, vu sous cet angle... Et puis c'est vrai que j'adore ma petite voiture électrique grise avec ses rétroviseurs jaunes, même si elle ne pourra faire que du 120 kms sur autoroute.

- Et tu as prévu d'emménager quand ?

- Demain ! J'ai pris un jour de congés et comme après, c'est le week-end...

- Elle accepte qu'on arrive en milieu de mois ?

- Oui, oui, j'ai déjà signé le contrat et toi tu le signeras demain. Nous payons cent euros chacun et en contrepartie, nous verrons avec elle pour effectuer quelques petites tâches du quotidien.

Sur le coup, même si je devrais être super contente de poursuivre notre colocation avec mon frère de cœur et surtout, pouvoir me tirer de chez ma mère, je trouve l'offre un peu trop alléchante pour être honnête... Mais bon, je ne serais pas toute seule là-bas.

Nous bavardons encore un petit moment puis finissons par raccrocher. Seulement quelques minutes après, je reçois les quelques photos de la bâtisse pour qui, il a littéralement craqué. Lorsque j'observe cette vieille demeure, je dois reconnaître qu'elle représente tout à fait le style de maison que j'ai toujours rêvé d'habiter... Pourtant, quelque chose me dérange et je ne sais pas ce que c'est. Sur la suivante, on voit une belle salle à manger. Là encore, elle est ancienne... Les meubles sont très beaux, et sûrement qu'ils valent encore très chers, mais ne sont plus trop au goût du jour... Par contre, la bibliothèque tout autour de la cheminée m'attire beaucoup.

Pour le reste, il me faudra attendre demain. Mais je suis prête à faire un essai dans cette superbe demeure, même si malgré moi, je ressens une drôle d'émotion. Peut-être qu'une fois à l'intérieur, cet étrange ressenti disparaitra de lui-même.