Chapitre 1.II

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𝓚an observa l'immense pont – dit de mille ans, car d'après les légendes, il aurait cet âge-là – qui lui faisait face. Ce pont, essentiel au développement d'Opaltys, enjambait une large rivière issue de la Sanglante, le fleuve principal de l'Astriale. Kan avait lu que, tous les ans, il attirait des centaines et des centaines de touristes, parce qu'on murmurait qu'il tenait encore debout grâce à la magie.

Kan ne s'était jamais rendu dans la cité de l'Opale (d'ailleurs, il apercevait le bâtiment du même nom sur la rive opposée). Il connaissait Opaltys uniquement grâce aux multiples documents qu'il avait dû étudier, à Monocle, la cité du Nulan où il vivait désormais.

Il tripota le parchemin roulé reposant au fond de sa poche. Cela faisait un mois que ce parchemin se trouvait là, tout près de la lettre que lui avait laissé sa sœur. Kan n'avait pas osé l'ouvrir – le parchemin, pas la lettre. Il savait que dans ce parchemin se trouvait ses origines, mais il avait besoin du soutien de Téo pour avoir le courage de le déchiffrer.

Kan prit une inspiration, arracha distraitement une petite peau au bout de son doigt, avant de s'avancer sur le pont. Il fallait l'avouer, c'était un sacré monument. Deux immenses escaliers se faisaient face, un de chaque côté, pour se rejoindre plusieurs mètres au-dessus de l'eau. La pierre blanche, inconnue à Kan et possédant certainement des propriétés magiques, n'était pas érodée, alors que les vagues la léchaient en permanence.

Kan grimpa les marches deux par deux, pressé de retrouver sa sœur. Il ne craignait pas de ne pas la reconnaître ; même si cela faisait cinq ans qu'ils étaient séparés, ils se connaissaient depuis leur naissance, avaient vécu ensemble. S'il y avait bien une personne dont il n'oublierait jamais le visage – et ce, même sans son don de mémoire absolue – c'était bien celui de Téo.

Il croisa plusieurs Opalais, vacant à leurs occupations avec bruit. À Monocle, cité de culture, les gens parlaient à voix basse même dans les rues, de peur de déranger quelqu'un en train d'étudier. Ce n'était visiblement pas le problème ici.

Il arriva enfin en haut de l'escalier, et ses yeux balayèrent le paysage, à la recherche d'une silhouette féminine blonde. N'en apercevant pas, il avança sur le pont, tout en continuant ses recherches. Il avait presque traversé l'entièreté du pont lorsqu'il entendit un rire bon vivant derrière lui.

– Alors Kan, on ne reconnaît même plus ses exceptionnelles vieilles connaissances ?

Il sursauta, pivota d'un coup. Il comprit immédiatement pourquoi il n'avait pas reconnu sa sœur. Il s'attendait à trouver une demoiselle de la haute société en robe, alors qu'il était face à une jeune fille en pantalon et chemise, cheveux attachés en queue de cheval, toute naturelle, une cape sur le dos et une broche en forme d'abeille accrochée. Il remarqua même une cicatrice au niveau de la pommette, qui n'était pas là auparavant. Au moins, il devait avouer qu'elle n'avait pas beaucoup grandi.

– Ferme ta bouche, ou tu vas gober les mouches, répondit-elle, sourire en coin, en posant ses mains sur ses hanches.

Kan l'entendait dans sa voix ; elle était émue. Il la dévisagea quelques instants, ayant du mal à croire qu'elle n'était pas un rêve.

– Tu as... beaucoup changé, fit-il remarqué.

Hum, ce n'était pas vraiment la première chose qu'il souhaitait lui dire. Elle lui avait manqué, beaucoup. Voilà ce qu'il voulait exprimer. Il s'attendait à ce qu'elle se moque de lui, comme au bon vieux temps, mais elle lui sourit de nouveau, compréhensive.

Puis soudain, elle sautilla jusqu'à lui, pour l'enlacer avec force. Kan lâcha un cri de surprise, presque étouffé sous cette étreinte, mais s'empressa de refermer ses bras autour d'elle pour être certain qu'elle n'allait pas disparaître. Il trouva drôle, tandis qu'il savourait la sensation de bonheur l'envahissant, qu'elle lui arrive à peine sous le menton. Il avait bien grandi depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus.

Il posa sa joue contre le haut de son crâne, au moment même où elle enfouissait son visage contre lui. Kan ignora les regards réprobateurs que les Opalais leur jetaient – hors de question que ces idiots gâchent leurs retrouvailles.

Soudain, il crut entendre Téo renifler.

– Serais-tu en train de me sentir ? fit-il, surpris.

– Étoile, répondit-elle, sa voix étouffée. C'est l'odeur de la maison, cela m'a beaucoup manqué. Tu m'as beaucoup manqué.

S'il avait eu des doutes sur son identité, ce ne serait plus le cas : voilà bien une de ses bizarreries dont il avait eu l'habitude. Elle le serra plus fort, sous l'émotion.

– Hum, Téo ? Tu sais que je t'aime et que toi aussi, tu m'as beaucoup manqué, mais est-ce une raison pour m'écraser de la sorte ?

Elle relâcha son étreinte, secoua la tête, et recula. Kan se demanda si lui aussi avait les joues aussi rouges qu'elle – à la chaleur qu'il ressentait, il était prêt à parier que oui. Il réalisait seulement maintenant à quel point elle lui avait manqué. Alors qu'il l'observait, ravi de l'avoir retrouvé, il remarqua un objet assez incongru d'après l'image qu'il s'était fait d'elle.

– Qu'est-ce que cela ? demanda-t-il en pointant l'épée qu'elle portait.

– Nous avons beaucoup de choses à nous dire, soupira Téo. Heureusement que je connais un bon endroit pour discuter !
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Publié le 01/01/2022

L'Astriale - Les Mensonges du Printemps T2 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant