Chapitre 4.I : La vérité, rien que la vérité

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Une légende dit que, lors de son vivant, l'épouse du Faucheur, la déesse mineure du Martyr, aurait été une hybride, et qu'elle aurait protégé ses semblables dans une cité nommée Synestra. Personne n'a jamais trouver cette cité, prouvant que toutes les légendes ne sont pas vraies.
Légendes de l'Astriale, anonyme.

𝓣éo se figea. Stupéfaite, elle réalisa qu'elle ne pouvait plus bouger. Impossible de ciller, impossible de suivre du regard le nouveau venu, impossible de remuer la langue. Une sensation des plus terrifiantes, d'après elle. C'était comme si elle avait été pétrifiée par un sortilège en un instant – or, les sorcières n'existaient plus depuis longtemps. Elle était certaine qu'elle aurait pu faire concurrence à une statue.

Son esprit semblait embrumé, comme s'il tournait au ralenti. Un étau l'empiégeait, une volonté de fer pesait sur elle. Le simple fait de penser paraissait insurmontable et douloureux.

Ne pouvant déplacer son regard, Téo sentit plus qu'elle ne vit une silhouette entrer dans le champ périphérique de sa vision. Une odeur de riche parfum, impossible à identifier tant il y avait de mélanges, flotta jusqu'à elle. Tout lui était inconnu, pourtant, elle savait à qui elle avait affaire. Elle connaissait cette voix de ténor.

Elle appartenait à Téonal Lion. Ce qui voulait dire que Téo avait trop tardé.

Impossible d'aller à la travers, malgré ses plus farouches désirs : le sénateur avait employé son don de manipulation dès qu'il l'avait aperçut. Il lui avait bien fallu une bonne minute pour le comprendre, avec ces chaînes bridant son esprit.

Elle ne pourrait bouger que s'il le lui ordonnait, ou s'il relâchait assez son emprise sur elle.

– Tiens tiens tiens, qu'avons-nous là ?

Téonal Lion entra enfin dans son champ de vision. Il lui prit le menton, le redressa, comme s'il ne voyait pas correctement son visage. Téo, par contre, connaissait le sien, pour l'avoir déjà rencontré en vrai, mais aussi sur les portraits familiaux des Noiselas.

Il paraissait qu'il avait été un homme plutôt séduisant dans sa jeunesse, ce qu'elle voulait bien croire, étant donné le nombre de ses maîtresses. Les pommette hautes, les yeux légèrement en amande, une courte moustaches brune dissimulait en partie une bouche pulpeuse.

Il claqua la langue, lâcha son menton, se déplaça. Téonal Lion n'était pas un homme particulièrement grand ; il semblait même être plus petit qu'Arysia Taureau – voilà d'où Téo tenait sa petite taille. Large d'épaule, il devait certainement s'entretenir, car elle ne voyait pas la bedaine qui caractérisait les hommes riches d'un certain âge – après tout, il avait presque la cinquantaine.

Puis aux bruits qu'elle entendait, Téo supposa qu'il était parti chercher une chandelle. En effet, il revint quelques secondes plus tard, et la lueur vacillante de la petite flamme lui brûla la rétine. Elle avait passé trop de temps dans le noir à se morfondre.

Elle aimerait pouvoir se frapper face à pareille bêtise.

Malheureusement, ce vœu semblait inaccessible à l'instant.

La lumière des lunes traversait les fenêtres aux rideaux ouverts, si bien que si elle avait encore été la gamine peureuse à l'esprit débordant des Merveilles, Téo aurait sûrement fait des cauchemars. Avec la lueur bleu-argenté des lunes d'un côté, et celle orange de la bougie de l'autre côté, elle avait l'impression que Téonal Lion avait le visage coupé en deux. Le jeu d'ombres n'arrangeait pas cette figure digne d'un Tenebris.

– Qui es-tu ? Parle, ordonna le sénateur.

  La volonté de Téonal Lion l'étrangla, lui coupa la respiration. Ses fils de fer écorchèrent son esprit. Ce sentiment d'être un oisillon, si faible, alors qu'elle était tout le contraire l'irritait. Elle ne voulait pas répondre, mais elle souffrait, les fils se resserrant de plus en plus face à ce refus d'obéir.

L'Astriale - Les Mensonges du Printemps T2 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant