Chapitre 13.II

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𝓐ssise sur le toit d'une maison d'Opaltys, Téo patientait, sans bouger. Emmitouflée dans sa cape, le vent passait sur elle sans provoquer le moindre frisson. Pour une fois, le ciel était dégagé : ainsi, elle pouvait admirer le soleil se coucher derrière le pont de mille ans.

Téo jeta un coup d'œil en contre-bas, guettant un visage familier. Pour une fois, elle ne souriait pas. Elle se sentait trop inquiète pour cela.

Elle était rentrée aujourd'hui d'une nouvelle mission mineure, avec Saleann. Heureuse de rentrer à l'Académie, et de retrouver ses camarades, elle avait facilement souris toute la journée. Jusqu'à ce que Sarpentyn vienne lui parler.

Son ami partait le lendemain pour une mission. Avant ce départ, il lui avait demandé s'il pouvait lui parler, seul, en privé, en soirée. Ainsi, il lui avait donné rendez-vous à dix-neuf heures, sur le toit où elle l'attendait.

Pour une fois, elle était en avance. Malheureusement, elle avait peur d'avoir deviné la raison pour laquelle Sarpentyn lui avait donné rendez-vous.

Une brise agita l'arbre en fleurs près d'elle. Des pétales s'envolèrent, vinrent se prendre dans ses cheveux. Elle ne les enleva pas. À la place, elle cueillit une des fleurs de l'abricotier, avant de la planter derrière son oreille. Elle avait toujours aimé les fleurs, à cause de leur délicieuse odeur.

Elle regrettait juste qu'on ne puisse pas les manger.

Elle inspira profondément, les yeux fermés. Elle aimait le mois de Beliner, la renaissance de la nature. Aux Merveilles, petite, elle guettait toujours avec Kan le retour des oiseaux logeant dans le vieux chêne.

Les tuiles sous ses mains étaient rugueuses. Le vent sifflait à ses oreilles, et si elle n'attendait pas l'arrivée de Sarpentyn, elle ne l'aurait certainement pas entendu, lorsqu'il s'installa près d'elle.

– Ahu, fit-il de sa voix feutrée.

– Ahu.

Elle ouvrit un œil, l'observa. Dans la lumière du couchant, sa peau bronzée avait pris une jolie couleur caramel. Ses épais cheveux bruns s'agitaient à cause du vent, voilant de temps en temps son regard noisette. Sarpentyn était un beau garçon, elle ne pouvait dire le contraire. Mais il était avant tout son ami, un ami à qui elle tenait.

Un ami à qui elle ne voulait pas faire de mal.

– Alors ? Qu'est-ce que tu avais de si important à me dire pour me donner rendez-vous ici, Sarty ?

Pourvu que je me trompe. Pitié, Ismène, pour une fois dans ma vie, j'aimerais me tromper, songea-t-elle.

Il lui offrit un petit sourire. Celui-ci dévoila ses deux fossettes. Oui, un très beau garçon. Pas étonnant que les Apprenties lui courent après. Dommage qu'il ne se soit pas entiché de l'une d'entre-elles, au lieu de Téo.

– Hum, euh, je t'avoue que je sais pas vraiment pas où commencer, s'excusa-t-il avec un rire gêné.

– Par le début, peut-être.

– Étoile, tu as raison. Ça fait déjà plus de quatre ans qu'on se connaît, toi et moi, hein ? (Elle se contenta d'acquiescer). Tu as été l'une de mes premiers amis, Téo. Tu as même été la première à venir me voir, alors que je connaissais personne. On a le même âge, mais tu t'étais déjà intégrée à la confrérie.

– Ça faisait un an que j'y étais. Je suis prématurée, pour rappel.

– Tout de même. On aurait dit que tu avais passé toute ta vie là. Je te remercierai jamais assez pour ça. Tu m'as intégré à votre petit groupe, à Sal, Wuly et toi, tu m'as jamais traité comme un enfant. Merci.

– Et c'est pour ça que tu voulais me voir ?

Elle tourna la tête vers lui. Il mâchouillait sa lèvre inférieure, toujours gêné. Non, visiblement, il n'en avait pas fini. Et le pire allait arriver. Sarpentyn secoua la tête.

– Non. Non, c'est pas pour ça. Mais depuis ce jour, tu as toujours été une amie chère pour moi. Puis, il y a eu ce jour. Je sais que tu t'en souviens pas, mais moi si. Même si j'étais bourré, je me rappelle très bien de cette soirée improvisée dans la cave (Téo ne put retenir une grimace). Je sais que c'était pas volontaire. Mais ça a changé quelque chose, pour moi. J'ai... euh, eh bien, j'ai commencé à te regarder sous un autre œil. Bon, je vais pas passer par quatre chemins, parce que je sais pas faire. Voilà, tu me plais. Et pas qu'un peu.

Téo rosit, se détourna de lui face à son regard intense. Elle avait mal au cœur. Elle adorait Sarpentyn, mais elle ne lui rendait pas ses sentiments. Non, ceux-ci étaient entièrement tournés vers Jillan. Elle garda le silence.

– Alors... hum, je sais qu'on a pas l'âge, ni l'un ni l'autre. Mais je sais qu'on a le droit de faire la demande avant. Du coup... est-ce que tu voudrais bien devenir ma compagne ?

– Sarty... (elle pinça les lèvres, soupira, triste). Je t'aime beaucoup, mais comme un ami.

Elle était horrible : c'était sans aucun doute la phrase la pire à dire dans ces moments là. Pourtant, il s'agissait aussi de la plus juste.

Il lui offrit un pauvre sourire.

– Je dois t'avouer que je m'en doutais un peu.

– J'ai essayé de te repousser en douceur, parce que je ne voulais pas te faire de mal. J'espérais que tu comprendrais. Je tiens à toi.

– Mais pas comme ça, hein ? (Elle hocha la tête). T'inquiète, j'ai bien vu que tu en aimais un autre.

Elle rosit violemment, le dévisagea. Par tous les dieux, était-elle si transparente ?

– Je t'en veux pas, poursuivit-il, mais fallait que j'essaye. Juste pour pas regretter. Sinon, je me serais demandé toute ma vie ce qu'il aurait pu se passer.

– Je comprends, souffla-t-elle.

– Alors, on reste amis ? Je sais que j'ai pas le droit de te demander cela après cette proposition, mais je le fais quand même. On peut essayer de faire comme si rien s'était passé ?

Téo l'observa de nouveau. Il semblait sincère. Elle le respectait pour avoir mené son idée jusqu'au bout, même si elle ne savait plus où se mettre. Elle ne voulait pas le perdre, simplement parce qu'elle était amoureuse d'un autre. Non, elle voulait qu'ils restent amis.

– Évidemment.

Elle lui offrit un sourire qui, elle l'espérait, n'était pas trop crispé. Sarpentyn dévoila de nouveau ses fossettes, rassuré. Puis, alors qu'ils se réconciliaient, l'estomac de Téo gronda.

– Argh, pardon, s'excusa-t-elle tandis que Sarpentyn avalait la goutte. Comme tu avais dit dix-neuf heures, je n'ai pas eu le temps de manger. Je pensais m'arrêter dans une auberge au retour.

Une étincelle brilla dans les yeux de son ami.

– On a qu'à y aller ensemble. En toute amitié. Je te jure que plus jamais, je te demanderai de devenir ma compagne. Ça pourrait sceller un pacte.

– Bon, d'accord, faisons ça.

Et, au fond d'elle, Téo souhaita à Sarpentyn de trouver une fille encore mieux qu'elle.
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Publié le 08/10/2022

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