Chapitre 2.II

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  – 𝓙e vais prendre un peu l'air, déclara Synolab en reposant sa chope.

  – Grouille-toi ! Eh, tiens, prends c'la ! C'la va t'faire du bien, tu vas voir ! s'exclama une ouvrière en lui envoyant un objet.

  En le réceptionnant, il constata qu'il s'agissait d'un bambou de Sethrek. Cela faisait des années qu'il n'en avait pas fumé un, mais il devait bien avouer, il était tenté. Allons, pour une fois, je peux me le permettre, songea-t-il. Les bambous de Sethrek, comme indiquait leur nom, venaient tout droit de ce pays du Continent. Amrynen étant la Cité du Commerce, c'était ici qu'on les réceptionnait, avant de les distribuer dans toute l'Astriale. Leurs vertus apaisantes étaient très prisées par les Astrilais de tout rang, mais Synolab savait que, sur lui, cela le détendrait seulement un peu.

  Il remercia l'ouvrière, avant de sortir. La nuit était fraîche contrairement à la journée, il fallait l'avouer, et il ne pensait pas qu'il s'était tant attardé. Maintenant, il espérait juste que Bena, l'amie chez qui il logeait, ne s'inquiéterait pas, même s'il en doutait.

  Il n'y avait personne d'autre dehors, ce qui lui fit du bien – il commençait à en avoir marre de la cacophonie qui régnait dans la taverne. Il aimait bien le silence aussi, de temps à autre. Un veilleur de nuit passa devant lui, terminant d'allumer les derniers lampadaires de son secteur. Synolab le salua, avant d'allumer son bambou à un flambeau qui illuminait le porche.

  Il s'assit sur la marche, tout en laissant de la place pour si quelqu'un voulait entrer, puis porta le bambou à ses lèvres. Il inspira, savoura sa bouffée avant de la souffler par le nez. Il avait oublié la sensation que donnait ce genre de produit, même s'il n'en avait jamais abusé. Il n'était pas comme Lily, qui était toujours dans la démesure.

  Il était en train de profiter du silence (et de son bambou), lorsqu'il vit une silhouette dans le noir. Étant pile sous la source de la lumière, il avait du mal à voir correctement, toutefois, il était certain que cette personne n'était pas dans son élément.

  – Je peux vous aider ? demanda-t-il.

  La silhouette sursauta, cherchant la source de la voix. Synolab fut amusé de voir que ce jeune homme (car c'en était un) semblait totalement perdu. Il lui fit signe de loin, et l'étranger (il voyait mal un Amrynois se comporter ainsi) l'aperçut enfin.

  – Je vous prie de bien vouloir m'excuser, mais je suis perdu, avoua celui-ci.

  – Vraiment ? Je pensais juste que vous vous amusiez à profiter de cette magnifique cité la nuit, alors que l'on n'y voit rien, répliqua-t-il en reprenant une bouffée du bambou.

  Il ne pouvait s'en empêcher, le sarcasme faisait partie de lui. Heureusement, l'étranger sembla comprendre qu'il se moquait de lui. Il se tordit les mains, comme prit en faute.

  – Sauriez-vous où se trouve l'auberge du Poisson d'Or, s'il vous plaît ?

  – L'auberge du Poisson d'Or ? répéta Synolab. Etoye, évidemment. Par contre, je tiens à vous dire qu'elle se trouve à l'opposé d'ici.

  – Oh.

  La mine déconfite du jeune homme le fit ricaner, un son qu'il savait déplaisant. Il secoua la tête, avant de se lever, le bambou coincé entre les dents, et s'épousseta.

  – Vous savez, il n'est pas très prudent de se balader seul dans Amrynen de nuit, surtout quand on ne connaît pas la cité. Vous auriez pu tomber dans un des mauvais quartiers, et on vous aurez passé au fil de l'épée, expliqua Synolab.

  – Je sais me défendre.

  Il le jaugea rapidement. Etoye, cet étrange étranger savait se défendre... comme un bourgeux. Non pas que ceux-ci étaient mauvais, mais il était vrai que, face à un bon mécréant, il serait vite mort. Synolab avait certainement affaire à un fils cadet qui, n'étant pas héritier de la fortune de ses parents, se cherchait sa propre voix. Et, en Amrynen, il n'était pas rare d'en croiser ; après tout, le port était une porte de sortie amenant tout droit au Continent ou aux Îles de Glace.

  – Si vous devez aller au Poisson d'Or, vous êtes mort, affirma Synolab.

  – Pardon ?

  – Si vous y allez par le chemin le plus court, vous tomberez sur une bande de mendiants qui se retrouvent chaque nuit pour protéger leurs maigres possessions ; et, il se trouve qu'une personne affamée en vaux dix en bonne santé. Gros risque de se faire battre à mort. Si vous tentez d'éviter ce quartier, vous tomberez sur le port ; et, de nuit, celui-ci regroupe non seulement une multitude de soldats qui protègent les bateaux, mais aussi plusieurs pirates – croyez moi, ils ne font pas de distinctions. Mort par égorgement. Enfin, si vous prenez la dernière direction que se propose à vous, je vous conseille de bien vous protéger ; certes, il n'y a pas de Voleurs dans cette région, mais sachez que nous avons une belle brochette de chapardeurs – certains d'entre-eux aiment d'ailleurs voler des vies. Couteau en plein cœur.

  – Je croyais qu'Amrynen était une cité sûre, grimaça le jeune homme.

  – Oh, elle l'est : mais uniquement de jour. Vous connaissez le dicton amrynois : jour de mensonge, nuit de vérité. Le jour, nos brigands sont de parfaits citoyens, or ils ont besoin de s'exprimer, donc on leur laisse la nuit pour qu'ils ne s'attaquent pas aux habitants – prévenus – la journée. Après, si un de ces derniers ont la mauvaise idée de faire une sortie de nuit, la seule chose que nous pouvons faire, ce sont punir les brigands. Cette méthode a permis une baisse de trente pourcent de la criminalité en trois ans.

  L'étranger resta silencieux quelques secondes, en pleine réflexion. Le regard dans le vide, il semblait à la recherche d'une solution. Synolab eut le temps de prendre trois bouffées du bambou, avant que le jeune homme reprenne la parole.

  – Cependant toutes ces personnes, à l'intérieur, ne vont-elles pas avoir du mal à rentrer ? demanda-t-il.

  – Les trois quarts habitent dans le quartier, les autres vont s'écrouler sur table bientôt, et le tavernier les laissera là jusqu'au lever de l'aube.

  – En conclusion, je suis dans un casse-tête sans nom.

  Le jeune homme avait murmurer ces dernière paroles, tout en blêmissant. Il fit de la peine à Synolab, qui tenta de se rappeler comment il était à cet âge. Enfin, même après avoir plongé dans ses souvenirs, il se souvint qu'il était déjà Assassin à l'époque – donc, dans tous les cas, il n'aurait jamais été embêté à ce point.

  – Vous savez quoi ? Je connais quelqu'un qui pourrait accepter de vous héberger pour cette nuit, fit-il en écrasant le reste de son bambou sous son talon.

  – Cela ne vous dérange-t-il pas ?

  – Oh, ce quelqu'un, ce n'est pas moi. Je parlais de la maire. Je serais un très mauvais associé si je ne faisais pas attention aux Amrynois et aux visiteurs.

  L'étrange étranger sursauta, et le dévisagea sans vergogne. Synolab arbora un sourire sournois.

  – Bon, je vais aller prévenir mes collègues que je suis épuisé. Attendez-moi là, déclara-t-il en allant à l'intérieur de la taverne.
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Publié le 23/07/2022

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