Chapitre 20.III

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𝓐bsolyn fronçait les sourcils (enfin, plus qu'à l'ordinaire) devant la multitude de documents s'étalant devant lui. Bien qu'associé de Telia, il gardait tout de même son siège de la défense au conseil, et avait accès, en conséquences, à de nombreuses informations. Des informations, sur Amrynen, mais également sur le nord de la Solyn.

– Âme noire et pet de Tenebris, jura-t-il tout bas.

Il aurait tout aussi bien pu le faire à voix haute. Depuis quelques jours, il passait la quasi totalité de son temps chez Telia. Pas parce qu'ils étaient amants, non, parce que c'était bien plus calme que chez Bena. Bien entendu, Absolyn s'était expliqué auprès de son amie. Elle n'avait pu nier que les allées et venues de ses livreurs provoquaient bien du bruit.

Si bien qu'il restait chez Telia. C'était bien plus calme. Déjà, il n'y avait que trois domestiques – un vieux cuisinier, un homme de ménage, et la palefrenière, Eryn. Tous étaient particulièrement discrets, au grand bonheur d'Absolyn. Ensuite, Telia elle-même devait travailler à la mairie, et ne le déconcentrait pas. Enfin, la table du salon était si immense qu'il avait pu s'étaler à sa guise.

Ce dernier point était le meilleur. Absolyn était plutôt désorganisé. Il était du genre à laisser ses affaires traîner – cela désespérait Bena, même s'il faisait des efforts. Donc pouvoir laisser son bazar en place l'enchantait.

Surtout quand il remarquait quelque chose.

On posa une main sur son épaule, et il sursauta comme s'il venait d'apercevoir un serpent.

– C'est moi, fit la voix de Telia. J'ai oublié un dossier, je venais le chercher. Je t'ai entendu jurer. Quelque chose ne va pas ?

– Oh, moi, je vais très bien (Absolyn tapota du bout de son crayon une feuille). Par contre, je commence à comprendre pourquoi l'Astriale se porte si mal.

Telia ne répondit pas, mais tira une chaise avant de se laisser tomber dessus. Toujours aussi gracieusement, évidemment.

– Dis-moi tout, ordonna-t-elle.

– Tu ne dois pas repartir à la mairie ?

Elle fit un geste désinvolte de la main.

– Ils pourront bien se passer de moi une demi-heure de plus. Alors, que se passe-t-il ?

– Eh bien, tu te rappelles ces dossiers que je t'ai demandé ?

– Évidemment. Je te rappelle que j'ai dû négocier pour les obtenir.

Elle n'avait pas tord. Lorsque Absolyn avait parcouru les dossiers qu'ils possédaient, il avait remarqué une chose étrange. Ainsi, pour vérifier sa théorie, il avait demandé à Telia s'il n'y avait pas moyen pour qu'il consulte les informations des autres régions. Elle avait dû se montrer sacrément persuasive, car il n'avait pas tardé à les tenir entre ses mains.

– Regarde ça (il saisit une feuille). Il s'agit du compte-rendu de l'attaque des plaines du Solyn, d'il y a cinq ans.

– Oui, et alors ? Tout le monde connaît l'existence de ce rapport.

– Je sais, laisse-moi poursuivre. L'attaque des plaines du Solyn de 1425 est le premier massacre d'une série assez sombre. Pendant une grosse année, jusqu'en Canciner 1426, tous les Astrilais étaient morts peur. Or, d'un coup, tout s'est arrêté. Comme ça. Et tous ces massacres ont été imputés aux Selestems Ouroboros.

– Es-tu en train d'insinuer que les Ouroboros n'ont rien fait ?

– Non, fit-il en secouant la tête. Non, ils sont bien les investigateurs. Regarde, voilà le compte-rendu de Val-de-Pierre, de 1428. Le massacre de Val-de-Pierre est particulier. En fait, c'est une mine d'informations. Non seulement, on a enfin pu donner un nom aux Ouroboros, grâce à ce Kanwill Melym, le fils de Noal Vierge, mais en plus, il montre que les Ouroboros ont des dissensions intérieures. On a fait le rapport entre ce massacre et ceux de 1425 et 1426 à cause du mode de fonctionnement, qui était le même.

– Et ?

– Et je pense que Madame Draner n'était pas là à la création des Selestems Ouroboros.

Telia cilla plusieurs fois, perturbée. Absolyn la comprenait. Il lui avait fallu des heures et des heures pour saisir tout cela. Cependant, il était certain de ce qu'il affirmait.

– Comment cela ? demanda Telia.

– Je vais m'expliquer. Mais d'abord, écoute-moi encore un peu. L'Astriale était en paix, il n'y avait aucun problème jusqu'à...

  Il laissa traîner, faisant signe à Telia de poursuivre.

– Jusqu'à l'attaque des plaines du Solyn.

– Eh non ! C'est là que nous avons tout faux ! La premier problème remonte en fait à l'attentat de Genibel, en fin 1424. Reyruh Cancer, le prédécesseur de Joal-Marx Cancer avait tenté de faire assassiner Fanie Bélier, qui a été sauvée à la dernière seconde par un certain Milho Darcov.

– Cela me dit quelque chose, en effet. Ah oui, c'est cet hiver-là où tu as eu la gentillesse de faire tomber de la neige sur moi.

– Exactement. Tu l'avais un peu cherché en même temps. Enfin bref, poursuivit-il, je pense que cet attentat a donné des idées au premier chef des Ouroboros.

– D'où les massacres qui se sont enchaînés.

Etoye. Je pense que Madame Draner a intégré les Ouroboros en... hum, je dirais environ 1426, du coup. Elle ne devait pas avoir beaucoup d'importance, je pense, mais elle a su intégrer ses idées.

– En arrêtant les massacres, pour passer à un autre mode d'action.

– Exactement, répéta-t-il. Ça n'a pas dû plaire à ce premier chef, qui a ordonné le massacre de Val-de-Pierre. Or, il a fait une erreur, et après ça, soit Madame Draner a pris le pouvoir, soit il lui a été donné.

Telia le dévisagea quelques instants, consulta les divers dossiers, avant d'acquiescer.

– Cela se tient. Mais à quoi cela nous avance ?

– Pas à grand-chose, reconnut-il avec un soupir. Enfin, il y a quand même eu un autre chef. Peut-être qu'il commettra d'autres erreurs. Je l'espère. En tout cas, ça nous montre que cette Madame Draner, c'est un génie. Elle a su se faire une place, a révolutionner leur mode de fonctionnement. À mon avis, si on avait des statistiques, je serais prêt à parier que le nombre d'adhésions aux Selestems Ouroboros a triplé depuis qu'elle dirige.

Telia acquiesça, se leva, avant de faire les cents pas. Absolyn la regarda faire, avant de reporter son attention sur ses notes.

– Nous ne pouvons malheureusement rien faire de ces informations, je le crains, reprit-elle. C'est trop léger, nous manquons de preuves. Tes déductions sont justes, mais cela reste des déductions. Rien ne prouve ce que tu dis. Elles ne seront pas acceptées. Cependant, je pense que cela pourrait nous être utile. J'ai quelques contacts, bien placés. Je leur en parlerai. Réorganise-moi bien tout cela, fais-en un dossier bien clair. Cela dégage un profil particulier. Peut-être que Madame Draner sera plus repérable. Mais qui peut-elle bien être ?

– Si je le savais, je te l'aurais dis, grogna-t-il en commençant à ranger.

Il détestait qu'on lui donne des ordres. Cela le mettait de mauvaise humeur. Telia parut s'en rendre compte, car elle passa ses bras autour de lui, dans son dos. Elle l'embrassa sur la joue.

– Madame Draner est peut-être un génie, tu l'es également, affirma-t-elle.

– C'est ça, brosse-moi dans le sens du poil. Ça me rassure de constater que tu ne me considères pas comme le dernier des idiots. En fait, tu pourrais le répéter, s'il te plaît ? J'aime beaucoup quand on me fait des compliments.

Telia s'esclaffa, mais s'exécuta, et Absolyn l'attira sur ses genoux pour l'embrasser. Il savait qu'elle devait retourner à la mairie, et qu'il devait préparer son dossier, mais pour l'instant, il s'en fichait.
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Publié le 26/11/2022

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