02 | Aquilino Lehum

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Sur Liverport, les mœurs étaient d'une tout autre nature. La ville, perdue dans les méandres de l'océan, avait forgé sa réputation sur une bien curieuse tolérance. Ici, nul ne se souciait de ce que vous faisiez de vos nuits, que vous préfériez la compagnie d'hommes ou de femmes. Tout était affaire de choix personnel, et le Soprano avait érigé cette philosophie en principe sacrée.

Bien sûr, on croisait parfois ces ombres furtives, enveloppées dans des capuches, dissimulées derrière d'épaisses lunettes de soleil. Elles se glissaient dans l'enceinte du Soprano avec la discrétion d'espions, s'effaçant presque aussitôt après avoir réglé leurs affaires. Leurs regards, empreints de nervosité, balayaient frénétiquement les alentours, comme pour s'assurer qu'aucun visage familier ne les avait repérés, prêts à dévoiler leurs escapades à leurs proches.

Que vous veniez chercher un peu de douceur dans une soirée morose ou que vous préfériez vous égarer dans les recoins les plus sombres de vos désirs, le Soprano garderait le secret.


Lino entra dans le club, suivi de près par Left, David, Manuel et Alfred. Le lieu était plongé dans une pénombre tamisée, mais les regards se dirigèrent presque aussitôt vers eux.

Lino aurait voulu qu'il en soit autrement, mais sa présence était toujours remarquée. Sa démarche, son costume noir qui semblait le fondre dans l'obscurité, chaque détail était calculé pour passer inaperçu. Ce soir, ses cheveux noirs, résistant à la gravité terrestre, étaient nonchalamment coiffés en arrière, dégageant son visage aux traits fins et séduisants, révélant les angles tranchants de sa mâchoire. Ses yeux ambre, scrutateurs et presque félins, étaient éteints et n'exprimaient plus que la lassitude.

Près de lui, Left affichait une expression sérieuse. Il était vigilant et avait déjà balayé du regard tout le salon, n'hésitant pas un instant à maintenir chaque contact visuel. Left était très svelte, mais ça ne l'avait jamais empêché de gagner ses combats. La différence s'était toujours faite grâce à sa résilience alimentée par la rage. Quand il s'agissait de Lino, il était très protecteur. Il l'avait élevé presque comme son propre fils, aux côtés de son père, et avait toujours pris cette responsabilité à cœur.

Derrière eux, David, Manuel et Alfred suivaient en silence, leurs expressions impassibles ne laissant rien transparaître de leurs pensées. Ils partageaient pourtant tous la même : ils ne voulaient pas être là.

Yuki les intercepta alors qu'elle revenait vers le bar.

— On t'a fait un carré VIP, dit-elle en désignant derrière eux les deux banquettes en U qu'on avait entourées d'un rideau.

Lino souffla du nez.

— On dirait que le Soprano est en pleine effervescence ce soir, fit-il remarquer en esquissant un sourire en coin.

Yuki le toisa un instant.

— Oh, Lino, quel sens de l'observation ! C'est ça qu'on aime chez toi, ton incroyable capacité à déduire ce qui est sous nos yeux.

Amusé, Lino accueillit la moquerie et lui passa commande. Elle prit note avec un soupir exagéré et se dirigea vers l'arrière du bar pour préparer les boissons.

Les cinq hommes en profitèrent pour prendre place dans leur nouveau « Carré VIP ». Il était placé proche du bar et en face de la scène. Sur l'estrade, il n'y avait que le matériel de la musique qui jouait en arrière-plan.

La jeune femme revint avec son plateau et disposa leurs verres sur la petite table. Tandis qu'elle s'affairait, Lino se pencha légèrement vers elle et lui murmura :

— Au fait, tu te souviens du type qui était allongé sur la banquette ce matin ?

Yuki arqua un sourcil, affichant un semblant d'intérêt.

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