Raphaël était angoissé. Il avait déjà joué en public, dehors, en faisant la manche, mais jamais dans une salle. Jamais pour des gens qui étaient spécifiquement venus pour lui.
Son regard se perdit dans le vague.
Aaron allait gérer une partie de la musique. Il lui avait fait une démonstration et s'était approprié le clavier électronique et la table de mixage. Ils y avaient mis quelques musiques qu'il comptait interpréter et, pour les trois dernières chansons, il s'agissait de créations personnelles qu'il jouerait à la guitare.
— Ça ira, lui assura Aaron.
Raphaël revint à lui et hocha la tête. Il n'espérait pas une standing ovation, mais il voulait que les clients apprécient et ne s'ennuient pas. C'était une possibilité et c'était celle-ci qui l'étranglait.
L'ouverture n'allait pas tarder et il lui semblait que rien n'était prêt.
— Fais une pause. Et mange un truc, on dirait que tu vas t'évanouir, dit Agate.
Il était assis sur une banquette et les observait depuis le début des préparations. N'y connaissant rien, il s'était contenté d'écouter.
Raphaël acquiesça. Il se releva de son tabouret et descendit de l'estrade. Dans la cuisine, les autres finissaient de manger. Il attrapa le pain qui traînait sur la table et quelques tranches de salami. Il ne s'éternisa pas et retourna sur la scène. Il voulait faire un inventaire et vérifier que tout fonctionnait comme prévu. De retour sur son tabouret, il posa le sandwich sur une baffle et le coupa en triangle comme à son habitude avec le couteau qu'il préférait. Il le mangea petit à petit, replaçant un câble par-ci, testant une enceinte par-là.
Aaron posa la main sur son épaule et lui sourit.
— Détends-toi. Même si quelque-chose déconne, tu pourras toujours improviser.
Il désigna la guitare et resserra ses doigts.
Le moment tant redouté arriva. Raphaël avait enfilé un jean et un haut noirs. Il retroussa les manches au-dessus de ses coudes et se frotta les mains sur les cuisses. Il était toujours dans le dortoir, seul et la tension animait ses muscles contre sa volonté. Il s'assit sur son lit et prit une grande inspiration.
Depuis quand n'avait-il pas été aussi stressé ? D'ailleurs, depuis quand n'avait-il pas ressenti autant d'émotions vives ?
Il lui semblait se réveiller d'un coma de plusieurs années.
Il prit son courage à deux mains et se leva.
En bas, le salon était rempli. Pas autant qu'au premier concert, mais plus qu'à l'accoutumée. Quand il eut posé le pied sur la scène, l'angoisse se dissipa.
Raphaël s'assit sur son tabouret, régla son micro et balaya la salle du regard. Il ne voyait pas grand-chose avec le projecteur, mais pouvait deviner les visages tournés vers lui. Un silence s'installa.
— Salut, dit-il en laissant traîner la dernière syllabe.
Quelques petits rires s'élevèrent et Raphaël sourit. Aaron appuya sur une touche au hasard et le son traversa les haut-parleurs. Il tourna la tête vers son ami et lui fit signe que tout était bon.
— Je sais pas comment on commence un concert alors vous ferez avec.
Nouveaux rires, cette fois plus nombreux.
Aaron envoya la bande de la première chanson et se prépara à pianoter pour les arrangements qu'ils avaient convenus. Raphaël se redressa et ses doigts s'enroulèrent autour du pied du micro. Il ferma les yeux. Les premières paroles traversèrent ses lèvres et il les rouvrit. La surprise s'était peinte sur leurs visages. Aaron aussi avait ouvert de plus grands yeux. Il ne l'avait pas encore entendu chanter et sa voix lui parut complètement différente.
Il attaqua les aigus du refrain et les poils de ses avant-bras se hérissèrent. Le son était bon, il était bien en place sur la musique et tout le monde était captivé.
La chanson prit fin et Raphaël se recula du micro pour prendre une inspiration. La salle se remplit d'applaudissements et il resta interdit. Il se contenta de quelques mouvements de tête et s'apprêta à poursuivre. À la fin de chacune des chansons, il avait le droit aux applaudissements et sifflements.
Du coin de l'œil, il vit entrer plusieurs ombres qui s'installèrent dans le carré VIP. Sa joie se noya dans l'acide et il lança un regard noir vers les nouveaux arrivants. Il attrapa les feuilles de textes sur la baffle et sa main rencontra le couteau qu'il n'avait pas rangé.
— La prochaine, c'est moi qui l'ai écrite, dit-il en attrapant sa guitare.
— Aïe. On va avoir le droit à des poèmes d'adolescent ? Plaisanta l'un d'eux à une table ronde très proche de l'estrade.
Raphaël hocha la tête.
— Ouais. Prépare-toi à tout savoir sur mes premières éjaculations.
Toute la salle rit.
Pour cette chanson, Aaron avait tout de même fait quelques modifications pour ajouter une mélodie que Raphaël lui avait fait pianoter. Et grâce à une pédale à ses pieds, sous le micro, il pouvait ajouter une réverbération à sa voix. Il allait s'en servir pour quelques mots. C'était comme ça qu'il l'avait imaginée.
Cette chanson était plus douce. Il l'avait écrite mentalement lorsqu'il traversait le sud du pays pour se rendre en Floride. Elle correspondait parfaitement avec ce qu'il ressentait aujourd'hui. S'être imposé le silence, s'être enfermé dans l'indifférence pour finir par poser les choses et accepter la chaleur qui grandissait en lui.
Il reposa la guitare sous les acclamations. Il releva les yeux et contempla la salle. L'intensité du projecteur diminua et il put enfin distinguer tout le monde.
— Bien, le poème ? Demanda-t-il à l'homme qui l'avait interpellé plus tôt.
En guise de réponse, il lui sourit à pleines dents.
Un mouvement dans le fond attira son regard et son sang ne fit qu'un tour. Sa main saisit le couteau. Il se releva et le lança à travers la salle.
Alors qu'il revenait à sa place, Lino se figea. La lame se planta dans la poutre en bois, juste devant ses yeux. Il l'avait loupé de peu. Il tourna la tête vers la scène et quelques-uns de ses cheveux s'arrachèrent, piégés. Raphaël le fusillait du regard.
Le silence perdura quelques minutes avant que la musique habituelle ne soit lancée par Aaron et que les lumières tamisées se lancent, les plongeant tous dans l'obscurité.
Quand tous les clients furent partis, Agate délogea le couteau de la poutre en bois. Le bureau était fermé quand il l'avait lancé, Louka et Calista n'avaient rien vu. Ils allaient le savoir, mais pas pour l'instant.
— Joli lancé, dit-il.
Raphaël haussa les épaules.
— J'ai de l'expérience avec les lames.
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Liverport
ActionEnrôlé de force dans une maison close, Raphaël est confronté à Lino, le mafieux captivant qui règne sur la ville de Liverport, île connue pour sa festivité et sa lascivité. Deux ans après la disparition de son père, Lino se trouve contraint de pren...