23 | Esteban Vanestre

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Lino se massa le cuir chevelu et les tempes. Il regardait défiler le paysage depuis le siège passager et chaque infime lumière frappant sa rétine venait raviver la douleur.

— Mal au crâne ?

Il hocha lentement la tête. Left s'arrêta au feu rouge du carrefour désert et l'examina d'un coup d'œil. Le ciel commençait à rougir et on pouvait déjà apercevoir le croissant de la lune.

— C'est quand la dernière fois que tu as mangé ?

Lino soupira. Il souffrait de troubles alimentaires depuis des années. Il lui arrivait de ne pas manger, ou pas suffisamment, durant de longues périodes ; jusqu'à ce qu'il ne tienne plus debout.

— J'ai déjeuné...

Le feu passa au vert. Left l'observa encore un instant avant de relever le pied du frein. Il perçut plus loin un bruit de moteur puissant et, avant qu'il ne puisse même y penser, on les percuta de plein fouet. La voiture se retourna et fut projetée à travers le carrefour. Elle glissa sur le toit et s'écrasa contre un réverbère autour duquel elle se plia côté conducteur.

Lino reprit son souffle. Devant lui, le pare-brise était constellé d'impacts, si bien qu'on ne pouvait plus voir au travers. Il venait de comprendre qu'ils avaient eu un accident, mais son esprit ne pouvait que se repasser le bruit assourdissant et rien d'autre. Il tourna la tête. Sa vitre avait explosé, répandant des bouts de verre partout. Il savait qu'il devait s'extraire de l'habitacle, mais l'idée de ramper sur les morceaux ne le réjouissait pas. Dehors, il vit quelqu'un sortir du 4x4 qui leur était rentré dedans. Il ne pouvait voir que ses jambes, mais à sa démarche assurée, il n'avait aucun doute sur le fait que l'acte ait été intentionnel. Deux autres personnes sortirent du véhicule. Lino essaya de dire quelque-chose, mais sa voix ne produisit qu'un son grinçant. Il chercha à tâtons le fermoir de sa ceinture et se détacha. Il posa les mains directement sur le verre éparpillé et se laissa tomber. Il eut le temps de discerner le côté de Left, complètement bloqué par le lampadaire, et le sang qui gouttait sur le plafond de leur berline. Quelqu'un le saisit et le traîna en dehors de la voiture. Il essaya de se relever, mais l'homme le bascula et posa un genou entre ses omoplates. En quelques secondes, le monde s'obscurcit autour de lui et le néant emporta sa conscience.

Une brise légère, encore chaude, lui caressa le visage. Il pouvait percevoir le son des vagues et le doux tangage qui le berçait. Il rouvrit les yeux sur un ciel étoilé.

— Bonsoir.

La voix était grave et le ton suave.

Lino balaya du regard tout autour de lui. Il était allongé sur le pont d'un bateau. Il s'appuya sur les coudes pour se redresser. En face de lui, appuyé contre la rambarde, un homme se tenait bras croisés. La lumière s'alluma sur le pont. Il savait qui se tenait devant lui, mais l'homme était différent des quelques descriptions qu'on avait pu lui faire.

— On est où ?

— Sur mon yacht. Il est joli, n'est-ce pas ? Répondit Esteban Vanestre.

— Il est sublime. J'ai des trucs à faire, là... donc je vais y aller.

Lino se remit sur ses pieds et constata qu'ils étaient à plusieurs mètres de la côte. Esteban n'était pas seul, il put compter cinq autres hommes sur le pont autour de lui.

— Je ne pense pas que tu ailles très loin.

Lino eut un flash de l'accident. Il se rappela des hommes autour de la voiture et du sang qui coulait sur le plafond. L'angoisse lui serra la gorge. Avant de s'évanouir sous l'effet de la drogue qu'on lui avait injectée, sa dernière pensée avait été qu'ils allaient incendier la voiture alors que Left était toujours à l'intérieur. Lino faillit vomir. Il se tourna vers le bastingage et s'y accrocha.

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