48 | Du verre et des os

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Dans l'obscurité tamisée du Soprano, une dizaine d'hommes s'étaient regroupés autour d'une table ronde, trop petite pour accueillir à la fois leurs verres et leurs coudes. Parmi eux, Jean-Baptiste et Julien, deux habitués inséparables. Depuis six ans, ils passaient leurs soirées au Soprano, refuge nocturne devenu leur deuxième maison.

— J'espère que la fête d'Halloween sera plus spectaculaire que l'an dernier, lança Léon, debout faute de tabouret.

— Halloween ? On est en août, Léon, reprit Jean-Baptiste avec un sourire moqueur.

— Je sais, mais j'y pensais... Sauf pour les araignées, quelle horreur, j'ai failli me barrer ! Avoua Léon, frissonnant à l'évocation.

— Moi, je préfère Noël, intervint Jean-Baptiste, détournant la conversation.

— C'est vrai qu'on finit toujours par le passer ici, ajouta Julien, presque mélancolique.

— Trouvez-vous quelqu'un ! s'exclama un autre homme. Vous allez pas finir vos jours ici, quand même !

— Ça ne nous dérange pas, répondit Julien avec un sourire tranquille. C'est devenu une tradition.

Autour de la table, les rires se firent entendre, sauf celui de Mack, marié depuis quinze ans et père de deux petites filles de huit et douze ans. Il n'avait jamais trompé sa femme, mais depuis cinq ans il fréquentait le Soprano. Cependant, il ne s'autorisait aucun contact avec les garçons du Soprano, en dehors de banales conversations et de ses rêveries personnelles.

— Pas cette année, les mecs, intervint Mack. Je mange avec ma femme à Noël et pour Halloween, c'est moi qui sors les gosses...

— Dis-moi, Mack, quand tu comptes dire à ta femme que tu la trompes avec nous ? taquina Jean-Baptiste, le sourire acéré.

— Ferme-la, JB, je fais que regarder, rétorqua Mack.

Julien lança un regard réprobateur à Jean-Baptiste, qui haussa les épaules en signe de fausse innocence. Leur amitié était marquée par ce genre de petites piques, un jeu que seul Julien savait modérer.

— Perso, à Halloween, je vais bouffer des bonbons devant "Trick 'r Treat", dit un autre homme, plus jeune que les autres.

— Désolé de te décevoir, Finn, mais toi, tu es de service pour la soirée au Soprano, dit Jean-Baptiste avec un sourire espiègle.

— Quoi ? Mais pourquoi ?

— Parce que tu es le dernier arrivé. On décidera donc à ta place jusqu'à ce que ton ancienneté te permette une émancipation, continua Julien, lançant un regard complice à JB.

Finn croisa les bras, résigné.

— Ça sera toujours les mêmes pour Halloween ? demanda Léon, l'air inquiet.

— Pourquoi remplaceraient-ils les garçons ? répondit Julien.

— Pour un peu de changement. Ça fait un moment qu'on voit les mêmes. Genre, Agate, depuis combien d'années il est là ?

Les hommes réfléchirent un moment.

— Il était là avant nous, plaisanta Julien.

— Oui, donc ça fait un bon moment !

À quelques mètres au-dessus, cachés derrière la balustrade du balcon, Raphaël, Allan et Agate avaient laissé trainer une oreille attentive.

— Ils vont nous faire tuer, ces abrutis !

— Calme-toi, Allan, on ne risque rien, répliqua Agate, l'air impassible.

— Tu paries ? Si ces mecs se plaignent de voir les mêmes têtes tous les soirs, on est foutus.

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