Liverport

18 | Du poison dans les veines

Raphaël s'installa sur son tabouret et ajusta la hauteur du micro. À sa droite, Aaron lança une musique de fond interpellant les derniers clients qui ne l'avaient pas vu monter sur scène. À sa gauche, Allan était semi allongé sur un siège très bas, trop long pour être un simple fauteuil et trop court pour être une chaise longue. Il l'observait attentivement, déplaçant son regard sur les objets avant même que Raphaël y ait porté son attention. Il avait déjà un rituel de préparation que ses deux amis avaient pu observer. Quand il fut prêt, il releva la tête vers la salle et resta silencieux. Les discussions cessèrent ainsi que les mouvements parasites. Plusieurs secondes s'écoulèrent encore avant que Raphaël ne sourit.

— Salut.

Aaron lança un petit regard au fond de la salle. Agate, penché sur la ceinture d'un client, le vit du coin de l'œil et attrapa une petite télécommande blanche dans la poche arrière de son pantalon. La lumière se tamisa et deux spots blancs illuminèrent la scène. Raphaël cligna plusieurs fois pour soulager ses yeux éblouis.

— Comment ça va ?

Petits rires et regards amicaux dans la salle.

— Tranquillement, répondit la voix d'un des habitués au bord de l'estrade.

— Moi aussi, dit Raphaël avant de s'incliner sur le côté pour voir ses feuilles.

Bien souvent, il écrivait ses chansons quelques heures avant de chanter ou la veille pour le lendemain ; si bien qu'il oubliait souvent les paroles et jetait de fréquents coups d'œil à ses textes posés sur une enceinte à sa droite.

Les musiques étaient créées par Aaron sur sa table de mixage et Raphaël prenait la partie guitare, s'il avait prévu de jouer. C'était selon son humeur.

Allan était arrivé depuis une semaine et avait pris ses marques. Il avait pu assister à deux représentations et s'était invité sur la scène pour aider ou même pour être une voix d'accompagnement.

— Nouvelles chansons ? Demanda une autre voix que Raphaël ne put identifier.

— Tu m'as déjà entendu chanter deux fois la même chose ?

— C'est la première fois que je viens.

Raphaël plongea les yeux dans ceux de son interlocuteur une fois qu'il l'eut repéré.

— Bienvenue, dit-il en abordant un air volontairement sombre.

— Merci... Enfin, je suppose.

Aaron lança la musique de la première chanson, prenant Raphaël au dépourvu, comme bien souvent.

— Trop de blabla, dit-il faussement blasé.

Raphaël commença sa chanson en yaourt, ne se souvenant plus des paroles, en cherchant le bon texte du regard, déclenchant de nouveaux rires dans la salle.

Le Soprano commençait à se repeupler et c'était bien grâce à ce spectacle. Les discussions qu'ils menaient, les chansons, les blagues qu'ils se faisaient entre eux, tout ça entretenait une bonne ambiance et tendait à chasser les mauvaises ondes de la maison et ses mauvais souvenirs.

Allan suivit Dany du regard, le voyant monter et descendre, accompagné ou non. Yvan s'était isolé avec un client en début de soirée et n'avait toujours pas resurgi. D'après ce qu'il avait pu comprendre, il avait les clients du genre « Non, mais, je suis pas homo, moi ! » et sa version douce « Je ne veux que discuter ». Ça finissait pourtant toujours pareil car ils recherchaient en réalité tous la même chose. Yvan les dépassait tous en taille, d'ailleurs il dépassait tous les autres Sopranistes de par son mètre quatre-vingt-dix. Il était le seul à pouvoir regarder Louka dans les yeux sans devoir lever la tête. Son attitude générale ne reflétant pas sa sincère gentillesse et sympathie, les clients pensaient souvent qu'il était quelqu'un de violent. Il avait fini par en jouer ; le rôle du dominateur brutal lui plaisait bien.