09 | Trois jours

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Penchée sur le livre de comptes, Calista lançait par intermittence des coups d'œil aux écrans de sécurité. Le salon était presque vide. Elle tourna les pages sans les regarder, machinalement. Elle avait remarqué que la fréquentation avait significativement baissé au fur et à mesure des années.

Le Soprano avait été créé par leurs parents, Ingrid et Shawn, il y a de ça deux décennies et n'avait pas connu de changement majeur, à l'exception de ses pensionnaires.

Et du parquet du salon, pensa-t-elle.

La situation n'évoluait pas en s'arrangeant.

Elle se souvenait du Soprano de son enfance. Louka et elle n'avaient pas le droit de traîner en dehors des appartements de leurs parents. Ça ne les avait jamais empêché de le faire. Ingrid les grondait et Shawn lui disait, un petit sourire aux lèvres :

« Laisse-les. »

Louka et elle s'asseyaient par terre et regardaient entre les barreaux du balcon. La maison était bien différente autrefois. Les passes pouvaient se faire au beau milieu du salon, à la vue de tous, ça ne posait aucun problème. Et pour les enfants qu'ils étaient, ça ne signifiait rien. Ils voyaient passer beaucoup de monde. Les jeunes hommes qui vivaient ici pouvaient aussi changer du jour au lendemain. Ils n'avaient pas l'autorisation de leur parler ou de monter dans leur dortoir. En fait, ils devaient faire comme s'ils n'existaient pas.

À cette époque, la salle était remplie, très souvent, mais la population qui le fréquentait était bien différente aussi. On appliquait une certaine étiquette aux clients du Soprano. C'était l'une des raisons pour lesquelles il était déserté aujourd'hui.

Elle se perdit dans les écrans de surveillance. Les garçons n'étaient pas aussi entreprenants que d'habitude. Dorian était installé au bar. Elle ne voyait pas son visage, mais devinait par son attitude qu'il était un peu ivre. Les garçons n'avaient pas le droit de consommer. C'était un point particulièrement important pour Louka et elle. Elle se rappelait des pensionnaires évanouis sur les banquettes ou dans les chambres. Il y a quinze ans, ça n'aurait posé de problème à personne, mais l'image de la maison était déjà bien trop entachée.

Calista soupira et se leva, décidée à faire un petit tour en salle pour prendre la température. Elle traversa le couloir pour pouvoir passer devant les chambres. À mi-chemin, elle se retrouva en face à face avec monsieur Harley, cet homme qui aimait tant Aaron, et les jeunes garçons en général.

— Calista, vous tombez bien.

Calista lui sourit poliment. Il payait double.

— Je vous écoute.

— Vous me connaissez, vous savez que je suis loin d'avoir l'habitude de me plaindre, mais j'attends une prestation de qualité...

Elle hocha la tête.

— Aaron n'a vraiment pas été satisfaisant aujourd'hui. J'attends mieux de votre part...

Elle s'apprêtait à répondre quand Louka arriva derrière elle. Il avait entendu la conversation.

— On lui en touchera un mot, merci, répondit-il sèchement.

— Parfait, bonne nuit, dit monsieur Harley avant de s'engager dans l'escalier.

Louka attendit qu'il soit en bas de l'escalier.

— Mais qu'est-ce qu'ils foutent ce soir ?

Calista examina le salon. Les garçons étaient debout en train de discuter avec les clients comme s'ils étaient là eux-mêmes pour boire un verre.

— L'épisode Raphaël les a perturbé. Tu comptes le laisser sortir ?

— Il est très bien là où il est.

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