Sankta ─ SHADOW AND BONE

── Chapitre 36 : HD Haute Résolution.

- Tu n'as jamais eu d'Ombre, Maja. L'Ombre que tu croyais invoquer, c'était la mienne et je te la prêtais.

- Hein? (Je frotte mes mains entre elles, tentant de réactiver mes pouvoirs.) C'est pas possible, comment est-ce que tu aurais pu -

- Brekker avait failli s'en rendre compte - c'était le premier à avoir pensé que la raison pour laquelle ton Ombre ne se manifestait au départ que quand j'étais dans les parages, c'était parce que j'étais un Amplificateur. (Un petit sourire déchire son visage.) Il est bon, ce Brekker, mais pas assez bon.

   Et moi qui mettais cette coïncidence sur le compte des hormones.

   Bon sang. Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer. Je m'adosse contre le dossier de ma chaise pour ne pas chanceler physiquement autant que mentalement. Assis en diagonale en face de moi à la table de la cuisine, Willem aborde toujours encore un air neutre, mais un peu moins confiant qu'avant. Un tout petit peu.

- Donc je n'ai pas de pouvoirs? Juste quand je commençais à accepter tout ça, à accepter le fait que je suis une Grisha d'un autre monde sans que cela sonne trop ridicule, c'est... (Vague geste d'une main.) Faux? Tout est faux?

- Tu n'es pas non plus née à Ravka, à Ketterdam ou où que ce soit d'autre là-bas, ajoute-t-il calmement sans me regarder. Tu es née à Londres, d'une mère qui n'avait rien de Grisha du tout.

   Je dois me concentrer pour que ma respiration ne parte pas dans tous les sens. Ma vision commence à se flouter - je suis contente que ma vision commence à se flouter, car ça veut dire que n'ai pas à voir Willem, Willem Van Eck en HD Haute Résolution devant moi.

- Donc au final, je suis complètement normale, complètement d'ici. Je... je ne sais pas contrôler l'Ombre, je ne suis pas une Grisha, mes parents ne viennent pas d'un autre monde - pourquoi moi, alors? Pourquoi est-ce que quand on m'a trouvée à l'hôpital, j'avais un petit bracelet avec écrit Sankta dessus? Pourquoi est-ce que tu t'es amusé à me faire croire que j'étais quelque chose que je n'étais pas?

   Des larmes me ruissellent le long des joues, mais je n'en ai rien à faire. 

   L'expression «se prendre un coup de couteau dans le dos» prend tout son sens. Ce n'est pas une métaphore. Willem aurait pu me poignarder que cela n'aurait pas possiblement pu faire plus mal que ça.

   Tout est faux. Tout.

   Heureusement que je suis assise.

- Est-ce que tu crois que je voulais tout ça, Maja? (Il se penche vers moi, sa voix moins assurée que d'habitude.) Est-ce que tu crois que je voulais quitter Ketterdam, mon frère, mes amis, ma vie pour me retrouver dans un autre monde à seize ans sans moyen d'y retourner? Est-ce que tu crois que j'ai aimé te mentir? Il a menacé de tuer Wylan, Maja, si je ne faisais pas ce qu'il voulait -

   Willem marque une pause. Il se passe une main sur le visage, détourne la tête. Ses yeux brillent.

- Qui a menacé de tuer Wylan? je demande en essayant de ne pas me laisser influencer par sa réaction.

- Jan Van Eck, bien sûr, répond-il avec un sourire amer. Mon père.

- Et qu'est-ce qu'il voulait que tu fasses, au juste? Que tu prennes la première fille venue, que, pendant cinq ans, tu fasses ami-ami avec elle juste pour préparer un grand spectacle final où tu lui fais croire qu'elle a des pouvoirs?

- C'est compliqué, Maja. Je... (Il soupire, évitant mon regard.) Tu n'es pas la première fille venue. Mon père t'avait soigneusement sélectionné lorsqu'il a effectué sa première traversée à Londres, il y a vingt-et-une années de cela. Il t'a ramené à Ketterdam, t'a... fait passer un certain nombre d'examens, il t'a injecté de l'essence de Grisha. (Son regard croise furtivement le mien. Un léger sourire apparaît sur ses lèvres.) Je m'en souviens comme si c'était hier : il y avait ce bébé qui criait nuit et jour dans le grenier, ce bébé que j'avais envie de jeter dans les canaux de Ketterdam si cela avait pu apporter cinq minutes, juste cinq minutes, de silence à la maison. (Je dois faire une tête qui transmet assez bien ma perplexité, parce qu'il ajoute : ) J'avais quinze ans à l'époque, on sait tous comment les gamins de seize ans sont, ils -