Sankta ─ SHADOW AND BONE

── Chapitre 28 : Pigeons.

   De toute évidence, j'ai été la seule personne dans la bibliothèque un tant soit peu perplexe face à la théorie de Caspian. Lorsque la chèvre a faite son entrée, la tête haute, Jesper et Inej ont échangé un regard qui semblait dire «mais oui, c'est clair!» et Kaz n'a pas réagi, ce qui signifie, pour ses standards, également qu'il devait approuver l'idée. 

- Ce que nous avons omis, a commencé un Caspian pas peu fier de lui, c'est de prendre en compte les paramètres du trajet que nous avons effectué en direction du monde de Maja. Car si l'on place côte à côte l'aller, le retour, ainsi que la tentative échouée de cet après-midi, quelle est la variable qui diffère entre ces trois scénarios?

- Milo, a sobrement répondu Jesper.

   Ont alors commencées les premières protestations de la part du public : Inej a souligné le point très remarquable qu'une chèvre peut difficilement être un Grisha.

- C'est exact, Ghafa, a expliqué le Darkling. Je ne pense pas que ce soit la chèvre qui nous ait transporté du point A au point B, mais plutôt...

- Milo est un amplificateur. (Tous les regards se sont tournés vers Kaz.) A l'aller, les pouvoirs émanaient du Fold et ont été exponentiellement multipliés par la chèvre. Au retour, ce sont ceux de Sankta que Milo a accentués. 

   Tout prenait finalement sens. Dans la mesure où une histoire de voyages extra-mondiaux initiés par une chèvre peuvent prendre sens, bien sûr.

   Alors nous avons réessayé, tout de suite. La nuit commençait à tomber et personne n'avait l'air franchement enchanté à l'idée de traîner près du Fold alors qu'il fait noir dehors, mais j'étais tellement déterminée à partir d'ici que j'aurais été prête à prendre Milo sur le bras et le porter jusqu'au Fold moi-même. Sur le chemin - nous nous sommes coincés à six, chèvre comprise, dans un carrosse que Caspian a fait préparer en urgence -, Inej et Jesper ont essayé de me raisonner - plutôt, de me faire peur - en me rappelant que même si le voyage était un succès, je débarquerai très certainement au milieu du parc régional situé à une heure de Londres au beau milieu de la nuit.

   Certes, cela ne m'enchante pas, mais si c'est le prix à payer, ainsi soit-il. Je ne suis plus à ça près de toute façon. 

- Vous êtes certaine? me redemande Caspian pour la millième fois au moment où je m'apprête à descendre de l'embarcation.

   Tout le reste de la troupe, chèvre comprise, est déjà sorti et il ne reste plus que nous deux dans le carrosse. 

- Vous allez vraiment me laisser partir? je ne peux m'empêcher de demander.

   L'ombre d'un sourire se dessine sur son visage caché dans l'ombre de la nuit.

- Vous savez que cela ne m'enchante pas, mais si c'est ce que vous souhaitez, je ne m'y opposerai pas.

- Et vous ne le faites pas uniquement parce que mon départ correspondrait à une étape d'un plan machiavélique que vous avez prévu, ou quelque chose comme ça?

- L'avenir nous le dira, répond-il énigmatiquement sans que j'arrive à en déduire s'il plaisante ou non.

- Bon. (Je descends du carrosse en m'appuyant sur la portière pour ne pas me casser inutilement une jambe cinq minutes avant de partir.) Si vous ne mentez pas, Caspian, et bien...

   Je retourne la tête, tout à coup un peu mal à l'aise.

- Peut-être que vous n'êtes pas si horrible que ce que vous pensez, dis-je à voix basse. (Il semble quelque peu étonné par ma déclaration très solennelle, alors j'ajoute en parlant normalement : ) D'accord, c'était très bizarre, je sais pas pourquoi j'ai dit ça. Mais si jamais ça peut vous inspirer à faire le bien autour de vous et à aider votre prochain, n'hésitez pas.