── Chapitre 37 : Interphone.

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Après que Willem m'ait tout raconté - c'est lui qui a insisté sur le tout -, j'ai passé le reste de la journée seule dans ma chambre à tenter, plus ou moins en vain de faire le tri dans mes pensées.

Willem n'avait pas l'air ravi lorsque j'ai refermé la porte devant lui, mais il a eu la sagesse d'esprit de ne pas insister. Vu la tête qu'il faisait, je crois qu'il avait un peu peur que tout cela me chamboule en réalité plus que je ne lui ai dit et que je tente de m'échapper en sautant par la fenêtre - après tout, Nina Zenik venait de nous démontrer à tous qu'une fenêtre n'est rien de plus qu'une porte à enfoncer.

Je me suis assise contre le radiateur, les jambes remontées contre moi, et j'ai attendu.

J'ai attendu que les larmes me reviennent. J'ai attendu que mes poumons se serrent jusqu'à ce que je n'arrive plus à respirer. J'ai attendu que je tombe dans les pommes, mon pauvre cerveau humain allant forcément court-circuiter à un moment où à un autre en réalisant vraiment tout ce que Willem venait de m'avouer.

Je n'ai jamais été une Grisha. Je ne suis rien de plus qu'un bébé qui a été kidnappé par Jan Van Eck pour qu'il y mène des expériences scientifiques obscures.

Et Willem le savait. Depuis le premier jour où il est arrivé au Foyer, il savait qui j'étais - Saints, il me connaissait depuis que je n'étais qu'âgée de quelques mois! - et il ne m'a rien dit. Il a prétendu ne pas avoir de famille, a prétendu qu'on était pareil, lui et moi.

S'il ne m'a rien dit de l'autre monde, c'était soi-disant pour me protéger.

S'il m'a fait croire que c'était moi qui avait de l'Ombre, c'était pour ne pas attirer l'attention de Kirigan et des Crows sur lui, qui auraient pu faire le lien avec le nom Van Eck et mettre en danger son frère Wylan.

Toi et Wylan, Maja, a t-il dit. C'est toujours ce qui a compté le plus.

De belles paroles, mais je ne suis pas certaine d'arriver à y croire.

Alors le lendemain matin, j'ai fait ce qui me semblait être ce qui me semblait être le plus logique à faire. Ce n'est très certainement pas une bonne idée, mais rien de mieux ne m'est venu à l'esprit et je ne peux pas me cloîtrer dans ma chambre indéfiniment.

Le lendemain matin, je me suis habillée - j'ai mis le premier jean et le premier pull n'appartenant pas à Willem que j'ai trouvé - et je suis sortie de ma chambre. Willem était en train de prendre son café dans la cuisine. J'ai pris un cabas suspendu sur la poignée du radiateur et je lui ai dit que j'allais faire les courses. Il a proposé de m'accompagné ; j'ai répondu que j'allais y aller toute seule. Willem n'a pas insisté.

Avant de sortir de l'appartement, j'ai refait un crochet par ma chambre pour emporter avec moi mon vieux sac à dos Eastpack recouvert de TipEx dans lequel j'ai entassé des vêtements de rechange, une gourde, trois paquets de nouilles instantanées, ma trousse de toilette ainsi que la corne de Milo.

L'Amplificateur.

Et j'ai disparu dans les escaliers sans me retourner. Une fois sortie de l'immeuble, j'ai demandé à Google Maps de m'indiquer la direction du seul lieu sur lequel je mise tout : l'appartement de Caspian.

Car si Nina, Helvar et Zlatan sont quelque part dans ce monde, c'est probablement là-bas qu'ils ont trouvé un point d'appui. Avec un peu de chance, Kirigan a payé à l'avance quelques mois de loyer - avec un seul rubis de Ravka, il y a de quoi louer une de ces demeures à vie, je suppose - ou l'aurait carrément acheté - le général n'a pas l'air d'être quelqu'un qui aime s'encombrer de paperasse inutile.

Ou en tout cas, c'est ce que j'ai espéré pendant tout mon trajet en métro. Les stations ont défilé à une lenteur inimaginable, mais j'ai fini par arriver à bon port.

Et quel n'a pas été mon soulagement quand, quelques secondes après que j'ai activé la sonnette en bas de l'immeuble, la voix déformée de Nina Zenik résonne à travers l'interphone.

- C'est tellement bizarre! Tu es en bas, mais je te vois ici en image qui... Saints, ça bouge! L'image bouge, comme sur les télévisions - tu sais ce que sont les télévisions, pas vrai? Lève le bras pour voir... Oui, je vois que tu lèves le bras. Fascinant, vraiment! Et tout ça, ce sont des non-Grishas qui l'ont fabriqué?

- Si tu veux, tu peux appuyer sur le bouton qui doit être situé quelque part près de l'interphone. Comme ça, je peux ouvrir la... ah, voilà! Merci bien.

Je pousse la lourde porte, puis entre dans l'ascenseur et appuie sur le bouton menant au neuvième étage. Quand j'arrive en haut, Nina Zenik m'attend sur le seuil de la porte, un Mathias Helvar aux bras croisés et au regard suspect se tenant derrière elle.

- Sankta Maja! m'accueille Nina avec un grand sourire. Cela faisait bien trop longtemps.

- On s'est tous vus hier, dis-je tandis qu'elle accroche son bras au mien pour me faire entrer dans l'appartement. Toi et Helvar aviez tenter d'entrer chez moi par effraction en passant par la fenêtre de la chambre pour me voler mon amplificateur.

- Oh ça, soupire-t-elle en balayant ma remarque du revers de la main.

Lorsque je passe à côté de lui, Mathias se colle contre le mur du couloir comme si j'étais la peste en personne. Quel culot - c'est lui qui m'a kidnappé l'autre fois, pas l'inverse! Si quelqu'un doit se méfier de l'autre, c'est mon rôle à moi, pas le sien.

Nina m'entraîne jusqu'au salon, où Zlatan se tient adossé contre l'encadrement de la porte menant vers la cuisine.

- Tout le monde est là, dis-je en me séparant de mon hôtesse. Parfait, ça nous fait gagner du temps.

- Gagner du temps pour quoi? demande Nina.

Je pose mon sac par terre et en sors l'Amplificateur.

- Pour terminer ce que vous étiez venus commencer hier. (Trois paires d'yeux se braquent sur la corne de Milo.) Vous vouliez que je vous ramène chez vous, ou bien?

Sankta ─ SHADOW AND BONEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant