Sankta ─ SHADOW AND BONE

─ ALINA.

- On n'aurait pas dû partir. (Alina se frotte le bout du nez gelé avec le dos de la main.) On aurait dû l'aider! On savait que Willem Van Eck était un criminel recherché, et on a... on n'a rien fait!

- Ce n'était pas notre rôle, rétorque Malyen. On ne pouvait pas prendre le risque que Kirigan nous retrouve - qu'il te retrouve, Alina.

   De l'autre côté du petit feu de camp qu'ils sont parvenus à allumer malgré le froid des nuits Nord-Ravkannes, Alina pince les lèvres.

   Oui, Mal et lui n'ont pas connu une seule seconde de répit depuis qu'ils se sont enfuis d'Os  Alta, il y a une éternité de cela. Leur périple les a amenés à dormir des centaines de fois à la belle étoile, comme ce soir, à se relayer pour dormir au cas où des soldats d'une quelconque armée les repéreraient - que ce soient des soldats du Darkling ou de Fjerda, tout le continent semble les avoir aux trousses.

   Et parfois, Alina a cru que c'était fini, qu'ils allaient finir par capituler.

   La dernière fois, ils s'étaient fait repérer par un petit groupe de Drüskelle qui se promenaient dangereusement loin de la frontière fjerdanne. Malyen et Alina avaient été pris par surprise - c'était elle qui était censée être de garde, mais elle avait finie par s'endormir. A son réveil, sept fjerdans en colère ont tenté de les tuer, pour la simple raison qu'elle est une Grisha.

   Mais finalement, ce sont ces maudits pouvoirs qui les ont sauvés. Par elle ne sait quelle magie - car là, cela dépasse définitivement la Petite Science, peu importe ce que les savants en diraient -, elle les a transportés, Mal et elle, jusqu'à l'autre monde.

   Au début, ils ne savaient pas que l'endroit sur lequel ils avaient débarqué s'appelait «autoroute», et se seraient faits écraser par les voitures si les réflexes de soldat de Mal ne les avaient pas sauvés. Et ensuite, il leur a fallu un sacré moment pour réaliser qu'ils avaient littéralement changé de monde. La seule chose qui leur a mis la puce à l'oreille, cela a été lorsqu'Alina a tout à coup réalisé que toute cette situation improbable de sombrer dans le noir avant d'apparaître dans un lieu totalement étrange et inconnu, c'est exactement l'histoire qui est racontée dans une chanson pour enfants, inspirée de la vie de Sankt Gerasim, qui était souvent racontée à l'orphelinat où ils ont grandis.

   D'abord l'histoire populaire du Saint sans étoiles, censé être mort depuis au moins quatre siècles et qui s'est avéré n'être nul autre que le Darkling en personne. Ensuite, Sankt Gerasim qui a retranscrit dans ses récits de voyages des éléments trop ressemblants à l'autre monde pour que cela puisse être une coincidence.

   Les saints sont humains, visiblement. Et leurs histoires, la réalité.

   - Cela ne sert à rien de regretter ce qu'on n'a pas fait, tranche Malyen lorsqu'elle reste silencieuse. Oui, on aurait peut-être dû donner un coup de main à cette Sankta. Mais on va le faire maintenant, donc c'est tout ce qui compte.

   Alina mâchouille un morceau de viande séchée qui n'a plus aucun goût, le regard perdu dans les flammes du feu.

- Tout se terminera très mal pour elle, dit-elle finalement. Je le sens. Et peut-être que c'est indirectement à cause de nous si elle...

- N'oublie pas que tu n'es pas littéralement une sainte, hein? l'interrompt-il avec un faible sourire. Jusqu'à nouvel ordre, tu ne sais pas encore prédire l'avenir - ou si tu sais le faire, tu as oublié de me le dire. (Il cogne son pied contre le sien.) Alors, comment sera mon futur? Plein d'argent, de beaux habits et de jolies femmes?

- Oh, tais-toi. (Elle ne peut néanmoins empêcher les coins de ses lèvres de se hausser un peu à son tour.) Je suis sérieuse, il faut qu'on décide ce qu'on va faire.

- Je croyais que c'était déjà décidé? On se rapproche le plus possible du Fold, tu essayes de nous retransporter vers ce Londres obscure, on trouve Sankta. On toque trois fois à la porte, puis on dit «Salut, tu te souviens de nous? Ah, tu te souviens de moi, oui, c'est normal. Elle, c'est Alina. Tu l'as aussi déjà croisée aussi, mais c'est vrai que j'ai un visage plus mémorable que le sien - (Alina lui donne un coup de pied à son tour.) Aie - qu'est-ce que j'ai dit de mal? J'ai juste dit que j'étais plus mémorable que toi, ce qui ne veut pas forcément dire que je suis plus beau - sauf si c'est ce que tu en déduis. Dans quel cas, tu peux être rassuré : tu n'es pas trop mal, toi non plus.

   Alina se mordille l'intérieur de la joue.

- Et ensuite? enchaîne-t-elle, contente que Malyen ne puisse pas voir le rouge qui lui monte aux joues dans l'obscurité.

- Ensuite, elle nous souhaite la bienvenue dans son humble demeure, en disant quelque chose du type «ne faites pas attention au bordel, j'ai pas eu le temps de ranger». Et ensuite... (Il soupire.) Ensuite, je te laisserai prendre la parole, parce que ce n'est pas à moi que revient tout le sale boulot.

- Oh, donc c'est moi qui pourrais lui dire : «bonjour Sankta, comment vas-tu? Par le plus pur du hasard, nous sommes tombés sur Baghra quand j'ai réussi à nous faire retourner à Ravka. Sauf qu'en fait, ce n'était pas du hasard, parce qu'elle nous attendait. Et tu veux savoir pourquoi elle nous attendait? Pour nous demander comment allait Willem Van Eck. Donc si tu es comme nous, tu te demandes «pourquoi est-ce que Baghra nous demande comment va Willem? D'où elle connaît son existence de toute façon?». Et c'est ce qu'on lui a demandé - enfin, après lui avoir demandé pourquoi elle nous a attendus, cachée dans le noir, à notre retour de notre petit voyage dont elle a, on ne sait trop comment eu vent. Et tu sais ce qu'elle nous a répondu?»

- «Pour savoir comment va mon fils», complète Malyen.