── Chapitre 16 : Grand Palais.

578 61 17
                                    

   Avant-hier, quand j'étais chez eux, j'ai surtout accepté de coopérer à leur projet pour qu'ils me laissent tranquille. D'accord, j'ai aussi accepté parce que l'idée que je me retrouve de nouveau à faire apparaître ces machins obscurs me fait un peu - beaucoup - flipper, mais c'était là plutôt une raison secondaire.

   Parce que ce machin ne s'était pas manifesté depuis plusieurs jours et que j'avais eu le temps de réfléchir à la question - si tout ce qu'ils racontent de leur monde est vrai et que j'en suis effectivement issue - beaucoup de si -, peut-être que cette ombre était simplement un sorte de reste que j'avais quelque part en moi. Comme ils me l'ont expliqué par la suite, les pouvoirs des Grishas se manifestent au plus tard pendant la neuvième ou dixième année de vie, sauf que moi et mes vingt balais ne rentrons clairement pas dans ce cas de figure.

   Pendant ces derniers jours, j'ai passé mon temps à tenter de rationnaliser tout ce qui venait d'arriver. L'épisode avec l'ombre n'était qu'une exception, un événement unique qui n'arrivera plus jamais.

   Ou en tout cas, c'est ce dont j'ai essayé de me convaincre jusqu'à ce que cela arrive à nouveau.

   Exactement dans la même situation que la première fois. J'étais assise à califourchon sur Willem, mes mains sur son visage et tout à coup, le même désastre s'est produit. 

  Sauf que cette fois, ce n'étaient pas que le bout de mes doigts qui laissaient des traces, c'était tout l'intérieur de mes mains. Par je ne sais quelle magie, Willem n'a rien remarqué et j'ai réussi à l'occuper dans la chambre assez longtemps pour que l'ombre disparaisse avant qu'il n'ait l'occasion de voir sa tête dans un miroir.

   Le jour même, j'ai appelé Caspian pour lui dire qu'il fallait qu'il m'aide à faire quelque chose contre ça. Il m'a donné rendez-vous deux jours plus tard chez lui. Etant donné que la dernière fois que j'y ai été, c'avait été légèrement contre mon gré - l'oeuvre de ces Zlatan et Helvar dont je ne comprends toujours pas le rôle dans cette histoire - et Caspian m'a envoyé l'adresse par message.

   Google Maps a prédit que le trajet durerait 37 minutes en métro ; j'en ai au final mis 29. Caspian m'avait aussi fait parvenir le digicode de l'immeuble - 0361 - et celui pour activer l'ascenseur 0847.

- Sankta, m'accueille Caspian en ouvrant la porte de son appartement.

- Kirigan. 

    Un « Caspian » a failli me glisser de la bouche, mais il faut vraiment que j'arrête ça.

   Il me fait signe d'entrer et je le suis. L'appartement est tout aussi blanc, spacieux et lumineux que la dernière fois et ressemble toujours encore à une version premium et épurée d'un catalogue IKEA. La pluie ruisselle le long des grandes baies vitrées, donnant vue sur une version floue des immenses immeubles modernes dans le quartier d'affaires où nous nous trouvons.

- Je vous sers quelque chose à boire?

- De l'eau, dis-je plus par politesse qu'autre chose.

   Il désigne le canapé pour que je m'y installe, puis disparaît dans ce qui doit être la cuisine. Je pose mon tote-bag sur le canapé, mais reste debout et m'approche de la baie vitrée. 

- Quand j'étais petit - (J'entends le bruit de verres se posant sur la table basse.) - je pensais que la plus haute tour du Grand Palais était l'endroit le plus haut au monde. Plus même que les montagnes, ce qui est relativement impossible, mais on ne va pas dire ça à un enfant de huit ans. (Une bouteille qui s'ouvre, puis de l'eau qui coule.) Je ne pense pas que quiconque dans notre monde serait capable de s'imaginer que des hommes puissent construire des bâtiments si hauts.

Sankta ─ SHADOW AND BONEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant