── Chapitre 9 : Willem.

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   Après avoir quitté Hyde Park, j'ai pris, sans vraiment en être consciente, le métro en direction du Foyer. Le cœur tambourinant toujours dans les oreilles, ce n'est que deux stations avant l'arrêt que je me suis rendue compte de là où j'étais en train d'aller et que je suis descendue de la rame pour prendre le métro dans le sens inverse à la place.

   Je n'ai pas envie de m'approcher géographiquement de ce maudit collier. Sankta Maja.

   D'Hyde Park au Foyer, il faut compter environ vingt-cinq minutes. Le trajet jusqu'à mon appartement à moi prend en théorie tout aussi longtemps, mais est situé dans la direction opposée et il me faut au final presque une heure trente pour enfin arriver chez moi.

   L'appartement que je partage avec quatre, parfois cinq autres colocataires n'est vraiment pas situé dans un des plus beaux quartiers de la métropole, mais c'est le seul logement que j'ai trouvé qui rentrait dans mon budget. Au quatrième étage d'un immeuble gris des années 1970, dont le propriétaire répète depuis des années que «oui oui, je vais remettre l'électricité aux normes bientôt» ou que «ah, oui, la rampe de l'escalier qui ne tient plus en place? oui, je vais faire réparer ça dans la semaine». Inutile de préciser que quelqu'un va finir par s'électrocuter ou se casser le cou dans les escaliers avant quoi que ce soit ne soit remis aux normes.

   Comme d'habitude, il me faut un petit instant pour réussir à ouvrir la porte d'entrée de l'appartement. La poignée se dévisse très souvent et il faut la tenir enfoncée dans un angle particulier et jouer avec la clé de la bonne manière pour qu'elle daigne s'ouvrir. Une fois à l'intérieur, je vois que le porte-manteau dans l'entrée ne croule pas autant sous les vestes que d'habitude ; j'en déduis donc que je dois être la première à rentrer. J'enlève mes chaussures et marche - en chaussettes, n'en déplairait à Mme Carp - jusqu'à notre minuscule cuisine au carrelage rouge vif. Je remplis la cafetière d'eau et prie pour qu'elle coopère. Ensuite, j'irai me faire couler un bain et je ne penserai à absolument rien jusqu'à demain au moins ; je ne penserai pas à Sankta Maja, pas à Sankta Lizabeta, pas au saladier noir, pas à quoi que ce soit qu'Inej, Jesper et Caspian ont raconté, pas à Narnia, pas à...

- Déjà là?

   Je me cogne la hanche contre le tiroir à couverts que j'étais en train d'ouvrir en me retournant. 

- Qu'est-ce que tu fais déjà là? je demande à Willem en plissant les yeux le temps que la douleur passe.

- Je pourrais te demander la même chose. (La capuche de son sweat noir remontée sur ses cheveux coupés ras, il s'appuie nonchalamment contre l'encadrement de la porte.) Tu n'étais pas censée passer la journée avec tes gens de la bibliothèque?

- Et toi, tu ne devais pas passer à ta base militaire ou peu importe ce que font les militaires quand ils sont dispatchés chez eux? 

   Je me rends compte qu'avec la fatigue, je lui ai répond un peu sèchement et l'un de ses sourcils s'arque légèrement. Je lui tourne le dos le temps d'attraper une tasse dans un placard et d'y verser mon café. En temps normal, j'aurais trouvé ça très cool que nous ayons l'appartement juste pour nous deux pendant quelques heures - ça nous aurait permis de continuer de regarder je ne sais plus quelle ânerie qu'on regarde sur Netflix en ce moment depuis la télé dans le salon sans qu'aucun autre colocataire ne vienne se plaindre du bruit. Mais là... là, j'ai juste envie de dormir et de faire comme si le monde n'existait pas.

- Carp m'a envoyé un message pour me demander comment tu allais, répond-il en venant s'appuyer contre le comptoir de la cuisine.

- Et qu'est-ce que tu lui as répondu? je demande en continuant de préparer mon café.

Sankta ─ SHADOW AND BONEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant