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          ***Sergie***

Sergina, ma sœur jumelle est venue me rendre visite mais on ne peut pas parler librement car Alain est dans la maison à rugir comme un lion. Nous sommes assises dans la cuisine à attendre qu’il s’en aille.

-qui a encore laisser le ventilateur allumé ? on peut l’entendre hurler dans le couloir.

-c’est moi papa.

-oui. Allumez tout, laissez tout allumé. L’esclave va payer les factures, c’est ça son travail non ? Mettez tous les appareils en marche en même temps.

Les enfants sortent un à un de cet enfer appelé maison. Alain est tout le temps tendu, à fleur de peau. Si bien qu’on se sent tous mieux lorsqu’il n’est pas là.

-Aline ! j’appelle à haute voix.

-maman.

-prends la monnaie du pain tu vas m’acheter de l’huile.

-tu as mis les unités avec.

-demande à ton père alors.

Je parle assez fort pour qu’il entende et que l’enfant n’ait pas à subir ses foudres.

Les minutes passent et je n’ai toujours aucun retour.

-Aline ! j’appelle plus fort.

-maman.

-l’huile est où ?

Elle entre dans la cuisine énervée.

-je lui demande il ne répond pas.

Je me lève de mon banc de cuisine et vais le trouver au salon. En me voyant arriver, il prend les devants.

-Sergie si tu m’énerves ! Si tu dis un mot qui m’énerve tout de suite. Je ferme les portes et je me défoule sur toi.

-donc on ne mange pas aujourd’hui ?

-tu sais combien j’ai dû dépenser pour réparer tes conneries ? Tu penses que je chie l’argent ? Tu ferais mieux de réfléchir sur la rentrée scolaire de tes enfants car même cent francs je n’ai pas.

Il se lève et s’en va. Il va sûrement chez elle. Une gamine que j’ai accueillie chez moi. Mon instinct m’avertissait, je n’ai jamais pu la blairer. Mais les sentiments, ma conscience. Comment je pouvais ne pas apprécier une orpheline ? Voilà le résultat.

Je suis obligée de demander la bouteille d’huile en bon (à crédit) chez le boutiquier. Il va sûrement manger là où il va, mais mes enfants.

-c’est comme ça ici tous les jours ? m’interroge ma sœur.

-là même ça se calme.

-et par rapport à la menace de la petite ?

-qu’elle me porte plainte. Jamais, je dis bien jamais je n’aurai de coépouse encore moins une moins âgée que mes deux premiers enfants. Ça jamais !

-tu aimes trop réagir à chaud. Tu agis toujours avec les émotions, voilà où nous en sommes. Elle a quel âge ?

-seize ans.

-donc jusqu’à ses vingt-et-un ans, limite dix-huit ans, ils ne peuvent pas se marier. En deux ans beaucoup de choses peuvent se passer.

-tu penses ?

-ça serait un détournement de mineurs. Enfin je crois. Attends j’appelle ta nièce pour vérifier.

Elle appelle sa fille qui étudie le droit au Gabon et lui explique la situation sans donner de détails.

-c’est possible. A quinze ans pour les filles, dix-huit pour les garçons, on peut se marier.

-mais c’est une mineure ! s’insurge sa mère.

-c’est pour ça qu’on demande, si elle a moins de vingt-et-un ans, l’autorisation des parents. Comme son unique parent est décédé, ça sera son tuteur légal.

-la personne qui la garde depuis la mort de sa mère ? je demande presque soulagée.

-non tantine Sergie. Son tuteur légal, la personne que la justice reconnaît comme étant son tuteur. Si elle n’en a pas, alors on demandera l’autorisation de ses aïeuls.

-les aïeuls c’est qui ? Sa tante peut s’opposer ?

-si une seule personne s’oppose, le mariage ne peut être célébré. Mais je vais demander à mon prof pour être sûre. C’est qui la fille ?

-demande à ton prof tu nous réponds. intervient sa mère. Je t’appelle le soir.

Elle coupe l’appel et dépose l’appareil sur sa cuisse.

-donc tu as cinq ans devant toi. Je ne pense pas que Mélanie va laisser cette petite se marier avec un homme qui peut être son père. En plus vous êtes amies. D’ici cinq ans Alain peut se lasser d’elle où elle de lui. Signe le papier Sergie. Tes enfants deviennent quoi si tu vas en prison ? Tu as tort. Comment tu vas te rabaisser à aller tabasser un enfant.

-la colère, la honte. Je m’en voulais de ne pas apprécier une pauvre petite orpheline mais j’avais raison. Sergina même si Alain doit me tromper, ce n’est pas avec une gamine moins âgée que Junior et Aline.

-je comprends. Mais sois maligne. Tu l’as frappée regarde les conséquences. Sois plus rusée. Commence par informer sa tante des plans machiavéliques de sa nièce qu’elle puisse s’opposer au mariage.

          ***Kathina***

Ma grand-mère paternelle est à la maison depuis ma sortie de l’hôpital. Si je n’ai jamais vu son fils en vrai, sa mère et moi sommes très proches. Peut-être dans l’espoir de toucher mon géniteur, maman m’a donné le nom de sa mère. Je ne sais pas pour vous mais au Gabon les personnes âgées sont très attachées à leurs homonymes.

Quand Alain rentre, mémé a déjà dressé la table. Avec mon plâtre, mes mouvements sont réduits, c’est ma grand-mère qui fait tout.  Je sais qu’il est extrêmement tendu parce que financièrement il touche le fond, là encore c’est mémé qui sait comment le calmer car pour le moment c’est juste physiquement impossible qu’on soit intimes. Maintenant que notre relation est sue de tous, il passe des nuits chez moi. Je m’en fiche éperdument de ce que pensent les gens. Cette relation je l’assume jusqu’au bout.

Pendant qu’Alain se repose, mémé et moi complotons. Il faut que j’aille voir ma grand-mère maternelle pour la mettre dans ma poche. C’est le socle de la famille, personne ne peut aller à l’encontre de ses décisions.

Mémé va alors me préparer une marmite et m’accompagner chez la matriarche. Dans un premier temps c’est juste une visite de courtoisie. Comme je ne suis pas seule, elle ne me pose aucune question sur mon départ de chez sa fille.

La semaine qui suit je m’y rends seule.

-Titi qu’est-ce qui se passe avec ta tante ?

Mamie est la seule à m’appeler Titi au lieu de Tina comme les autres.

-mamie. Il n’y a que deux personnes qui sont obligées de me loger, nourrir et instruire. L’une n’a jamais voulu de moi et l’autre est morte. Donc si quelqu’un m’a un jour donner du pain et un drap, je ne peux jamais parler en mal d’elle.

-comment ça ?

-ce n’est pas tout qu’on dit.

-Titi parle !

J’hésite sincèrement à lui parler. Dans la famille j’ai toujours été le vilain petit canard. Est-ce qu’elle me croira ? Qu’est-ce que ça changera ? Je ne suis pas là pour ça mais ça peut m'aider dans ma quête.

-mamie je n’ai jamais été facile c’est vrai. Je faisais beaucoup de bêtises c’est vrai, mais que maman Mélanie ne se fasse pas passer pour une parfaite maman car elle ne l’était pas pour moi. Tout ce qu’elle faisait c’était juste pour les apparences.

-ça veut dire ?

-à chaque fois elle me rappelait que ma mère était morte. Tout ce qu’elle fait c’est pour que maman ne lui demande pas des comptes de l’autre côté et ce sont ses dires à elle. Maintenant elle n’aura plus à s’inquiéter car maman ne lui demandera rien.

-ne dis pas ça.

-c’est vrai mamie. Du moins c’est ce que je ressens. Je suis partie de chez elle, pour le moment tout se passe bien.

-et la relation avec Alain ? Un vieux !

-qui veut m’épouser. Ça fait quatre ans que nous sommes ensemble et tout se passe bien.

-jamais ! Je ne peux jamais accepter ça !

-mais finalement vous voulez quoi de moi ? Vous aimez quand je suis le mouton noir de la famille. C’est quoi le problème ?

-il a quel âge ? En plus ton oncle.

-ce n’est pas mon oncle. C’est un homme qui me traite comme une femme. Un homme qui veut faire les choses bien en m’épousant. Ou le problème c’est qu’il faut privilégier le foyer de ta fille ? Comme toujours je passe après tout le monde.

Je passe tout le temps que je fais chez elle à me victimiser, la faire chanter. Elle finit par craquer. Je vais tellement lui mettre la pression qu’elle sera la première à vouloir me voir mariée.

Je rentre donc satisfaite. D’autant plus qu’on m’a retirer le plâtre. Mémé est dans la cuisine à réchauffer les marmites. Elle déteste les robots mais le micro-onde particulièrement.

-Alain ne rentre pas ce soir ?

-non. En tout cas vu l’heure je ne pense pas. je réponds en m’attablant.

-ça tombe bien, il faut qu’on parle. D’abord pourquoi tu t’es mise en couple avec lui ? Pourquoi tu n’aimes que les hommes âgés ? C’est à cause de ton père ?

-je ne pense pas. Certains aiment lez gros, d’autres les grands, j’aime les hommes âgés c’est tout.

-on en reparlera. Maintenant les raisons pour lesquelles tu veux te marier.

-pour emmerder cette vieille peau de Sergie. Tu n’as pas vu ce qu’elle m’a fait ? Comment j’ai failli mourir ?

-j’ai vu.

-mais aussi pour l’argent et la liberté.

-je vois. Tu sais une femme doit être armée de partout, surtout dans un foyer polygame. Les potions que je te donne c’est pas seulement pour te nettoyer physiquement.

-ah bon ? je demande surprise.

-écoute très bien ce que je vais te dire. Jusqu’à ce qu’Alain t’épouse tu ne vas plus coucher avec lui. Trouve des excuses. Et s’il insiste tu me dis je sais ce que je ferai. D’ailleurs on va d’abord aller rester chez moi. Tu n’utilises pas la savonnette que je t’ai donnée pourquoi ?

-ça pue !

-on ne dit pas ça ! Tu vas commencer à l’utiliser. C’est maintenant que tu dois commencer à aiguiser tes armes. La polygamie ce n’est pas ma blague et tu as bien vu jusqu’où l’autre est capable d’aller.

-je ne vais quand même pas le féticher ?

-tu le feras s’il le faut mais pour le moment tu n’en as pas besoin. Suis seulement mes instructions à la lettre.

J’ai aménagé chez ma grand-mère paternelle pour trois mois. Trois mois à faire des bains de purification et de retour de chances. Trois mois à me nettoyer l’intérieur comme l’extérieur, à refaire briller mon étoile. Trois mois à m’apprendre à faire la cuisine comme une femme et non comme une enfant. Trois mois à me préparer, à corriger mon comportement pour faire de moi une femme.

Trois mois aussi qu’Alain et moi nous voyons à coup de vent. Je le chauffe mais ça ne va jamais loin car mamie veille. Il a voulu que je passe le bac, la journée je suis au prépa bac jusque tard dans l’après-midi exprès. Tous les moyens, toutes les excuses sont bonnes pour le fuir. Et quand il craque, j’appelle mon homonyme en renfort. En deux minutes elle le calme.

Que Sergie profite du temps qu’il est obligé de lui donner car je fais ma difficile. Une fois mariés, même pour voir son ombre elle devra faire des chapelets de prières.

Trois mois à siffler dans les oreilles de ma famille maternelle pour enfin avoir un oui. Quand j’ai annoncé la nouvelle à Alain qui n’en pouvait plus du sevrage, il m’a demandé de choisir la date la plus proche possible.

Mémé a dit le 31 décembre donc deux semaines après l’acceptation des parents. Une cérémonie de trente personnes maximum. Pas trop de bruit, limite que ça reste secret bien que légal. Je n’ai fait que dire oui à tout. En plus, vu la situation financière d’Alain, ça arrangeait tout le monde.

Deux semaines à courir dans tous les sens. Personne ne m’a aidée pour l’organisation, j’ai tout fait seule avec mémé. Heureusement ce n’était pas un grand truc.

-mémé on ne peut pas trouver une tradition pour obliger Sergie à assister au mariage ?

-Kathina n’abuse pas aussi.

-je veux qu’elle vive ce mariage, je veux voir son visage.

-Kathina ce ne sont pas tous les combats qui valent la peine d’être combattus. Tiens plutôt ça ?

-un collier de rein ? je suis étonnée.

-ne l’enlève jamais. S’il se casse préviens-moi immédiatement.

-pourquoi ?

-grâce à lui tu obtiendras toujours ce que tu désires.

Je le lui arrache presque des mains en souriant. L’univers me le doit bien après m’avoir amputé des deux jambes en me privant de mes deux parents.

-va dormir. Je vais te réveiller au milieu de la nuit pour une dernière prière avant le mariage.

Je ne l’écoute même plus. Je contemple le collier autour de mes reins. Je remue mes hanches pour les faire bouger. Les perles sont très belles. Je suis fane de ce bijou.

KathinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant