Professeur Jedusor

Merope 4

— À ta droite, Dimitri ! s'écria Merope.

Son ami fit un bond sur le côté et saisit l'âme sans ménagement. Celle-ci se débattit comme une diablesse avant de finalement ployer sous le pouvoir immobilisant du sorcier.

Merope s'approcha doucement de cette âme récalcitrante et plaça ses mains devant elle. Elle récita une formule qu'elle connaissait désormais comme la plus belle des prières et le corps fantomatique se volatilisa.

— Bien joué, ma belle. C'était la dernière de la journée.

La jeune femme soupira sans retenue. Elle était épuisée.

— Tu es sûr ? Il n'en a pas désigné d'autres ?

Dimitri se détourna du corps de la personne âgée dans son lit pour se concentrer sur son amie. Il ne s'y ferait jamais. Même après cinq ans.

— Oui. En tout cas, il ne m'a donné aucune nouvelle information.

— Rentrons alors.

Merope saisit la main de Dimitri et les emmena tous les deux dans ce qui était leur royaume désormais : le royaume des défunts.

La Mort avait exécuté une sorte de passation totale de pouvoir il y avait cinq ans de cela. Merope avait alors vingt ans. C'était atrocement jeune pour voir ce qu'il y avait de plus éternel dans l'univers : le cycle de la vie. Chacun y était soumis, même si la volonté de le prolonger était grande pour certains.

Outre cet aspect déjà perturbant, Merope et Dimitri ont dû mettre leurs vies de côté pour exercer pleinement leur mission. Ils étaient tous les deux les exécuteurs désormais même si la divinité restait non loin pour les épauler. Elle avait caressé le dos de Merope tandis qu'elle vomissait non loin de la rivière des âmes perdues après son premier glanage. Elle avait essuyé les larmes de Dimitri après qu'il ait vu la première personne qui allait mourir sous leur règne.
La Mort était une véritable marraine dans le sens strict du terme : elle accompagnait avec bienveillance.

Mais il ne fallait pas trop se méprendre. Même si la divinité adorait ses protégés, elle était nostalgique de ses pouvoirs. Ils étaient comme en sommeil depuis le moment fatidique où elle avait remis les clés du royaume à ses deux apprentis. Ils avaient été sérieux dès les premiers instants. Ils n'avaient jamais contesté un glanage, jamais flanché. De parfaits petits soldats de l'extérieur.

Mais de l'intérieur, la destruction se faisait petit à petit. Le dégoût était comme une seconde peau pour Merope tandis que Dimitri portait le poids de la culpabilité sur ses épaules. Ils ne parlaient que rarement de ce qu'ils faisaient. La libre parole qu'ils avaient autrefois avait disparu en même temps que leur innocence.

Aujourd'hui âgée de 25 ans, Merope n'avait aucune vie en dehors de ce royaume. Pas de petit ami, encore moins de mari. Pas d'enfants non plus. Elle subvenait à ses besoins en écrivant des livres. Avec toutes les horreurs qu'elle avait vu dans ce monde, surtout dans les bas-fonds lorsqu'ils avaient été y mettre de l'ordre, elle avait des histoires à revendre. C'était une sorte de vie d'appoint. Sauf qu'il n'y aurait jamais de retraite pour faire un roadtrip ou pour regarder ses petits-enfants grandir. Elle serait une faucheuse jusqu'à la mort. Fatalité qui la rongeait de l'intérieur comme le plus féroce des rongeurs.

Dimitri était un peu plus vieux qu'elle, ça, ça n'avait pas changé. Mais tout le reste si. Il avait déménagé en Angleterre pour vivre au plus près de Merope et ainsi faciliter leur partenariat dans leur destin. Après l'achat d'un café, il l'avait confié à des salariés bienheureux. Cette entreprise lui valait un petit revenu qui était parfois bien utile. Lui non plus n'avait ni femme ni enfants. À quoi bon ? Il était une épave ambulante. C'était à peine s'il avait encore contact avec sa famille. L'homme ne se faisait pas d'illusions. Il se savait enchaîné au désespoir toute sa vie.