E.P
Le jour de ma rencontre avec Harry Blook, le soleil flamboyait si fort qu'on pourrait penser qu'il se trouvait à quelques mètres du sol. Ma peau fondait comme de la cire et ma cervelle cuisait. L'air que j'avalais était tout, sauf apaisant. On aurait dit un avant-goût de l'enfer. Ma chemise blanche devenue collante me donnait l'impression de faire du sport. Pourtant, je me trouvais au volant d'une voiture louée, en train d'explorer une route déserte en direction d'un endroit digne d'intérêt.Comme me l'avait conseillé quelqu'un de très spécial, j'avais pris les voiles pour un monde pavé de mystère, de palpitation et de beauté. J'avais abandonné mon confortable hôtel avec ses services de première classe pour visiter un bâtiment qui faisait penser à trois croissants empiler, des musées d'histoire et d'art, les sables de plusieurs plages et leurs mers pleines de vagues qui me contraignit à me faire un petit cadeau : un short léger avec des motifs de requin. Je déambulais de droite à gauche, capturant du regard et de la caméra de mon portable l'image des rues, des arbres, des infrastructures attrayantes, des beautés australiennes, consommais de la bouffe locale et répandais le CO2 de ma voiture dans toute la ville. Bref, une vie de touriste solitaire.
Si la liberté existait, il ressemblait à ça. Pas de planning, pas d'obligation, pas de temps imparti, pas de responsabilité... Le feeling et l'intuition faisaient la part des choses. Le parfait opposé de ma réalité à des milliers de bornes. Pourtant, ça ne me réjouissait pas comme ça devait l'être. Peut-être à cause de la place laissée à l'inconnue en étant d'objectifs d'objectif. Pessimiste était un mot que je haïssais, mais je faisais en sorte de me préparer à toute éventualité. Et pourtant, cela ne m'empêcha pas d'envoyer ma voiture embrasser un poteau électrique. Je croyais sauver la vie d'un petit animal imprudent qui s'aventurait sur l'asphalte, mais je m'étais offert un nez ensanglanté pour une boîte en carton.
La voiture n'avait pas subi de gros dégâts, juste une grande irrégularité au-devant du capot. Néanmoins, elle refusait de démarrer. Après une trentaine de coups de clé inutile et un hurlement de rage, je descendis de la voiture pour scruter les deux extrémités de la route. Rien ne bougeait. Lorsque tu seras bloqué au cœur du Sahara avec ta voiture en panne, tu verras. Cette phrase prononcée un peu plus tôt griffa mon sang-froid. Mais il n'y avait pas de quoi faire tout un plat.
Le temps me donna raison, car trois minutes plus tard, une vieille caisse apparut au loin. J'arrangeai mes vêtements et ma posture, comme si j'allai faire un discours et prêt à servir mon plus beau sourire. Néanmoins, je la perdis quand elle passa près de ma main tendue sans s'arrêter. Heureusement, ce n'était qu'une farce de la part d'Harry, car il fit marche arrière lorsque mes insultes menaçaient de tomber. Quand il revint à ma hauteur, la vitre passagère descendit et laissa découvrir ses cheveux coton et me demanda d'une voix grasse.
— Tu as un problème, p'tit gars ?
L'envie de lui lancer un mot piquant me démangeait, mais pourquoi prendre le risque qu'il s'en aille. Je lui expliquai plutôt ce qu'il venait de m'arriver, ce à quoi il m'avait reproché avec une drôle d'expression. T'es zinzin ? Si mes souvenirs étaient bons. D'après lui, on ne pouvait pas avoir d'accident sur une route aussi slow.
N'étant pas un as sur la question, je pouvais tout de même parier qu'il était un quinquagénaire en pleine forme. Avec ses yeux gris implantés dans des vagues de fines rides. Son nez qui couvrait sa bouche pâle au-dessus d'un menton arrondi. Ce dernier possédait quelques poils qui avaient droit à quelques caresses. Son corps possédait une allure acceptable pour son âge. Des bras musclés pour quelqu'un de sa "génération". Quand il me révéla son nom après une bonne paume trapue, je ne pus m'empêcher de rire.
— Pourquoi cette grimace ? Mon nom à mauvais goût.
— Non. Je le trouve... Spécial, c'est tout.
— Un nom de famille ne se choisit pas, alors efface-moi ce masque tout de suite.
— Ok.
Il me scruta un instant pour admirer le pouvoir de son autorité, puis se tourna vers la voiture en me questionnant sur la cause du problème. Je ne connaissais rien en voiture et malheureusement, c'est ce dont je lui fis part. Une très mauvaise réponse en somme. Son dégoût s'afficha de façon net et claire.
— S'pèce de casos. Tu sais comment on fait pour ouvrir un capot quand même ?
Je m'exécutai et allai me poster à côté de lui, pour le décor, bien sûr. Il murmurait des mots comme filtre à air, alternateur, valve... Tout en touchant deux ou trois trucs. Après quelques minutes, il m'ordonna d'aller démarrer la voiture. Sans succès. «Crévendiou », avait-il dit. Une expression vieille comme le monde que je ne cherchai pas à comprendre. Son expression faciale me parlait de toute façon. Il plongea dans le tâtonnement des pièces encore une fois. Cette fois-ci, des perles de sueur commençaient à apparaître sur sa peau. Je me sentis comme un bon à rien à le regarder se démener pour m'aider. Alors j'attendais en mimant de m'intéresser à ses explications qu'il me vouait. Une bonne trentaine de minutes plus tard, fondant sous ce soleil sans cœur, une énième tentative finit par le faire sourire.
Harry exclama sa joie avec une autre expression venue d'ailleurs. Comme il semblait ravi, je lui remerciai, mais il me répondit que ce n'était pas la peine, car cela lui faisait du bien et lui rappelait le bon vieux temps.
— Mais tu n'es pas sorti de l'auberge. L'alternateur en a pris un coup. J'ai fait un petit remontage, mais ça ne va pas durer. Je pourrais te le réparer, mais faute de matériels...
— Pas la peine, j'irai chez le premier mécanicien qui sera sur ma route.
— Ça tombe bien. C'est moi et j'habite tout près d'ici. Je te dépannerai pour 400 dollars, ajouta-t-il avec le plus grand sérieux du monde.
Il me regarda avec des flammes qui s'agitaient dans ses yeux. Je ne l'affirmais pas haut et fort, mais cela sentait l'arnaque à plein nez et pourtant son visage renvoyait tant de sagesse. Un cliché vieux comme le monde. Vieillesse, sagesse. Je lâchai un « ok » avec tout le désintérêt qu'il pouvait contenir. Mais il poursuivit en m'expliquant que sa femme tenait une auberge et que je pourrais en profiter pour prendre un bain. Le doute planait trop. Néanmoins, il poursuivait son monologue négociateur malgré la mise en place de tous les signaux pour exposer mon manque d'intérêt. Je m'étais dit qu'il voulait peut-être de l'argent alors j'offris la somme considérable de 50 dollars. Mais il me sortit, chargé de dignité : « Faut toujours rouspéter pour être payé dans cette vie. » Il me prit tellement la tête que j'étais prêt à lui donner les 400 dollars comme ça. Façon de parler. Et puis un bain me ferait du bien. Changer de chemise aussi.
Lorsque j'acceptai, il me révéla ses dents jaunies avant de monter dans sa bagnole tout en m'ordonnant de le suivre. Je lui collai aux fesses durant une vingtaine de minutes. Le paysage solitaire et inhabité avait filé pour laisser place à quelque chose de trop petit pour être qualifié de ville et trop grande pour être qualifié de village. Un entre-deux.
Il y avait une autoroute beaucoup plus attrayante qui déversait des voitures à son entrée. Ce qui expliquait pourquoi je rencontrais peu de voiture. Voilà des arbres, des tas de gazons verts qui bordaient les routes, des magasins qui laissaient entrevoir les produits offerts à travers des vitrines, des maisons, des supermarchés... Un peu plus tard, je comprendrais que le garage du "mécanicien" se trouvait dans le garage de sa maison. Explication. « C'est parce que je suis un mécanicien free-lans. »
Je ne fus pas surpris de sa réponse. Son visage dégageait de la malice qui incitait à la méfiance. Un vieux qui se disait mécanicien free-lans, était de l'ordre des possibles. De toute façon, du moment où je me trouvais un bon endroit où passer le reste de la journée... Je le suivis en piétinant un gazon en mauvais état, qui devançait une magnifique maison.
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À tout prix
RomanceTomber sur une folle amoureuse de votre beau sourire, de vos muscles saillants, de votre parfum et de tas d'autres détails, ça vous tente ? En-tout-cas, c'est ce qui arrive à Apollo Malcolm, en visitant l'Australie. Résultat : Il se réveille dans un...