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   Elle n'en croyait pas ses oreilles. Tant mieux. De la fureur à l'état pur. Ses lèvres tremblèrent trois à quatre fois avant de dire.

— Trop importante ? Ça veut dire quoi ?

— Sûrement pas ce que tu t'imagines maintenant.

   Je l'irritais et jouais avec le feu. Mourir gardait toujours la même saveur dans ma tête, néanmoins, de la fierté m'animait pour la première fois depuis mon séjour. Il était peu probable qu'elle mette en action sa menace, de toute façon. Si toutefois ces deux femmes arrivaient à se rencontrer par le plus triste des hasards, mon imagination faiblarde n'arriverait pas à prévoir les dénouements possibles.

— T'es qu'un sale égoïste, hurla-t-elle en me pointant du doigt. Tu n'as pas le droit de me faire ça.

— C'est à moi de te dire ça.

— Ferme-la !

— Toi, ferme-la.

   Et on partit pour un monde de réplique aussi barbant qu'épuisant qui se solda par un coup de poing de Sarah. Cette fois-ci, ce ne fut ni ma jambe ni ma mâchoire qui payèrent les frais, mais la pauvre table de verre. La frappe ne fut pas assez puissante pour la briser, pourtant le bruit signalait qu'elle n'y était pas allée de main morte.

   Mon cœur flancha un peu. Je lui demandai pourquoi elle se livrait à ce genre d'acte signé d'une bonne dose de stupidité. Il était vrai que si elle se blessait, la loi du karma serait respectée. Mais pas au niveau des veines. Cela pourrait s'avérer fatal.

— Va te faire foutre ! Ivrogne, menteur.

— D'accord fait comme tu veux.

   Elle gémit comme si ma phrase faisait mal. De grosses gouttes de larmes dévalaient sur ses joues pour s'écraser sur ses seins. De la bave s'échappait de sa commissure droite aussi. Et sa voix grinçait comme des milliers de tas de ferraille. Ses sanglots éclataient de toutes parts. Toutefois, je ne fis rien et attendis qu'elle en finisse. 

   Pleurer comme un bébé ne toucherait pas ma corde sensible. Au contraire, je trouvais cela abject.

   Une fois la folie passée, elle lança deux à trois répliques menaçantes avant de m'enfermer dans ma chambre. La porte ferma dans une grosse claque et le silence habituel présenta ses mots de rebienvenue. Un léger frisson parcourut mon échine. Pas à cause de la solitude ou de la peur de l'avenir,
mais parce que maintenant il fallait mettre tout en œuvre pour sortir d'ici, car... Jennifer m'attendait.

   Cette nuit-là, je rêvai de ma mère et de mon père. Ils se tenaient la main et regardaient une mer calme et bleue. La lumière du soleil miroitait à sa surface et s'amusait à danser entre ses vagues tandis que des nuages dévoraient le ciel. Un anneau brillait à chacun de leurs doigts entremêlés. Leur visage rayonnait de joie tandis qu'ils se parlaient. Je n'entendais rien, mais moi aussi, je souriais.

   Et puis le temps changea. Le soleil transcenda en lune rouge. La mer devint aussi rouge que du sang et les vagues, de plus en plus violentes. Un vent glacial fit trembler mes dents et me procura une chair de poule hors du commun. Mon regard laissa ce tableau apocalyptique pour alerter mes parents. Mais ce fut doublement pire.

   Un fleuve de sang parcourait le visage de ma mère. Il était défiguré par une douleur sans nom. Elle suffoquait en essayant de tendre les mains vers mon père. Mais ce dernier ne la voyait pas, car son regard et ses pas tournaient vers un bâtiment sorti de terre au-dessus duquel, une femme gigantesque s'asseyait en comptant des billets. Malgré mes appels répétés, il ne se retourna pas et s'enferma dans la bâtisse. Ma mère finit par tomber sur ses genoux, résista un peu avant de s'étaler en latéral sur le sable mouillé de son sang.

   Je hurlai toute la tristesse de mon corps en essayant de la rejoindre. Mais chaque pas m'éloignait d'elle de plus en plus. Puis tout disparut. Les ténèbres m'envahirent, me faisant sentir plus seul que jamais, mais ça ne dura pas. Un rire grisant s'éleva. Il semblait mobile et cela devenait agaçant, néanmoins une voix mit fin à cette raillerie.

— Dis-moi qui est cette fille sinon...

   Une partie du visage de Sarah apparut, éclairée par une faible lumière. Je devinais le sourire de clown et l'œil dangereux qu'elle me dédiait.

— Dis-moi que tu m'aimes.

   Le noir reprit le dessus puis le visage de Jennifer apparut, transfiguré par la peur.

— Aide-moi. Il faut que tu m'aides parce que tout est de ta faute.

   N'ayant même pas le temps d'en placer une, qu'un son strident se déclencha. Une arme à feu. Un liquide chaud embrassa ma tête et coula sur mon visage. Lorsqu'il s'accrocha à ma bouche, le goût partageait le sucré et le salé à la perfection. Un pur délice. Enfin jusqu'à la découverte de ce qui me semblait si bon. Du sang. Je me relevai en sursaut, l'esprit partant dans tous les sens. Mon corps trempait dans sa sueur et dans le frisson de ce rêve ou cauchemar. Deux à trois minutes furent nécessaires pour me calmer.

   Ce genre de rêve n'était pas une grande première. Mais, jamais en Australie. Et que venaient faire Sarah et Jennifer là-dedans ? M'asseyant en tailleur sur le lit, l'envie de m'endormir à nouveau resta très loin. De toute manière, le jour ne tarderait pas à se pointer.

   Je restai comme ça, pour voir les lueurs de l'aube apparaître dans le ciel et les premiers rayons de lumière s'infiltrer dans la chambre. Leur douce chaleur m'apporta un peu de réconfort et m'aida à réfléchir. Il fallait trouver le moyen de sortir d'ici. Mon premier et mon plus grand obstacle restait ce fichu mot de passe à la con. Séquestrer Sarah restait une option, mais ce serait hors de mes principes. Et rien ne garantissait sa collaboration. Que faire alors ?

   À la recherche d'une réponse à l'équation qui se présentait à moi, j'entendis le bruit d'un pneu coulissant de plus en plus proche. Ce qui m'intriguait vu que Sarah était ici. Sans réfléchir, j'attrapai le petit buffet au coin de la pièce pour la mettre au-dessous de la fenêtre. À bien y réfléchir, ce geste aurait dû être exécuté depuis longtemps, mais je retardais l'occasion à chaque fois. Comme si j'avais peur de découvrir ce qui se trouvait dehors.

   La fenêtre se révéla trop bien quadrillée pour pouvoir y glisser la tête et le champ de vision qu'elle présentait restait insignifiant. Un ciel dégagé et le soleil levant, quelques arbres qui abordaient une clôture en roche d'environ trois mètres. Néanmoins, à l'extrême coin droit, un reflet de lumière parvint à me donner espoir. Le capot d'une voiture autre que celle de Sarah.

   Quelqu'un venait d'arriver.

   Quelqu'un venait d'arriver

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