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   Je n'avais pas vu la seule petite goutte de sang. À cause de l'obscurité, peut-être. Mais cette résistance... Je ne l'avais pas trop pris au sérieux... Qu'est-ce que cela pouvait bien faire qu'elle soit vierge ou non ? De toute façon, le passé ne pouvait pas changer. Cette fatalité battait dans mon âme encore et encore. Malgré cela, cette douce angoisse envahissait ma tête.

   La tête sur ma poitrine, Sarah somnolait tel un mouton au bras de son berger (ou de son loup). Son visage inspirait un bonheur paisible qui défiait le temps. J'approchai un doigt pour la toucher, mais j'effleurai simplement sa peau. Je commençai par son front, descendis sur son nez à brut et m'amusai avec ses lèvres en essayant de reproduire sa forme. Quelques gestes après, je réalisais que j'agissais comme un déjanté. Alors, je retirai la tête de Sarah sur ma poitrine avec précaution pour pouvoir perdre mes pensées dans la profondeur des ténèbres. Je fus surpris de sentir le poids de mes paupières le lendemain. Le sommeil avait eu raison de moi, ce qui me convenait. Un silence de cimetière vagabondait dans la pièce.

   Remarquant le lit vide à côté de moi, cela soulagea mon cœur. Mais de très courte durée. Je m'assis sur le lit en balayant la pièce du regard. Ma vue ne donna rien de concluant alors je me fiai à mon ouïe. Pas la moindre éclaboussure d'eau qui giclait sur une paroi ou un bruit de pas qui se perdait dans le vide. Non, Sarah ne mettrait pas du vent dans ses voiles. Au contraire, j'avais peur qu'elle en redemande dans toute la fraîcheur d'un petit matin. J'exagérais ? Je me levai du lit et récupérai mon short qui, dans un coin de la chambre, portait les vestiges de mes aventures d'hier soir.

   Une agréable odeur virevolta au bout de mon nez et réussi à la séduire de telle manière qu'elle me fit prendre le chemin pour l'autre pièce. Quelques rayons de soleil parvenaient tant bien que mal dans cette partie-là. Rien n'avait changé. Toujours les mêmes portraits accrochés au mur, les mêmes pots de fleurs et le même message. Tout ceci ajouté aux plats qui fumaient sur la petite table et l'odeur qu'elle en dégageait.

  Sarah s'y trouvait à côté et détirait la bouche en ajustant une fourchette. Un peignoir blanc sur le corps, les cheveux à l'air libre, les pieds nus... Je profitai des quelques secondes qu'elle ne me remarqua pas pour esquisser ce tableau dans ma tête. On dirait, on dirait qu'elle s'affairait avec tous les détails du monde à préparer un petit déjeuner pour son mari. Très cliché comme scène. J'avais peut-être perdu le sens de la mesure. Un grand sourire qui crevait ses joues s'afficha sur son visage quand elle me remarqua. Elle ajusta une rose que je n'avais pas vue avant de s'élancer vers moi. Sans trop de surprise, un baiser langoureux et baveux s'en était suivi.

— Alors, tu as passé une bonne nuit ? demanda-t-elle en détachant nos lèvres dans un petit puuuuiiiits.

   Je cherchai des signaux de mon corps. Aucune douleur, pas de crampe non plus. À part une légère migraine, mais c'était peut-être à cause de mes réflexions.

— Une très bonne.

   Elle me saisit les mains. Quand j'opposai une petite résistance, elle me foudroya du regard avant de répéter sa tentative. Toutes mes envies m'abandonnèrent et je me laissai traîner sur la chaise que mes fesses rencontrèrent trop brutalement.

— J'ai commandé ton petit-déj'. Comme j'ignorais ce que tu aimerais, j'ai pris un peu de tout. J'ai même pris un peu de champagne. Va savoir pourquoi.

— Il ne fallait pas. Toutes ces petites attentions me bousculent.

   Son visage perdit un peu de sa couleur.

— Quoi ?

— Me bouscule de bonheur. C'est ce que je voulais dire.

   Pourquoi me comportais-je de manière à ne pas la froisser ? Mon ego en prenait un sacré coup. Ses traits s'adoucirent et son visage n'exprimait aucune émotion. Mais ce fut de courte durée vu quelques millisecondes après, elle reprenait ce sourire qui m'agaçait. Ses yeux ne me quittèrent pas quand je prenais la fourchette et le couteau afin de prendre ma première bouchée. Ni dans tous les autres qui suivirent d'ailleurs.

   À un moment donné, je n'en pouvais plus et essayai de détourner l'attention. Mes yeux se portèrent sur le portrait le plus frappant de la pièce. Mais malgré tout l'effort fourni, il me fut impossible de ne pas sentir son regard. La faim me passa.

— Quoi ? Tu viens à peine de commencer.

   Je ne sus pas quoi répondre. La bonne idée d'aller prendre un bain traversa mon esprit. Comme j'en fus privé hier soir, ce fut tout à fait crédible. Une fois seul dans la petite pièce parfumée de savon de toilette, j'éprouvai du réconfort. Pourtant, quand l'eau froide fit parcouru ma peau, mes pensées vagabondèrent de nouveau. Non, ça ne s'améliorait pas. Je pensais qu'avec le temps, je finirais par me convaincre que ce n'était qu'un pur foutage de gueule. Non, pas parce que je n'aimais pas Sarah. Comment ne pas aimer une femme comme ça ? Riche, belle, flippante des fois, mais supposons que la majorité des femmes soient ainsi. Cependant, quelque chose me murmurait tout bas qu'elle méritait mieux, qu'elle valait mieux que moi. Mon estime de soi se portait bien. Il ne pouvait avoir que deux raisons sur ce qui me poussait à agir comme ça.

   Un. Ma peur m'empêchait de prendre les choses en main. Mon célibat fut de si longue durée que j'y suis arrivé à trouver un calme et une béatitude hors du commun. La simplicité me côtoyait tous les jours, et cela m'allait bien. Sans m'en rendre compte, peut-être que j'avais fini par m'attacher de manière à avoir les mains agrippées. Deux. Je ne l'aimais pas du tout (contradiction). Le simple fait de mettre cela en question n'était-il pas assez pour le prouver ?

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant