Je le suivis sur le perron de sa maison et attendit qu'il ouvrît la porte.
— Entre p'tit gars. Tu vas pouvoir discuter avec la cheffe.
Le ton employé pour articuler : « La cheffe » fut envoyé dans le conseil d'alerte de ma cervelle. Encore une mauvaise rencontre ? Tandis que Harry hélait sa femme, je débarquai dans un salon assez grand pour étonner quelqu'un qui l'aurait vu pour la première fois, mais pas à la deuxième. On y trouvait un grand canapé et trois fauteuils qui encadraient une table en bois supportant un pot de fleurs et quelques romans de gare. Une dodine reposait plus loin, tout près d'une fenêtre barricadée par un rideau impeccable. Une petite étagère, toujours en bois, soutenait plusieurs jouets décoratifs : un cow-boy stylé près de son cheval, un canard jaune en caoutchouc, un loup, une vieille poupée tirée tout droit d'un film d'horreur...
— Arrête de faire du bruit comme ça. On va finir par croire que tu es devenu fou, lança une voix fluette.
Une dame mince apparut à l'embrasure de la porte qui se trouvait devant moi. Elle portait une salopette en jean couverte de tache de peinture, un maillot trop grand pour elle et un petit sachet transparent qui cachait ses cheveux caramels. On n'avait pas besoin de la regarder longtemps pour comprendre qu'elle fut belle. Et même dans cette fatalité qui s'appelait vieillesse, elle en possédait les souvenirs. Elles avaient des rides, mais pas celles qui faisaient penser à des bulldogs. Les siennes traçaient juste sa peau ferme. Harry me présenta comme un nouveau client, ce qui sur le coup la laissa dans les nuages. Néanmoins, quand mes soupçons commençaient à s'éveiller, elle sourit en exaltant : « Ah oui, l'auberge ! » Elle me tendit une main moite que je pressai avec douceur. « Bertha Mcintosh Blook, gérante de... l'auberge. » Se présenta-t-elle. J'en fis de même et touchai un mot sur sa boîte qui ressemblait beaucoup trop à une maison.
— C'est un nouveau concept, m'avait-elle répondu. Un endroit où l'on dort comme dans une vraie maison.
J'appréciai sur le coup leur sens de nouveauté et d'audace. Il fallait avoir quelques neurones déréglés pour faire ça. Alors je m'empressai de discuter avec eux le prix de la chambre qui se révéla un peu trop cher à mon goût. Cent dollars pour pioncer dans une maison-auberge ! C'était du vol. Je passai la moitié d'une minute à parler pour faire chuter la valeur de cette chambre, mais la seule chose que j'avais eue droit à la fin, fut un argument de taille.
— On décide d'héberger de parfaits inconnus chez nous, il faut bien payer des primes de risque. Disait Bertha avant de s'en aller, prétextant avoir un tableau à terminer.
Je restai avec la gueule grande ouverte, menaçant le salon de quelques jetées de bave. Blook me tapa l'épaule en se vantant d'avoir une femme géniale, puis me dit de le suivre. Il emprunta un escalier qui débouchait sur un couloir bordé de plusieurs portes. Beaucoup trop (de porte) pour une maison de deux personnes. Il ouvrit la deuxième après avoir introduit plusieurs clés dans la serrure, et m'invita à rentrer.
Une odeur étrange m'assaillit l'odorat. Je ne savais pas quoi, sûrement un mélange de chaleur, de poussière qui s'agitait après avoir été retenu des années prisonnières de ces mûrs. Cette chambre n'avait pas été ouverte, il y a des mois. En plus, on voyait d'un seul coup d'œil l'énorme différence entre elle et le rez-de-chaussée. Une peinture blanche et diverses taches de saleté maquillaient les murs, et à quelques coins, on trouvait des nids d'araignées. Il n'y avait qu'un petit lit et un petit placard à l'opposé. Une fenêtre ainsi qu'une ampoule fluorescente éclairaient la pièce. Le parfait décor pour un homme solitaire.
Après des mots de bienvenue, je refermai la porte, me déshabillai et filai sous la douche se situant au bout du couloir. La fraîcheur de l'eau soulagea ma peau et décrassa toute mauvaise pensée de ma tête. Ce serait très désagréable d'avouer l'inavouable. Une fois propre, je retournai dans la chambre, laissai la chaleur me sécher, me vêtis d'un simple pantalon puis retirai mon PC de ma mallette. Étonnant, il y avait du wi-fi dans cette maison. Ce n'était pas la découverte du siècle, mais il y avait de quoi s'exciter. Je m'imaginais Harry avec des lunettes sur le nez, se balançant sur sa dodine, visionnant quelque vidéo sur YouTube ou en train de poster un selfie sur Instagram. Ce serait amusant !
Je me hâtai de me connecter sur le réseau non sécurisé et quelques secondes plus tard, des tonnes de notification surgissaient. Des e-mails professionnels envoyés par ma secrétaire pour la plupart. Avant de fuir Londres, j'ai eu la mauvaise idée de l'avertir de mon congé et qu'elle devait me tenir informé des dossiers qui s'encombraient près de son ordi. Les plus importants, avais-je précisé. Mais malgré tout, j'en avais une demi-douzaine. Une petite blague à ne pas branler une dent, comparée à mon emploi du temps normal.
Je me surpris à penser que le boulot me manquait. Mon bureau, les feuilles sans plis qui le décoraient. L'ambiance qu'offraient les employés de dernière zone qui mettait leur brin de vie et de désordre dans les locaux. J'adorais l'essence de ma profession. Un avocat était comme un ange gardien qui détournait en permanence les malheurs autour de ceux qu'ils gardaient. Ou un intercesseur qui mettait sa langue au profit de ceux qui n'en avaient pas.
Les symboles détenaient de grandes importances. Attirer, comprendre, manipuler. Vous connaissez la dame aux yeux bandés ? Vous voyez cette balance qu'elle tient dans sa main d'un équilibre parfait ? Cette œuvre parlait sans mots. Un simple regard suffisait à comprendre le message qu'on voulait faire passer. Justice. Mais pour cela, il fallait qu'il existât vraiment. Mon expérience me permit de comprendre que la balance ne s'équilibrait jamais. Lorsqu'une personne tuait une autre et qu'on le condamnait à passer tout le reste de sa vie dans quelques mètres carrés, était-ce juste ? D'une part, elle avait mis fin à une vie, pourtant elle respirait toujours. D'une autre part, de quel droit, on se permettait de lui faire des représailles. Que de "l'injustice justifiée" en fait. Comme je commettais une injustice, la société se donnait le droit d'exercer de l'injustice envers moi.
Tout ça n'était que mon point de vue qui me faisait frémir d'excitation pour cette profession que je haïssais au départ. La première fois que mon père fit allusion à mon choix professionnel, je lui avais répondu : joueur de football. Grand fan de Manchester City à l'époque, quand ma cervelle me le permettait, je me voyais porter leur maillot bleu ciel et inscrire des buts sous l'acclamation d'un public endiablé. Un grand scoop qui titillait son agacement. Chaque parcelle de sa face l'exprimait . « Tu te fous de ma gueule !» Quand sa digestion fut terminée, il m'avait demandé d'une voix monotone de ce que j'envisageai vraiment pour mon avenir.
Faute d'argument et de volonté, je sortis la vérité : aucune idée. Il m'avait souri avant de proposer ce qui lui pendait à la langue depuis ma naissance. Suivre ses traces. J'avais senti le besoin de me rebeller afin de trouver un semblant de liberté. Ça avait duré un bon bout de temps et pollua un peu plus l'atmosphère de ma famille déjà toxique. D'une certaine manière, je comprenais pourquoi m'être attaché rapidement à ce couple. Cette chose, qui manquait à ma famille, se trouvait en eux.
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À tout prix
RomansaTomber sur une folle amoureuse de votre beau sourire, de vos muscles saillants, de votre parfum et de tas d'autres détails, ça vous tente ? En-tout-cas, c'est ce qui arrive à Apollo Malcolm, en visitant l'Australie. Résultat : Il se réveille dans un...