29

175 8 14
                                    

   Bavarde à péter les oreilles, je n'eus pas le droit d'en placer une. Et puis elle gardait toujours une main sur l'arme. Je la bouclai tandis que la douleur devenait plus intense. Mes yeux fixèrent la fenêtre en admirant la lumière et en imaginant les alentours de la maison. Peut-être que des voisins entendraient mes cris. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas entendre ! Lorsque Sarah sembla terminer son monologue, je lui gratifiai d'un regard nonchalant qui contenait toutes les injures qui me suffoquaient.

— T'as fini maintenant ? Ou sinon, il faut que tu me pètes encore une fois la gueule pour que tu daignes m'écouter.

   Elle bouda, mais cela ne marcha pas comme à la coutume.

— Bien, maintenant écoute-moi. Je ne sais pas quelle chose tourne pas rond dans ta tête. Mais quand on aime une personne, il y a des choses qu'on ne lui fait pas. Primo, le kidnapper. Deuzio, le menotter. Tertio, le menacer avec une arme. Oui, tu as raison, je t'aime ou je t'ai aimé. Au point où j'en suis, tout se confond. Mais une chose est sûre, mon père et moi prendrons un immense plaisir à te ruiner lors de notre procès. Si toutefois tu es riche, bien sûr.

   L'autodérision frôla mon imagination. Moi, en tant que plaignant et mon père en tant qu'avocat. Pas le parfait scénario pour consolider une relation père-fils, mais bon... Consolider ? Je n'avais pas du tout envie d'avoir un rapport normal avec cet imbécile. Sa petite lettre de deux minutes n'allait pas changer grand-chose à cela. Je le détestais et continuerai de le faire. Même si c'était la première fois qu'il jurait sur sa tête.

— Tu ne détestes plus ton père ? Jusqu'à présent, tu étais sur un piédestal et pour me remercier, tu me craches à la figure.

   Son visage éclaboussait des jets de fureur. Elle semblait résolue, mais résolue à quoi ?

— Et dire que j'ai même essayé de te cuisiner quelque chose. L'ingratitude est propre à l'homme. Peut-être qu'un ou deux jours sans manger ni boire parviendrait à te faire changer. Quand on a une faim de loup, on est docile comme un chien.

   Elle me montra ses dents blanches en émettant un son qui ne ressemblait en aucun cas à un rire. Pas même sarcastique.

— Tu ne me fais pas peur.

— Tu devrais.

   Mon imagination me rassurait qu'elle bluffait, mais la journée s'écroula dans cette espérance. Et le lendemain aussi. Sans goûter la moindre chose. Quelque chose me gêna le ventre et parvena à faire mon temps de sommeil plus court et mon incarcération, plus longue. La faim.

   Sarah ne se présenta pas même une fois. Comme si elle s'en foutait de ma présence.

   Tout ça eut leur effet sur mon organisme. Je me sentais faible, dépité... Les murs dansaient plus que jamais et des élans de colère surgissaient très vite, me faisant gaspiller le peu d'énergie qui me restait. Mais ce n'était pas tout. Ma vessie gonflée pouvait éclater à tout moment. À chaque geste, une petite douleur me rappelait que j'avais grand besoin d'aller au petit coin. J'observais les coins de la chambre en me demandant si je devais le faire, ici. À la fin, l'envie disparut et me laissa sur le lit, le torse nu et malgré tout, dégoulinant de sueur. Il faisait une chaleur d'enfer. La seule petite fenêtre n'arrivait pas à bien aérer la pièce. Conclusion, j'étais crasseux et la soif s'amusait dans ma gorge. Un bon bain frais serait le bienvenu.

   Comme il n'avait rien à faire, la plupart de mon temps se passa sur le lit à contempler les énigmatiques figures du plafond. Leur présence m'apaisait, mais ils finirent tout de même par m'agacer. Je comprenais ce que devait subir un prisonnier. La sensation que rien n'existait ou pire que l'on existait plus...

   En fin de soirée du deuxième jour, la porte s'ouvrit sur une Sarah un peu terne. Un petit corsage rose saupoudré de paillette sur la poitrine et une minijupe blanche valorisant ses longues jambes. Elle tenait dans la main deux boîtes de pizza qui dégageait une agréable odeur.

   Je ne me laissai pas envahir par la tentation malgré mon ventre qui gargouillait. Mon regard se faisait toujours rancunier, et le serait toujours. Ce ne seraient pas deux plats de pizza savoureuse qui me fera changer d'avis. Ne prêtant aucune attention à mon langage corporel, elle s'assit sur le lit et passa une ou deux minutes à me dévisager. Ses doigts caressaient les boîtes en carton. Oh la peste !

— Tu ne sembles pas très content de me voir, finit-elle par dire.

   Je n'avais pas le courage de parler dans le vide. Ces petits jeux de cache-cache me tournaient les nerfs. Ou du moins, je comprenais désormais, à quel point elle était dangereuse. Ma vie pouvait bien se terminer ici, entre ses quatre murs. De la faim, d'une balle d'amour. L'idée de crever ici me faisait peur. Il y a trop de choses qu'il me fallait accomplir.

   Comme quoi ? Comme  fonder une famille, élever des gosses pour voir si c'était aussi difficile que ça... Quand je me rendis compte que tout ça pouvait devenir réalité contre mon gré, mon cœur franchit une étape.

— Un petit bonsoir suffirait, tu sais.

— Je n'ai pas encore assez faim pour te traiter comme un être humain. Si c'est ce que tu veux, tu n'auras qu'à revenir un peu plus tard.

   Mes mots me surprirent, mais je les pensais. Quoiqu'il était déconseillé dans le livre de survie de mettre en rogne la menace, j'éprouvai un immense plaisir à savourer son air étonné. Cependant, il fut vite interrompu par le cri de mon ventre.

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant