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   Plus tard, quand l'angoisse fut calmée et que la température prenait son pied, nous gardâmes le silence en fixant un point sur les murs. On n’entendait rien, à part des fois, un petit bruit qui venait de la fenêtre. La sueur coulait à flots et j'avais besoin d'un bon bain. Sans oublier cette fichue menotte qui m'empêchait de me gratter le dos en grand besoin. Je prenais plaisir à regarder Jennifer et sa peau. Ses petites coulées de sueur qui nuisaient son front et caressaient ses paupières, sa paume qui les chassaient avant de tomber sur ses jambes. Beaucoup de stéréotypes se brisaient dans ma tête.

   Je n'aurai jamais pensé que Sarah pouvait avoir assez de... boules pour me mettre dans une situation pareille. On pouvait compter ses "pépins mentaux" comme une explication convaincante, mais tout de même... Et Jennifer, elle devait être en train de cogner sur tout, la voix aussi perçante qu'une aiguille suppliant à tout va,de la laisser sortir d'ici, non ? Cela me laisserait une marche de manœuvre pour jouer au chevalier. Elle m'impressionnait par son calme, même si parfois elle perdait les nerfs et me prenait pour cible.

   Est-ce que ma mère possédait cette qualité ? Par rapport à sa profession, certainement. Cependant, cela s'appliquait-il à sa vie ? Petit, je la voyais souvent en colère, prête à mordre mon père comme un naja affamé. Mais jamais je ne l'avais vu pleurer. Elle devait le faire la nuit une fois sûr que personne n'entendrait ses cris et que les ténèbres étaient un allié. Ma cage thoracique comprima mon cœur. Nier serait impossible. Entre mon père et moi, quelle différence ?

   Cela m'énervait. Je t'expliquerai tout à ton retour." Eh ben dis donc, en voilà un bon timing ! Dans la conjoncture, le mot retour sonnait lourd.
Toutefois, j'avais bien envie d'entendre ses justifications. Le danger augmentait mon adrénaline, néanmoins, cette hormone n'avait rien à voir avec ce désir. Non, cela renfermait quelque chose de philosophique. Comme lorsqu'on décidait d'arrêter une série que l'on tenait à cœur. On cogitait en évoquant des suppositions pour apaiser la déception. Être prisonnier vous faisait prendre conscience de tant de choses.

   Je finis par m'endormir à même le sol, et ce fut le bruit de la porte qui me réveilla. Elle s'ouvrit sur Sarah avec une nouvelle coiffure (ses cheveux étaient ramenés en arrière et relevés en chignon), de nouveaux habits et trop propre pour ne pas avoir pris de bain. Son parfum remplit la pièce. L'idée qu'elle puisse prendre un bain tandis qu'elle nous gardait captifs me désorienta un peu, mais ne me choqua pas. Peut-être à cause de l'habitude. Elle portait trois boîtes de pizza dont eux-mêmes supportaient sa carte de bienvenue : son pistolet. Elle m'offrit le sourire le plus large qu'elle pouvait avant de chantonner dans un air de chanson populaire : « Toc, tic, tac. Toc, tic, tac. Ré-Veil-lez vous. J'ai de la pizza, rien que pour vous. » Outre sa voix de casserole, je jetai un bref coup d'œil à la fenêtre et remarquai que la nuit prenait déjà ses droits. Sacré décalage horaire. Jennifer aussi s'était endormie et dormait toujours. Sarah la secoua. Elle remua plusieurs fois quelque chose dans sa bouche avant de se réveiller. Une note enfantine et assez mignonne.

   Sarah glissa une boîte à chacun de nous avant de nous souhaiter un : « bon appétit » chaleureux. J'allais répliquer, mais elle fonçait déjà sur sa part et l'odeur de la pizza me rappela que j'avais faim. J'arrachai une tranche pour y coller mes dents. Le goût excita mes papilles et m'appela à la voracité. Sur le lit se trouvaient les demoiselles. Mes demoiselles. Humour de petit morveux. L'une m'imitait en se léchant les lèvres de temps en temps tandis que l'autre fixait devant elle, trop concentrée pour battre les cils.

— Tu ne manges pas ? questionna Sarah. Si tu la laisses refroidir, ça va perdre de sa saveur.

   Jennifer jeta son regard sur la boîte et sur Sarah avant de faire une grimace avec sa bouche. Un parfait mélange entre le dégoût et la méfiance.

— Rien ne me dit que tu ne l'as pas empoisonnée. Ce serait une manière efficace de me tuer.

— Ta raison, avoua Sarah en secouant la tête. Mais je ne ferais jamais ça. En plus, je n'ai même pas d'ammoniac.

— Comme c'est rassurant !

— Mais je te dis la vérité. Si tu veux, je peux goûter pour que tu puisses avoir l'esprit tranquille.

   Elle joignit le geste à la parole tandis que Jennifer jetait du venin avec ses yeux. Trop peu pour décourager Sarah qui continua sa besogne, jusqu'à montrer dans un grand sourire qu'il ne restait pas le moindre morceau dans sa bouche.

— Tu vois, mange maintenant. Ne laisse pas l'orgueil te faire rater ce plaisir.

— Ce n'est que de la pizza. C'est de la malbouffe.

— C'est délicieux.

   Mes yeux se rafraîchissaient à leur prise de bec qui pourrait virer au vinaigre. Tout compte fait, Jennifer n'était peut-être pas aussi intelligente qu'elle l'avait montré. Enfermée dans cette pièce, elle devait comprendre que notre manger, notre boire, notre douche et autres dépendaient de la volonté de Sarah. Même si son orgueil en prenait un coup, elle devrait être du côté lèche-cul que pique-cul. La balle n'était pas dans son camp. Toutefois, il fallait relativiser. Ce n'était pas moi qui portais un bandage sur la cuisse. Je devais intervenir. Mais il ne fallait pas laisser attiser la curiosité de Sarah. Et Jennifer finit par goûter la pizza et manger une tranche complète.

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant