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   Elle portait un tee-shirt noué au nombril et un short assez... révélateur.  Je remarquai cette partie de son épaule laissée à l'air libre et la bande de son soutien-gorge. Couleur bleue. Résister aurait été un jeu d'enfant sans ce savoureux plat, dégageant une odeur d'oignon haché et des tas d'autres ingrédients.

— Et il me fallait une excuse pour tout à l'heure. J'imagine que j'ai été flippante, ajouta-t-elle en sentant le doute qui s'installait dans ma tête.

— Ce serait méchant de refuser

— Un peu oui.

   Elle mit son sourire sur la table et secoua les boîtes de pizza : de quoi m'hypnotiser comme un cobra. Sa stratégie porta ses fruits, car j'acceptai en l'invitant à rentrer. Elle remarqua que sa chambre n'avait rien à envier à la mienne, s'assit sur le lit (une très mauvaise idée) et avec un trop grand plaisir beaucoup, me lança une boîte et ouvrit la sienne. D'instinct, je gardais une certaine distance. Pas par poltronnerie, loin de là. Mais en tant qu'avocat, j'avais été confronté à des dossiers qui m'apprenaient sur la vie autant que pourrait faire la bible ou un bon conseiller. Un petit mensonge vite parti et là, une galère judiciaire concernant une agression sexuelle. Vous ne saviez pas à quel point les affaires de viols étaient fréquentes. Et j'avais constaté que cela arrivait souvent aux fils d'un papa plein aux as. Sans insinuation.

   Sarah saisit une tranche de pizza, et la porta à ses lèvres. Elle renifla un peu avant d'y coller ses dents et lâcha un soupir qui m'invitait à faire de même.

— T'inquiètes pas, cette boîte ne va pas te donner du gras durant ton séjour en Australie. La chaleur...

   Elle me sourit encore une fois, ce qui me mit en tête qu'elle l'affichait trop souvent. Et concernant son argument, si elle savait à quel point ce plat universel m'enivrait. Un spasme de plaisir remua mes doigts tandis que j'aspirais l'odeur avant de plonger à pleine dent sur cette pizza. Des milliers de saveurs explosèrent sur ma langue et me forcèrent à hocher la tête comme quelqu'un qui répondait à une question silencieuse. Oui, la pizza, c'était bon.

— Pourquoi es-tu venu en Australie ? me demanda Sarah.

—  On m'a toujours vendu Sydney comme une ville splendide, je voulais venir voir par moi-même. Et toi ?

   Elle s'étira le cou dans une drôle de position avant de me répondre.

— Pour voir le pays et souffler un peu.

— Cool.

— Ouais cool.

   On retomba dans le silence de départ qui alourdissait la pièce. Manger sans parler n'avait rien de dramatique. On disait bien qu'on ne parlait pas avec la bouche pleine. Je n'étais pas gêné, en tout cas pas tout de suite, car il m'avait fallu commencer la troisième tranche de pizza pour remarquer que Sarah ne me quittait pas des yeux, mais vraiment pas d'un pouce. Ses yeux s'étaient immobilisés sur moi et ne cillèrent que très peu. Mon corps se transformait à petit feu en brasier à mesure qu'elle intensifiait ce regard. Ne répondant à ce contact visuel que très peu, je finis tout de même par implanter une connexion prolongée avec elle qui n'eut pour effet que d'augmenter les flammes. Troublé, je questionnai avec une voix sans maîtrise.

— Qu'y a-t-il ?

— J'aurais tout imaginé de toi. Tous, sauf que tu étais un grand timide.

   Le morceau à moitié écrasé dans ma bouche tomba au sol, tandis qu'une quinte de toux sauvage exprimait ma surprise.

— Keum, keum, Keum ne suis pas un... Keuh, keum, timide.

— Oh, mais tu sais, reprit-elle d'une voix douce. Il n'y a aucune honte à ce qu'un adulte le soit.

   Ayant repris le contrôle de ma gorge, je lâchai.

— Mais vous vous trompez, je suis avocat.

— Ça ne justifie rien, rien du tout.

Comme elle avait raison, je changeai d'angle d'approche.

— Sur quoi vous basez-vous pour me qualifier ainsi ?

— Je déteste quand on me vouvoie, appelle-moi Sarah, c'est plus simple.

— Si vous... tu veux Sarah. Alors...

— J'ai pu remarquer ta réticence quand Bertha t'a demandé de prendre mes bagages. Et aussi ce dernier regard que tu m'as jeté en biais quand tu sortais de mon lit. Tu voulais me voir, ça se lisait sur tout ton visage. Mais maintenant, que tu aies tout le temps de m'admirer, tu ne le fais pas. Alors j'en arrive à trois conclusions. La première, c'est que tu es homo...

— Quoi, mais...

— Mais, reprit-elle en traînant sa voix d'une manière à me faire taire, c'est peu probable. La deuxième, c'est que tu détestes les genres de femmes comme moi. La troisième, c'est que je t'intimide à un point que tu as peur de moi.

   Je me réajustai sur le siège en savourant les absurdités de ces notifications. Me laisser intimider par une femme jusqu'à en avoir peur de la regarder. Ça n'arriverait pas de si tôt. Je ne me baignais pas dans de la sauce masochiste. Je faisais partie de ceux qui pensaient qu'une femme avait le droit de faire ce que bon lui voulait tant que cela n'embêtait personne. Mais comment ignorer cette gêne primitive qui voulait qu'un homme se dût de rester fort dans n'importe quelle circonstance ? D'être un pilier. Et j'avoue que je portais cette idée dans ma tête avec fierté. L'homme devait tout faire pour devenir plus fort et se perfectionner dans le but d'assurer la protection et le bonheur des gens qui l'entourait. Petite parenthèse fermée ici, par prudence.

— Je ne déteste pas les femmes comme toi et tu ne m'intimides pas.

— Tu devrais...

— Je devrais quoi ?

— Tu devrais avoir peur de moi ?

— Et pourquoi ?

   Elle prit deux longues respirations, secoua la tête et prit une petite bouchée de son mets.

— Parce que je suis une P.S.

— Une P.S. ?

— Une psychopathe séduisante.

Elle cessa tout mouvement pour bien voir quelle serait ma réaction.

— Tu sais, tu vas devoir passer par un autre moyen si tu veux me faire peur.

   Elle se pencha vers moi avec une douceur qui me prit de court. Elle leva sa main pour effleurer mes lèvres. Apparemment, j'avais une petite saleté. Mais ce contact qui dura qu'un court instant suffit à accélérer mes pulsations. Néanmoins, elle augmenta de plus belle quand Sarah me dit.

— Te faire peur ? C'est la dernière chose que je veux faire.

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant