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   Pour me faire une raison et essayer de me convaincre de ce que je venais d'entendre, je mis tout sur le compte de l'ironie. Même si je captai les traits sérieux dans sa face après sa phrase, qui résonna dans la chambre. Je me concentrai sur le reste de ma pizza et la terminai. Les doigts huileux, la bouche graisseuse et le ventre plein, je remerciai Sarah une fois toutes les tranches englouties et espérai qu'elle verrait là une invitation à prendre la porte. Je ne la mettais pas dehors, mais j'avouais que sa présence m'embêtait. Pourquoi ? Je n'en étais pas sûr, mais je sentais chaque signal que me renvoyait mon corps pour me faire accepter l'évidence. Elle était belle et ne me laissait pas indifférent.

   Lorsque le sens de mes pensées fut clair, un goût âcre se colla à ma langue et refusa de s'en aller. Mes doigts se sont mis à gratter le long de ma chambre et je me pris d'un étrange intérêt pour une forme qui se trouvait au sol.

   La vérité, c'était que je voulais fuir l'idée qui m'était le plus insupportable à garder dans ma tête. Cette voix que je réduisais au silence depuis quelques années, mais qui persistait. Si toutefois, elle se faisait discrète durant un temps donné, elle avait toujours le culot de faire son apparition dans des compliments, des proches, mon travail, la maison dans laquelle j'ai grandi et pire, de mes propres conclusions.

   L'idée d'être comme... Mon père. D'être un connard de première classe, un vieux filou, un putain d'infidèle.

   Je n'aimais pas juger les gens sur leur apparence et selon les goûts de mon humeur. Mon père m'avait fait rejeter cette activité, car il était l'exemple parfait qui prouvait que c'était une perte de temps. Oh oui, l'image qu'il envoyait de lui mentaient à tous les gens qui l'entouraient. Même ma mère fut de la partie jusqu'à ce qu'elle atteigne le point de non-retour. Il était le seul homme sur terre dont la vie roulait comme sur des roulettes. Il était le mec le plus populaire de son école, avait fait des études de droit dans une grande université du pays où il était devenu l'un des meilleurs de sa promotion. Il n'avait même pas eu besoin de faire la queue dans les files d'attente pour son premier entrevu et obtenir son premier job dans un grand cabinet. Là-bas, il gravit les échelons comme s'il montait une échelle.

   Une dizaine d'années plus tard, il se vêtit de l'ambition de créer son propre cabinet. Il rencontra ensuite une jeune pianiste qui montait en flèche avec qui il se maria un an plus tard. Son cabinet finit par devenir l'un des meilleurs de Londres. « Quel parcours ! C'est un modèle. Cet homme est extraordinaire. » Pourrait dire un spectateur. Mais moi, je n'étais pas un spectateur. Je faisais partie intégrante de l'histoire et en avais subi les frais. Je vous le jure. Un spectateur ne pourrait pas savoir que sa popularité traînait derrière lui des tas de débauches qui ne manquaient pas d'exaspérer ses parents. Et qu'il faisait partie de ces brutes qui aimaient s'en prendre à plus faible qu'eux.

   Un spectateur ne saurait jamais ce qu'il avait fait avec une professeure de son université lors de sa fête d'anniversaire. Un spectateur ne saurait jamais que c'était après avoir baisé la fille de son patron que ce dernier l'avait mis à la porte comme peu de cabinets refusaient de l'engager après cet incident, il décida d'en créer un.

   Mon géniteur n'avait jamais été quelqu'un aux goûts fixes. C'était comme un match de foot, on avait sur le papier notre favori, mais on savait qu'on ne pouvait se fier qu'à ça. Tout était possible. Il avait dû avoir une saute d'humeur lorsqu'il avait trompé ma mère. Je m'égarais dans mes réflexions. Mais cela ne me surprenait pas. Quand je pensais à ça, je n'avais pas les idées claires. Je fermai les yeux avant de regarder Sarah. Non, je ne pouvais pas être comme lui, c'était obligé.

—Tu m'en vois ravie de cette nouvelle, finit-elle par lancer en me forçant un sourire.

   Je me levai et allai près de la fenêtre. Le lit cria quand Sarah se leva pour venir déposer sa main sur mon épaule. Un léger frisson parcourut tout mon corps, ce qui ne m'apporta pas plus de soulagement.

— Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas.

— Pas du tout.

— Tant mieux. On me reproche souvent de blesser avec mes paroles. Mais si ce n'est pas moi, c'est qui alors ?

   Sentant sa caresse incessante sur mon dos, je me tournai vers elle. La proximité avec son corps me frappa, elle était juste devant moi. Ses yeux étaient plus verts que jamais et son visage, plus parfait. Et ses lèvres semblaient bien juteuses. Le temps ne s'arrêta pas comme il savait très bien le faire dans ce genre de situation. Il accéléra. Mon corps pesait des tonnes et la chaleur refit surface. Je pensai que ce fut à ce moment-là qu'elle se rendit compte de l'influence qu'elle avait sur moi. Elle hocha la tête, s'humecta les lèvres,  déposa une main sur mon torse, puis la deuxième.

— Tu sais, je suis quelqu'un qui garde très bien les secrets. J'en ai des tonnes, chuchota-t-elle.

   Je ne répondis pas, car ma bouche était occupée à éteindre le feu dans ma gorge. Elle se pencha vers moi avec un reflet dans les yeux qui m'ordonnaient à faire pareil. Elle voulait m'embrasser. En bon opportuniste, je comprenais la chance qui s'offrait à moi. Une beauté comme ça ne s'arrachait pas tous les dimanches. Une beauté qui plus est, n'avait nécessité aucun effort. Mais si je succombais, je ne ferais que prouver à moi-même que ce qu'il avait fait était pardonnable. Que c'était juste... naturelle. Et que les hommes pensaient vraiment avec la queue.

   Tandis qu'elle entamait les derniers millimètres qui séparaient nos lèvres, je détournai la tête.

— Désolé, ça ne va pas le faire.

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant