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— Tu me sembles trop rancunier envers quelqu'un qui t'apporte à manger.

   À ces mots, elle ouvrit la boîte et l'odeur qu'elle protégeait, s'épanouit dans la pièce. Contre mon gré, je jetai un coup d'œil. Ça semblait savoureux. Néanmoins, il fallait tenir bon. Montrer une once de faiblesse n’arriverait qu'à la triste conclusion que mes besoins primaient sur ma fierté.

— Les mêmes qu'on avait dégustées chez les Blook, tu t'en souviens ?

   À l'absence d'une réponse, elle détacha une tranche de pizza pour coincer un bout entre ses dents et mâchouilla le plus lent que possible. Tout en intensifiant des soupirs de bonheur. L'observer fut un supplice, alors je lui tournai le dos et essayai d'oublier sa présence.

— Ne fais pas ta chochotte et mange, ordonna-t-elle en déposant l'autre carton devant ma figure.

— Tu as mis combien de gramme de poison la dedans ?

— Mais qu'est-ce que tu racontes ? Rien du tout. Ce n'est même pas moi qui l'ai préparé.

   Je me retournai.

— Ah ouais ?

   Ma voix dévoilait trop d'ironie pour ne pas être remarquée. Son visage resta tout de même calme. Quoiqu'à bien regarder, c'était à moi de gronder.

— OK, d'accord, dit-elle. Pardon pour t'avoir frappé à la mâchoire. De toute manière, ça n'a rien de grave. Ce n'est pas comme si j'avais toutes mes forces.

— Comme si tu n'avais pas mis toutes tes forces ?

   J'aurais voulu hurler, mais mon corps me fit comprendre que ce serait de l'énergie envoyée par la fenêtre. Il fallait plutôt chercher un moyen de sortir d'ici, ou de penser à la manière de tirer profit de ce bruit de pneus que j'entendais parfois.

— Oui. C'est tout de même de ta faute, il ne fallait pas me traiter de pute.

— Je ne t'ai jamais traité de pute !

— En tout cas, on ne parle pas à une gente demoiselle, comme ça.

   Un soupir s'échappa de mes lèvres. La faim m'ennuyait les tripes et entendre jacasser mon estomac ne faisait qu'augmenter ma douleur. Il grinçait de lui envoyer quelque chose, n'importe quoi. Souvent, les options les plus simples paraissaient si difficiles. Je n'avais qu'à enterrer pour un bout de temps ma fierté et ma rage, tendre les doigts et manger cette pizza. La fierté aveuglait un homme. Survivre pour cocher les tâches qu'ils me restaient dans cette vie, demandait peut-être de petits sacrifices. Expirant ma haine et le dégoût pour cette triste vérité, j'attrapai un carton. L'effet fut rapide. Un petit saut à l'intérieur et redémarrage. Sans oublier ce délice de pouvoir sentir le goût du fromage sur ma langue.

— Et ben tu vois, ce n'était pas si difficile, s'enquit Sarah.

— Je dois tout faire pour ne pas mourir avant de trouver le moyen de me barrer d'ici.

   Elle lécha un bout de son mets avant de l'envoyer dans sa bouche.

— Pourquoi dis-tu mourir ? Il n'y a pas de menace ici.

   Je m'étranglai. Il ne semblait pas avoir une touche d'ironie ou de sarcasme. Comment parvenait-elle à dire ça plus sérieux qu'un moine ?

—  Pas de menace ? Comme c'est gentil de me rassurer sur ce point. Du coup, je me sens en sécurité avec toi. TOI QUI VIENS DE ME LAISSER DURANT DEUX JOURS SANS MANGER, DANS UNE PUTAIN DE CHAMBRE MERDIQUE, AVEC LA VESSIE PLEINE À RAS BORD.

   Elle me poussa une bourrade qui se voulait amicale.

— Pas la peine de hurler. Jamais tu ne mourras de faim ici. Considère cette expérience juste comme un petit avertissement, le prix à payer pour t'être mal comporté. Quand un chien fait une bêtise, il faut le punir.

   Venait-elle de me comparer à un chien ? Je préférai me concentrer sur ma nourriture. Le silence aidant, j'avalai tout à la vitesse de l'éclair et regardai mon ventre se distordre. La béatitude me combla.

— On dit quoi ? demanda Sarah avec la voix d'une professeure en classe de maternelle.

— Va te faire foutre.

— Il n'y a que toi ici, donc à toi d'assurer cette responsabilité.

   Je rectifiai le tir.

— Merci, merci. Et maintenant, laisse-moi tranquille.

   Elle vint enfouir ses cheveux pétillants d'une odeur de fraise dans mon cou.

— Non. Tu ne sais pas à quel point ce fut éprouvant pour moi de ne pas te voir. Ce corps chaud bouillant me manquait. Cette chose aussi.

   Elle descendit sa main sur mon pantalon, mais je parvins à l'empêcher de toucher son but. Dans ce petit jeu, il me vint à l'esprit qu'elle pourrait être une nymphomane. Mes yeux me dévoilaient tous les détails pour pouvoir la qualifier d'addict ou de bête de sexe. Non, elle était vierge il y a quelques jours plus tôt. La seule hypothèse crédible – après y avoir goûté, elle voulait encore plus– m'amenait à penser que c'était moi le responsable.

— Tu sais bien que tu ne fais pas le poids, dis-je pour changer d'idée. Je pourrais facilement prendre le dessus sur toi et me casser d'ici.

   Ses cheveux continuèrent à agacer mon cou. Elles me chatouillaient à un point où je me retenais de ne pas lui pousser le crâne.

— Tu te prends pour le personnage principal d'un roman ou quoi ? S'il devait exister, ce serait moi. Riche, belle, intelligente, saine d'esprit. J'ai toutes les qualités.

   Soufflant ces avanies les lèvres collées sur l'un de mes tétons, impossible de voir les expressions de son visage. Quand je prenais le temps de digérer ces paroles, une pointe d'humour semblait s'y dissimuler. Sans ce cadre de thriller raté, on pourrait même en rire.

   Elle leva ses yeux de jade vers moi, mit ses doigts qui gardaient les graisses de sa pizza sur mon ventre avant de s'amuser à les articulés.

— Tu sais très bien que tu n'arriveras à rien en te prenant à moi. Tu ne pourras jamais t'échapper. Cette maison a été conçue pour que personne ne puisse y pénétrer sans la volonté de son propriétaire. Et malheureusement pour toi, l'inverse est aussi vrai.

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant