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   La colère de Sarah était si intense qu'elle transformait son visage. À ce moment, elle s'apparentait plus à un félin en plein combat qu'autre chose. Les deux mains en évidence, l'instinct me formulait de ne pas faire de gestes brusques, car je trempais dans le pétrin. Ma vie ne tenait qu'à un clic.

   Fabuleux ! Une arme à feu maintenant.

   L'idée de lui demander si elle savait utiliser ce truc me vint à l'esprit. Toutefois, les deux réponses possibles ne me conviendraient guère.

—  Maintenant, c'est moi la méchante ? Après tout ce qu'on a vécu ensemble, tu comptais te barrer comme ça, racla-t-elle en brandissant la bouche du canon dans tous les sens.

— C'est toi qui tiens l'arme en main, pas moi, dis-je la voix toute secouée.

— Pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour que tu me traites comme ça ?

   Elle cogna la pointe du revolver dans mon ventre trois fois. Me permettant à chaque occasion de me faire pisser dessus. Lorsqu'elle s'arrêta, elle glissa sa main sur ma joue avec une légèreté digne des plus fraîches brises d'été.

— Ce qu'il y a entre nous est si intense, si beau, si magique, si parfait.

— Ça n'a rien de beau ni de parfait.

— Mais on a couché ensemble. Tu as pris ma virginité. Ça ne compte pas ?

— Fallait bien que quelqu'un le fasse, non ?

   Je n'avais même pas encore compris mes mots que la crosse en bois du revolver s'échoua sur ma mâchoire. La douleur fut immédiate et si forte qu'elle me plia à sa volonté. Me retenir de hurler ne fut pas un jeu d'enfant. Cependant, quand je sentis un petit goût rouillé sur ma langue et compris qu'elle venait d'être entaillée par mes dents, les larmes comblèrent mes yeux pour ensuite déferler sur mes joues. À cause de la douleur ou de l'injustice qui venait me frapper, difficile de statuer. Ce défaut me suivait depuis l'enfance. Ignorant le pourquoi du comment, mais lorsqu'on me punissait injustement, je chialais comme un bébé. Pourquoi ce coup ? Je n'aurais pas dû lâcher ça comme ça, mais... J'étais honnête ?

   L'honnêteté tuait !

   Je profitai de cet instant de faiblesse pour rester courbé quelques secondes et tenter de dissimuler mes larmes. Mais elles désintégrèrent d'elles-mêmes. En tout cas ce n'était plus des larmes de tristesse. J'avais la rage. Peut-être bien que j'allais mettre de côté mes soi-disant principes pour une fois. Chaque règle devait bien avoir une exception. Je me redressai avec le peu de fierté qui me restait pour faire face encore une fois à Sarah. Cette dernière gardait la main sur sa bouche comme si c'était elle qui venait de recevoir ce coup. Ses yeux brillaient et je me rendis compte de ses larmes. Elle pleurait ? Sans blague.

— Désolée. Je... Je n'ai pas fait exprès, c'est venu comme ça, s'excusait-elle en entremêlant les mots.

   Ce coup de poing à la jambe avant de s'enfouir dans sa chambre ! La culpabilité m'enveloppa et me rendit coupable. Peut-être que j'aurais dû comprendre dès cet instant que c'était quelqu'un de peu fréquentable, et que je n'aurais pas dû la suivre pour la... consoler. Une tape sur la jambe, une arme sur la mâchoire. Quelle sera la prochaine étape ? Maintenant qu'elle possédait une arme, la réponse faisait flipper. D'autant qu'elle semblait instable sur le plan émotionnel.

— Regarde ce que tu m'as fait faire. Je ne voulais pas en arriver là, je ne voulais pas.

   Elle continua à pleurnicher durant un bon bout de temps, toujours en pointant l'arme sur moi. Mes yeux, ma tête, mon corps tout entier cherchaient le geste qu'il fallait faire après s'être fait éclater. Mais ils ne trouvèrent rien. Je restais là, main sur la mâchoire à me perdre dans mes pensées, jusqu'à ce que Sarah eût repris le dessus sur sa tristesse.

— Je t'aime Apollo. Vrai de vrai. Demande-moi n'importe quoi et je le ferai sur-le-champ. Et toi, tu m'aimes. Je le sais. ALORS, DIS-MOI POUR QUELLE FOUTUE RAISON VEUX-TU T'EN ALLER ?

   Elle s'époumona sur la dernière phrase. Vu qu'elle me présenta sa paume, je pensai qu'elle me demanda de l'excuser. Rien de plus rassurant.

— Ta chambre ne te plaît pas ? Tu n'apprécies pas mes petites attentions qui prouvent à quel point tu comptes pour moi ?

   Je ne pouvais plus jouer la comédie. Il fallait que la vérité, en tout cas, que ma vérité sorte malgré les menaces. Un peu gêné par ma mâchoire déjà enflée, je lui dis.

— Non, ma chambre ne me plaît pas vu qu'elle est en fait une prison. Et va te faire foutre avec tes petites attentions.

   De peur qu'elle ne soit aveugle, je lui montrai mes mains menottées.

— Regarde ce que j'ai hérité de tes bonnes petites attentions. Et ça maintenant. Crois-tu que tu me fais peur avec ton revolver ? Hein ?

   Une frénésie attaqua ses lèvres et remplit ses mirettes. Elle prit un bon nombre de secondes à le cacher, mais finit par glisser un rire charmant. Acquiesçant de la tête, comme si elle essayait de se convaincre de cette phrase, elle finit par pointer le canon de l'arme entre mes yeux. L'index caressant dangereusement la gâchette.

— Tu devrais pourtant ? Cependant, j'avoue que c'est plaisant d'entendre ça de ta bouche. Ça prouve que j'ai fait le bon choix.

— Mais qu'est-ce que tu racontes comme sottises ?

   Elle détacha l'arme sur mon front, me permettant de reprendre ma respiration. Elle me saisit les bras pour me pousser vers l'une des chaises de la table.

— Dans une relation, il faut de la communication pour que cela puisse fonctionner. Entama-t-elle comme si c'était la suite logique de la conversation. En tout cas, c'est ce que j'entends le plus souvent. Tu vois, il y a du progrès entre nous. Tu arrives à dire ce que tu penses.

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant