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   On entendit un bruit au niveau de la porte.

— C'est… Ouvert. Lâchai-je sans conviction.

— Eh ben, ces trucs ne sont pas aussi sûrs que l'on pourrait penser, dit Jennifer.

   Quand j'ouvris la porte, ce fut le ciel obscur qui attira mon attention. Sans la moindre étoile et sans lune, son immensité m'apprivoisait. Oui, voilà un bon bout de temps que je n'avais pas eu la chance de m'y perdre comme si le temps m'appartenait. La lumière des ampoules éclairait une grande cour tapissée de graviers. Une fontaine se trouvait au loin, des arbres à perte de vue, la belle voiture de Sarah et ses grosses roues : rien de mieux pour prendre la fuite, le cœur serein. Tout ce qu'il fallait pour sourire se trouvait devant moi, alors pourquoi n'explosait-il pas ?

— Merde, qu'est-ce qu'elle a fait de ma voiture ? ragea Jennifer. Après quelques secondes à réfléchir, elle prononça qu'un seul choix s'imposait.

— Faut briser la vitre.

Sa voix chaude et pétillante me sortit de mes réminiscences.

— Tu as raison. Va falloir la péter. Tu penses qu'un coup de coude suffira.

— Si tu veux le fracturer, pourquoi pas.

   Je pris sa remarque au sérieux et cherchai un autre moyen. Je le trouvai derrière la voiture. Une pierre de belle taille ferait l'affaire. Je commençai par de petites tapes bien gentilles qui éveillèrent un sourire en coin à Jennifer.

— On dirait que tu as peur de la briser.

— C'est du gâchis de faire ça.

   Elle m'arracha le rocher des mains et l'envoya sur la vitre qu'elle fendit en mille morceaux. Le bruit s'évapora rapidement et sans bavure. Jennifer ouvrit la porte de la voiture, retira la pierre et les autres débris avant de prendre place pour m'ouvrir l'autre portière. Une fois à l'intérieur, l'odeur qui m'accompagnait le long de ma visite guidée avec Sarah refit surface, mais fut chassée à grands coups de tête.

— Maintenant, à moi de jouer, s'enquit-elle en insérant le couteau au bas du volant.

   Elle finit par retirer une paroi en plastique qui cachait des tas de câbles. Souriant comme pouvait sourire un prisonnier qui voyait la clé de sa cage, elle fit le tri avant d'en dénuder deux d'entre eux.

— Un petit contact, dit-elle en rencontrant les deux parties dénudées. Et…

   Mais sa phrase resta en suspension et attisa une crainte profonde.

— Quoi ? Qu'y a-t-il ?

— Y a quelque chose qui ne va pas. Il devrait au moins avoir des…

   Le son d'une balle brisa le silence de la nuit. Je levai la tête pour découvrir une scène digne d'une grande comédie dramatique. Sarah se tenait devant la voiture, les cheveux caressés par les brises et son magnifique pistolet en main. Tout ça, dans la petite tenue dans laquelle on venait de baiser.

— Sans clé, ça passe. Mais sans clé et sans batterie, c'est une autre histoire. Précisa-t-elle en nous faisant signe de descendre de la voiture.

   J'échangeai un regard inquiet avec Jennifer qui n'avait pas l'air aussi terrifiée qu'elle le devrait. Peut-être à cause du couteau qu'elle tenait dans la main. « Non, laisse ça là, je vais m'en occuper, ne t'inquiète pas. » C'est ce que j'aurais dû dire, mais elle abandonnait déjà la voiture. Elle ne masquait même pas son arme, au contraire, elle l'affichait comme s'il pouvait rivaliser face à celle de Sarah.

— Non, mais sérieux, tu me prenais pour qui mon beau ? La pire des idiotes ?

   Mes pensées en vitesse-lumière m'empêchaient de répondre.

— Alors comme ça, tu comptais te barrer ?

— Écoute Sarah.

— Ferme-la tu veux ! Et toi, jette ton couteau ! Tu connais l'expression qui dit que les mûrs ont des oreilles, ben, c'est vrai. J'ai tout entendu de ta discussion avec cette pute. Me séquestrer jusqu'à ce que je vous donne les codes, pas vrai ?

— Donc tu savais tout depuis le début ? demandai-je l'esprit désordonné.

— Tu crois que c'était un hasard si tu as trouvé la clé qui ouvrait sa chambre. J'ai en quelque sorte décidé de donner un petit coup de main à mon cher fiancé et sa pute adorée. Mais tu sais ce qu'il y a de plus drôle ? questionna-t-elle en avançant vers nous et en nous mettant en joue à tour de rôle. C'est que je gardais un putain d'espoir que tu allais changer d'avis et que tu resterais avec moi. J'ai décidé de te mettre à l'épreuve en donnant ce que tu espérais : un moment avec moi ainsi que des portes déverrouillées.

   Elle aurait sans doute continué longtemps à nous marteler d'explications inutiles, mais Jennifer la coupa d'un ton moqueur.

— Tu vas continuer longtemps ?

   Marquant une pause qui semblait douloureuse, Sarah pointa l'arme dans ma direction. Et là, je pensai que c'était la fin. Ma fin. J'allais rejoindre ma mère au paradis. Peut-être qu'elle pourrait combler le vide creusé durant ma vie. On parlerait de ses talents culinaires, de sa voix angélique, de ses cours de piano qui, en quelque sorte, m'amenaient jusqu'à elle. On parlerait de papa aussi et à quel point je l'avais boudé à cause de sa mort. Maintenant, il allait être seul, comme le bon grand connard qu'il était.

   Mais c'était sans compter sur le timing de Jennifer qui s'élançait avec la rage d'un joueur de foot américain sur Sarah. Et l'espace d'une seconde, elles se retrouvèrent toutes les deux au sol.

   Sous le coup de la surprise, Sarah demeura un moment abasourdie avant de hurler comme le ferait une furie des enfers. Elle essaya de mettre le canon sur la tête de Jennifer, mais cette dernière ne comptait pas lui faciliter la tâche. Elle saisit ses poignets pour la frapper au sol afin de la faire lâcher prise. Une, deux, trois, quatre fois et l'arme s'envola dans les airs pour atterrir à un mètre d'elles.

   Comme un enfant qui venait de se faire arracher son jouet, Sarah battit des pieds et des mains. Drôle de stratégie.

— Sale garce, tu m'écrases ! vociféra-t-elle en mettant une bonne droite à Jennifer qui, surprise de ce geste, tomba à la renverse.

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant