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   Durant les quelques heures qui s'épuisèrent au dam de mon humeur, je fis de plus amples connaissances avec les plaintes de mon corps. Elles amplifiaient et accroissaient mes inquiétudes. La chaleur de la pièce grimpait et chaque parcelle de ma peau me démangeait d'une manière singulière. Un amas de sueur s'agglomérait au creux de ma poitrine, et partageait une intime connexion avec le tissu de ma chemise. Disons que ma situation aiguisait ma sensibilité. Être contraint de rester dans une seule position était une expérience désagréable. C'était comme dormir sur des barres de chocolat tandis qu'on devait suivre un régime.

   Puisqu'il n'y avait rien d'autre à faire, je me livrais à une contemplation de la pièce qui ne valait pas du tout cette attention. Ce qui me permettait de saluer au passage les portraits inscrits dans les murs. Souvent, ils me souriaient, mais parfois, une drôle de grimace sculptait leur visage. Elles semblaient si vraies que je ne serais pas étonné de les voir me demander : « Ça gaze mon pote ? Ravie que tu nous tiennes compagnie. On est si seul ici. » Cela signifierait que la folie me taquinait. Quand même, j'étais plus fort que ça. Je pouvais résister à un isolement dans un endroit inconnu pour des raisons douteuses. Durant un jour ou deux. Et un mois ?

   Un courant m'assaillit les côtes. Combien de temps allais-je passer ici ? Quelques heures semblaient déjà être une éternité. Le temps occupait une place importante dans ma vie professionnelle ainsi que l'autre. Pardonner le ton lunatique utiliser, mais depuis quelque temps, j'acceptais le fait que je ne possédais pas de vie sociale. Sociale dans la mesure où l'on parlait des relations innées et acquises. Famille, amis, copine... Elle s'illustrait comme un trou noir sans fin. J'espérais atteindre le fond, mais quand je tendais les bras pour amortir ma chute, ma descente continuait de plus belle.

   Et je n'aimais pas ça. Résolution sous les bras, je mis en veille cette réalité cauchemardesque pour me plonger dans une autre moins mauvaise et plutôt contrôlable. Faite de bloc de feuille, de pourparlers, de contradiction, de terrain d'entente. Mon travail. Elle aurait pu être parfaite si des balises ne me rappelaient pas sans cesse mes remords. Alors maintenant, menotté sur ce lit, je me demandais si j'avais bien fait. J'entendais souvent qu'il ne fallait jamais dire jamais. Il fallait accueillir tous nos maux et nos démons qui nous assaillaient comme des... amis. Des amis, hein ! Quelle mauvaise blague. Comment une chose qui me faisait mal pouvait-elle rentrer dans mon cercle d'intimité ? J'aimerais bien que l'on me l'explique. Comment accepter le fait que j'ai été le pire des fils ? Comment accepter que je ne valusse pas mieux que mon salaud de père ?

   Je sentis une sensation fraîche parcourir mes joues. Je pleurais néanmoins, je ne cherchai pas à m'arrêter. Un jour ou l'autre, il fallait que toute ma faiblesse s'exprime. Et quoi de mieux après m'être fait enlever par une femme pour le faire ? Comme des sanglots voulaient sortir, mes dents restaient plantées dans mes lèvres un bon moment avant de lâcher prise. Tout ce qui voulait sortir, sorti. Les regrets, le fait de n'être qu'un tas de déchets voués qu'à polluer. Les souvenirs... Les plus magnifiques me ravageaient les tripes autant qu'un couteau tenu par Rambo. Pitoyable !

   J'ordonnai à mes paupières d'arrêter leur déluge et me concentrai sur ma position inconfortable. Les yeux de jade de Sarah succédèrent très rapidement à mes peines. Ils semblaient jaloux de mon attention. En y réfléchissant bien, ils avaient raison. Je me trouvais n'importe où sans mon consentement à cause de... Sarah. Ce nom peinait à sortir de ma bouche en un seul morceau. Je n'arrivais toujours pas à admettre qu'elle était sérieuse. Pas très satisfaisant, mais c'était la seule phrase de soi-disant constructif que je pouvais dire et forcer d'y croire. Maintenant que le temps me permettait de voir un peu plus clair, je me disais que l'insulter montrait à quel point le contrôle m'échappait. Sale pute ? Vraiment ? Et puis, il devait avoir au moins une caméra cachée dans cette fichue pièce qui m'épiait en secret.

   Je patientai avec cet espoir que je protégeais de toutes les contradictions abondantes... Bon nombre d'heures s'écroulèrent (ou pas) avant que Sarah ne refasse son apparition. Elle portait toujours les mêmes habits et cette expression neutre sur le visage. Je n'attendis pas qu'elle m'ait adressé la parole pour entamer la conversation. Le désespoir faisait passer outre les bonnes manières.

— Écoute Sarah, excuse-moi pour tout à l'heure. Je n'en pensais pas un mot. La colère m'a mis hors de moi.

   Elle laissa le doute planer dans ma tête en gardant sa voix pour elle. Dix secondes après, elle finit par répondre.

— En es-tu sûr ? Parce que moi, je pense tout ce que j'ai dit. La colère est magnifique quand on apprend à penser par soi-même et non par les stéréotypes de la société.

   Sa voix semblait siffler comme celle d'un serpent. Ce fut avec une grande difficulté que j'essayai de comprendre son message. Ne voulant pas la froisser, je fis mine de comprendre.

— Tu pensais tout ce que tu as dit, ne sois pas lâche à ce point. Ne rejette pas la faute sur tes émotions.

   Le ton qu'adoptait sa voix pour lâcher cette phrase ressemblait plus à un ordre qu'un conseil. Pourtant, sa face restait indemne de tout reproche. Je ne me voyais pas du tout affirmer qu'elle était une salope. Que faire ?

— Non, je ne pensais pas un mot. Tu n'es pas une salope. Tu es la femme la plus douce, la plus sensible, la plus agréable qu'il me soit permis de rencontrer jusqu'à mon voyage en Australie.

   J'en faisais peut-être un peu trop. La flatterie possédait ses limites. Le visage de Sarah me le divulguait. Il était animé d'une rage bouillante.

— Et bien, ça va changer dès maintenant. Ces qualités ne m'ont apporté que douleur...

   Elle soupira.

— Tu as dit que tu m'aimais. lança-t-elle sur ton de reproche

— Mais c'est le cas.

   Sa colère sembla perdre en intensité tandis qu'elle venait s'asseoir à côté de moi.

— Si tu disais vrai, jamais je n'aurais eu à agir comme ça ?

   Peut-être qu'elle disait vrai. J'étais la seule cause de ce spectacle. J'aurais dû mettre un terme à notre relation quand les doutes commençaient à germer dans ma tête. Maintenant que j'y pensais, elle m'avait montré bon nombre de signes suffisant pour éveiller ma méfiance. J'aurais dû m'atteler qu'à visiter les endroits splendides de Sydney comme promis. Mais comment aurais-je pu ? L'envie de partir, non l'obligation de partir martelait ma tête et pourtant, j'étais restée avec elle jusqu'à créer des sentiments mitigés. Arrête. Culpabiliser ne servirait à rien. Quoique je l'avais poussé sur cette voix, c'était son choix. Un choix qui reflétait sa folie et le danger qu'elle représentait. Et dire qu'elle se trouvait sous le toit des Blooks. De bien des manières, je me sentais rassuré d'avoir écarté ce danger humain loin d'eux. J'en pâtirais toute ma vie si malheur leur était arrivé.

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