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   Un peu plus tard dans l'après-midi, lorsque les vagues de chaleur atteignaient une pique illogique, quelque chose de... bizarre se passa. Aussi bizarre que pût être un chat dansant sur un morceau de Black M ou une femme qui kidnappait un homme. Ma peau fondait telles des tablettes de chocolat sur un four et l'oxygène devenait de plus en plus difficile. Je décidai donc de me soulager dans des milliards d'atomes d'H2O. Me baigner quoi. Au début, tout allait bien. L'eau à moitié froide, à moitié chaude, me caressait la peau. Je commençais à m'habituer à voir mon reflet dans ce miroir accroché au mur. Si j'étais chez moi, je chantonnerais même un air enfantin tel que : « Savez-vous planter les choux » ou « Fuck le vent, fuck le vent, fuck le vent d'hiver ». Oui, inhabituel pour un adulte.

   Tandis que je prenais un malin plaisir à épuiser le savon sur mes fesses, la porte de la douche s'ouvrit, dévoilant Sarah avec ses cheveux attachés en queue de cheval. Elle n'eut pas la réaction que toute personne normale aurait dû avoir. Elle ne poussa pas de petit cri qui exprimerait sa surprise, ne se confondit pas en excuse en se retournant. Au contraire, elle semblait prendre du plaisir à admirer ma nudité. Ce rictus que j'aperçus au coin de ses lèvres me l'affirma que trop bien. Trop sonné pour parler, la pièce ne fut remplie que par le son des éclaboussures de l'eau. Cet instant sembla durer une éternité.

— Excuse-moi, j'ignorais que c'était occupé. Avait-elle dit en me regardant droit dans les yeux, un calme marquant dans sa voix.

   Elle mentait, mais comme ce n'était pas un drame, je lui souris comme un singe. Mais le pire était à venir. Quoi de pire que se retrouver nue devant une inconnue, me diriez-vous ? Ben fastoche, discuter en étant nue avec cette inconnue.

— Alors d'où venez-vous ?

— De... de Londres !

— Ah, l'accent me parlait. Moi, je viens de New York.

— Ah d'accord. C'est cool.

— Cool ? Pas vraiment. Il y a des tas de parts d'ombres de cette ville qu'on ne présente pas à la télé.

— Comme toutes les grandes... villes.

— Mais New York, c'est le pire.

— Si tu le dis.

— On dirait que tu ne me crois pas ?

— Je te crois

   Puis, elle parla d'un tas d'autres trucs que mon cerveau préféra mettre aux oubliettes. L'incompréhension et la gêne augmentaient à mesure qu'elle obtenait des réponses à ses multiples questions. Cette dure sensation de quelqu'un qui s'exhibait devant une foule perverse me croquait le corps. Cependant, le plus déconcertant dans l'histoire, c'était que ça ne semblait avoir aucune importance pour Sarah. Ce qui me força à mettre fin avec tilt.

— Je dois finir de prendre ma douche si ça ne te dérange pas.

— Mais non, bien sûr. Tu peux.

   J'attendis qu'elle s'en aille, mais Sarah ne bougea pas d'un poil.

— C'est le moment que tu dois t'en aller et fermer la porte derrière toi.

— Pourquoi ? Il ne faut pas t'en faire. Tu as un corps magnifique.

— Merci, je fais du sport trois fois par semaine. Mais ce n'est pas la question. J'ai besoin d'intimité.

   Elle hésita cinq à six secondes avant de s'en aller. Dieu merci, en fermant la porte. Je lâchai un grand soupir et me rendis compte que tout mon corps brûlait avec un sourire sur les lèvres. Ce qui venait de se passer gardait quelque chose d'apeurant, mais comment nier le fait que tout ça flattait mon ego ? Une femme aussi splendide que Sarah, qui s'en prenait à cœur joie à détailler mes attirails... Autant vous dire que mes capacités de raisonnement étaient faussées par toutes ces réactions chimiques à la con qui donnaient envie de baiser. Il fallait avouer que quand l'homme se mettait une chose dans la tête, même l'évidence n'arrivait pas à le faire changer d'avis.

   Une fois la douche terminée, je m'étais mis à redouter une deuxième rencontre avec Sarah au niveau du couloir ou pire, dans ma chambre. Mais il n'en fut rien. J'enfilai un pantalon noir ainsi qu'une chemise blanche dans le plus grand calme et me larguai sur le lit criard. Quelques séances de temple run plus tard, lecture de quelques dossiers importants, ainsi que l'attente d'un message qui ne viendrait peut-être jamais, je m'assis près de la fenêtre pour contempler le ciel sans étoiles qui se perdait à l'horizon. Comme le feraient ces stupides animaux dont le cliché voulait qu'ils soient hypnotisé par les phares des voitures.

   Je n'admirais pas. En tout cas, je n'attendais pas longtemps pour sombrer dans des états de transe où seules les choses qui se trouvaient dans ma tête existaient. Tandis que mes yeux se déposaient sur les ombres du ciel, je me voyais enfant en train de jouer avec un petit cerf-volant multicolore, m'amusant en le traînant derrière moi, dans le parc que j'espérais depuis toujours visiter avec mes parents. En parlant des loups, les voilà qui traînaient sur un grand drap rectangulaire qui protégeait les herbes du soleil. Ils s'amusaient à se chatouiller et à me surveiller. Ces instants-là étaient plus que rares. Ce fut donc assez naturel que je n'eusse pas compris sur le coup ce que valait cette scène. Oui, c'est ça ! De l'ironie grande comme le monde.

   Je chassai ce souvenir de ma tête, ou plutôt l'enfouie sous des draps épais pour me concentrer de nouveau sur le ciel. Bien sûr, les rêves aidaient à adoucir la réalité pour la rendre plus supportable, mais dès fois, valait mieux ne pas en faire. Et puis, le ciel mielleux était magnifique en cette fin d'après-midi. Un merveilleux décor à contempler en amoureux. Cette dernière réflexion cassa toute mon envie de continuer à observer. Ce n’était pas comme s'il n'y avait pas assez de messages subliminaux qui me faisaient penser à elle. Je me levai pour tirer le rideau de la fenêtre quand quelqu'un toqua à la porte. Mon corps s'emballa en pensant à Bertha qui venait m'inviter pour une partie de dégustation grandiose. Et puis, j'avais bien envie de me plonger dans ce cadre jouissif ou l'on parlait de tout et de rien en laissant des sourires par-ci, par-là.

   Toute fois, mon espérance fut réduite à néant quand je compris que c'était Sarah et qu'elle tenait en main, deux boîtes de pizza.

— J'ai une boîte de pizza à partager.

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant