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   Après un deuxième round acharné, Sarah tomba dans les pommes une ou deux heures plus tard. L'instant de vérité débutait. Pour ne pas tout gâcher avant même le premier pas, je comptai les poules dans ma tête avant de tenter le moindre geste. Je l'ébranlai et hélai son nom afin de m'assurer qu'elle dormait à poings fermés. Elle ronchonna un peu avant de se retourner. Habile tel un ninja, je me levai du lit, mis mon pantalon en contemplant les fesses de Sarah sous les plis de sa petite robe, vérifiai si les clés se trouvaient toujours dans ma poche avant de sortir. Mais la porte entrouverte de la pièce où Sarah s'était habillée attira mon attention.

   Elle pourrait cacher des trucs. Je déposai un œil inquiet sur Sarah avant de finir par tenter ma chance. C'était une douche personnelle. Identique à la première, mais en plus petite et sans baignoire. Il n'y avait rien d'exceptionnel à part les tas d'accessoires de beauté qu'on y trouvait, l'odeur d'eau de Javel trop prononcée et cette boîte rouge qui avait dû contenir la petite tenue de Sarah. Bref, une perte de temps. Je traversai la chambre sur la pointe des pieds et regardai encore une fois Sarah. Si tout se passait bien, voilà mon dernier regard à son égard. Bien sûr, le romantique poussait à m'approcher d'elle pour la donner un baiser sur le front ; en guise d'adieu. Mais j'envoyai tout ça en enfer, sortis de la chambre et m'engouffrai dans les ténèbres exquises qui régnaient dans les autres pièces. J'aurais pu passer les interrupteurs, mais autant habituer mes yeux à la nuit pour rester dans le concept ninja. Quand je déposai mes doigts sur le mur qui allait décider de mon sort, il me sembla froid comme de la glace. J'y cherchai une irrégularité qui trahirait l'emplacement de l'afficheur. Une légère bosse se révéla juste en dessus de l'évier et en jouant avec, je finis par la coulisser vers le haut. Malgré la faible luminosité de la pièce, je remarquai les dix chiffres qui avaient intérêt à ne pas jouer au con.

   Je pensai à ma mère et à ses cours de piano. Certes, cela faisait longtemps, mais c'était comme si c'était hier. Un vent apaisant flâna au-dessus de ma tête. J'allais réussir haut la main. Rappelle-toi de la séquence. Quand j'approchai mes doigts vers le combiné, ils tremblaient comme pas possible, mais ma confiance restait inébranlable. Je tapai le premier chiffre pris au hasard, mais cela ne correspondait pas. Mon instinct de musicien disait : Do, Fa, Fa, Ré. Alors je cherchai une à une le chiffre qui correspondait à chaque note, en prenant le soin de l'effacer après. Le temps me manquait. Sarah pouvait apparaître à tout moment. Après quelques minutes à tâtonner, je parvins à assembler la bonne séquence. Cela semblait être : 0, 4, 4, 1. Mais cela restait à confirmer. La peur m'empêchait de l'entrer une bonne fois pour toutes. Même en répétant la partition que cela semblait juste, elle demeurait toujours.

   Jennifer devait se ronger les doigts en attendant que la porte s'ouvre ou qu'une alarme retentisse. Allez, de toute manière, il fallait tenter quelque chose. Avec la précision d'un neurochirurgien, je pressai les touches une à une et à la dernière, je fermai les yeux en retenant ma respiration. Un bip s'éleva et mon corps réagit très vite à cette bonne nouvelle en devenant plus léger. J'avais… Réussi. Le souffle coupant, je regardais le mur qui faisait obstacle, coulisser pour laisser place au petit couloir. Ce plan foireux pourrait marcher.

   Mes pieds se mirent en branle pour se perdre dans l'obscurité du couloir. Je me tardais d'allumer une quelconque ampoule, car je pensais que cela me porterait malchance. Quand on  faisait quelque chose de non conforme, le noir accordait un sentiment d'invulnérabilité et de suprématie. Sans doute la raison pour laquelle les démons l'adoraient. À force de le haïr, je savais que je n'avais qu'à faire trois pas et demi pour atteindre la porte. Une fois déverrouiller, je la poussai lentement et entrai. Jennifer, qui se trouvait sur le lit, sursauta quand elle me remarqua, comme quoi, elle ne s'attendait pas à me voir. Face à son regard médusé qui me donnait l'impression d'avoir une tête de requin, je demandai.

— On dirait que tu ne t'attendais pas à me voir.

   Elle se tut un instant, avala sa salive et dit.

— En effet. Je n'arrive pas à croire que…

   Je la coupai en la disant de conserver toute réplique dénigrante pour plus tard, car on avait mieux à faire pour l'instant : Se tirer d'ici.

— On dirait que la nuit n'a pas été bonne.

   Pour toute réponse, je lui attrapai la main et quittai cette chambre. Cette confiance que je trimballais après avoir deviné le code risquait d'éclater dans ma face, mais bon. La peur restait là, bien pesante pour un trop petit estomac. Quand on arrivait à la cuisine, Jennifer attrapa un couteau au passage en signalant que c'était pour couper les fils. Toutefois, le simple fait qu'elle le tenait dans sa main et que son éclat dangereux me narguait provoqua chez moi un mauvais pressentiment.

— Si seulement on savait où cette garce cachait nos portables. On aurait qu'à appeler la police, soupira-t-elle.

   Je ne m'attardai pas sur sa phrase, car toutes celles qui commençaient par " si seulement " ne valaient pas la peine. Elle me suivit en traversant le salon sur la pointe des pieds pour échouer dans une partie de là que je n'avais jamais piétinée avec autant d'espoir. Comme je caressais des yeux la porte, Jennifer m'indiqua l'emplacement de ce que je cherchai.

— Voyons voir jusqu'à où la chance peut te sourire.

   J'aurais voulu dire que c'était le fruit d'entraînement forcé saupoudrer d'une petite couche de talent, mais aucun mot ne sortit. Sachant le temps qui s'épuisait. Zéro, quatre, quatre…

   Un.

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant