— Si tu continues comme ça, tu n'arriveras à rien.
— Mais c'est trop compliqué, toutes ces touches identiques me donnent mal aux yeux.
— Te plaindre ne servira à rien.
Je regardai maman qui se tenait debout, près de moi devant le piano, espérant me voir accumuler cinq bonnes notes consécutives. De ses yeux encourageants, je tapai sur les touches une énième fois en priant pour que ce soit le bon. Et d'une, et de deux, et de trois, et de ... oh ! Comme toutes choses entreprises au hasard, j'obtins une conclusion hasardeuse. Un petit juron tomba de ma langue. Mi-amusée, mi-contrariée, maman me releva pour me mettre sur ses jambes. M'entourant de ses deux longs bras, elle s'était mise à jouer.
— Ce n'est pas frère Jacques.
— C'est vrai.
Elle continua de taper sur les touches. Ça produisait une musique si magnifique, si vivante, que mon ventre et l'arrière de ma tête vibraient. Comme elle se balançait, je relevai la tête vers elle. Wouuuaaaw ! Les yeux fermés ? Et pourtant, elle tapait si vite sur les touches.
D'un coup, la cadence augmenta, augmenta, augmenta, augmenta... Pour se remettre à plat. Un sourire apparut sur ma bouche. La musique était si belle quand on l'écoutait, pourquoi était-elle si difficile quand on voulait le faire. Maman mit fin à sa musique par une note aiguë.
— Tu es trop forte maman, je n'arriverai jamais à jouer comme ça, plaignis-je en me cachant dans ses seins.
— C'est drôle, à ton âge, je disais ça à mon professeur. Et tu sais quoi, je suis plus forte que lui maintenant.
Je relevai la tête pour regarder ma mère qui faisait gargouiller mon ventre. Si maman se disait la même chose à mon âge et que maintenant elle arrivait à jouer les yeux fermés, je pouvais aussi. Ou peut-être.
— Tu commences à comprendre. Il ne faut jamais dire jamais. Du moment où l’on veut, on peut. J'ai un petit secret pour toi.
Elle baisa sa bouche jusqu'à mon oreille et chuchota.
— Si tu travailles de tout ton cœur au piano, tu seras comme un superhéros.
— Et pourquoi ?
— Parce que la musique sauve des vies.
Par la suite, la majorité de mes soirées se passèrent dans cette salle. On pourrait dire que ses charmes m'envoûtaient. Voilà maintenant quatre jours que je créchais en Australie. J'avais eu la chance de vagabonder par ci et là. Marcher sous le ciel bleu et respirer l'air chaud. Goûter des plats délicieux et répugnants. M'émerveiller devant le paysage de Sydney, prendre un bain à la piscine de l'hôtel... Mais une seule chose demeurait dans ma tête. L'ambiance de la grande salle. J'ignorais si l’on m'avait fait un lavage de cerveau ou autre truc de ce genre, mais revenir chaque soir devint une obligation. Ce soir ne dérobait pas à la règle. Je me trouvais à quelques pas de la piste de danse qui lui était à quelques pas de la scène. Cette dernière me rappelait tant de souvenirs. Et les musiques. Quand je les écoutais, mon environnement devenait flou, l'odeur des plats disparaissait. Il n'y avait qu'elles et moi. Comme il fallait commander, je le faisais. Mais la nourriture m'intéressait peu. Seule cette scène source de nombreux rêves d'enfance comptait. Avec ces trompettes, trombone, batterie et ce piano d'un noir luisant. Surtout ce piano.
J'écoutais un énième morceau quand quelqu'un m'interpella. La première chose qui me vint à l'esprit fut : impossible d'être aussi belle. La jeune femme qui se tenait devant moi, dans une robe qui moulait ses formes à des détails près, était trop belle. Elle avait des cheveux noirs qui s'arrêtaient au milieu de son cou. Son visage parfait disposait d'une paire de fins sourcils, d'une paire de grands yeux qui narrait à la perfection le blanc et le noir. Son nez était enfantin et sa bouche pulpeuse, et qui pourtant inspirait des onces de légèreté. Elle devait être délicieuse à sucer. Ainsi que cette peau chocolatée.
Par bonne manière, je me levai pour la saluer.
— Bonsoir.
— Excusez-moi. Vous êtes venu à cet hôtel mardi dernier, pas vrai ?
Un peu perplexe, j'affirmai ses paroles.
— Donc, il n'y a pas d'erreur possible. C'est vous qui m'avez bousculé.
Je ne m'attendais pas à ça.
— Peut-être. Je bouscule pas mal de gens ces temps-ci.
— Par malchance ou par volonté ?
— Par chance. Euh, par malchance. Ouais, malchance.
— Hmmmhmmm.
— Ouais.
— Alors ?
— Alors quoi ?
— Comment ça alors quoi ? Tu bouscules une jeune femme sans défense, deux fois, ce qui a fallu lui faire perdre deux dents. Et elle vient vous voir pour vous partager à quel point elle a souffert. Et vous rester là, à lui mâchouiller des : « Et alors ».
Sa mine contrariée m'embrouillait. Que voulait-elle ?
— Ah, vous vouliez des excuses.
— Bravo, Einstein, brailla-t-elle en haussant ses sourcils.
J'ai toujours eu l'intime conviction que les femmes étaient des Martiennes, ou autres trucs du genre qui expliquerait pourquoi elles étaient... Des femmes. Maman m'influençait sûrement. La regarder qui faisait de la magie avec ses doigts était pour beaucoup. Elles étaient aussi dangereuses, avec leurs yeux chargés de haine quand elles apprenaient que vous l'aviez trompé avec sa meilleure amie. Je pensai, sur le coup, que je devais faire gaffe à cette femme. Pfff !
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À tout prix
RomanceTomber sur une folle amoureuse de votre beau sourire, de vos muscles saillants, de votre parfum et de tas d'autres détails, ça vous tente ? En-tout-cas, c'est ce qui arrive à Apollo Malcolm, en visitant l'Australie. Résultat : Il se réveille dans un...