32

182 11 17
                                    

   Elle hocha la tête, se leva avant de dire qu'elle comprenait ? Voilà bien une surprise.

— Suis-moi ! Un petit film d'horreur ça te dit ?

   Au ton de sa voix, je n'avais pas mon mot à dire. De toute manière, je ne prévoyais rien sinon qu'arpenter cette pièce jusqu'à me fatiguer. Mon corps ne se trouvait pas au pic de sa forme, mais attendre le sommeil sur ce lit comateux ne m'enchantait guère.

— Bien sûr.

— Apporte la couverture, il fait un peu froid.

   On quitta la pièce tout en laissant la porte ouverte, de quoi me rappeler ma destination après son envie. Le salon gardait toujours son charme et les canapés, leurs douceurs. Ce fut un plaisir de m'y laisser tomber tout en m'enroulant dans la laine.

   La lourde responsabilité de choisir le film incomba à Sarah. Un vrai casse-tête à voir à quel point elle réfléchissait en défilant les possibilités. Elle finit par se décider en voyant une affiche qui mettait en vedette une maison hantée, habitée par un jeune couple et vint me retrouver sous ma couette. La flemme... Le film se révéla intéressant, beaucoup plus intéressant quand l'homme creva en étalant ses tripes. Pourquoi dans les films d'horreur, c'étaient le plus souvent les femmes qui survivaient ? À croire qu'elles arrivaient à user de leur charme même en situation paranormale. Le générique défila en essayant de défaire mon parallèle. Un film restait un film. Des scènes montées de toute pièce pour satisfaire le plaisir de savourer les aventures des autres. Et non un moyen qu'utilisait le destin pour passer un message, pas vrai ?

   J'espérais que Sarah finisse par s'endormir sur mon épaule, mais non. Elle ne pouvait pas se permettre de me lâcher des yeux.

   Quand les prémices d'une conversation houleuse se faisaient sentir, ma gorge n'en pouvait plus. Deux jours sans goûter une goutte d'eau. Une "expérience" déplaisante. On se dirigea alors vers la cuisine où elle me servit deux verres remplis, bien gelé. « Vas-y mollo », me conseilla-t-elle alors que je chevauchais mes gorgées. Soulagé, aucun mot ne sortit de ma bouche. Parlant de soulagement, maintenant que mon ventre mimait celui du père Noël, ma vessie ne tenait plus. Après dix-neuf secondes d'évacuation gênantes (à cause de ma garde du corps trop dévouée), je fus obligé de retourner au salon. Et cette fois, sans la moindre excuse pour ne plus supporter Sarah. Il restait la carte de la douche, les couches de sueur laissaient leur empreinte. Néanmoins, jouir sous la douche ne figurait pas dans mes besoins.

— Comme on n’a plus rien à faire, je suppose que c'est l'heure de regagner ma cellule.

— Pas si vite, il y a plein de trucs à faire.

— Si c'est pour écouter tes discours sur l'amour, enferme-moi direct dans ma chambre.

— Non, j'aimerais qu'on parle.

   Le ton employé me laissait rêveur. Dans tout couple normal, cette phrase marchait côte à côte avec embrouille, voir rupture. Si cela se trouve, la lassitude tapait sur ses nerfs et elle commençait à avoir marre de moi. Toutefois, normal restait un mot étranger ici.

— Comme quoi ?

— Ta famille ? J'aimerais bien savoir un peu plus sur tes géniteurs.

   Voici la goutte qui contamina l'ensemble du verre. Pourquoi creusait-elle là où s'inscrivait : DÉFENSE DE CREUSER ?

— Arrête ton charabia. Ma famille ne te regarde pas. D'ailleurs, tu n'aurais jamais dû lire le mail de mon père.

— Eh, j'essaie juste d'être sympa moi. Se défendit-elle. L'une de ses mains plongea dans sa poche pour sortir mon portable. Et puis la lettre m'a rendue curieuse.

— Tu t'entêtes à faire comme si tu ne comprenais pas. Mais c'est faux. Alors, arrête. Et puis ce n'est pas comme si tu espérais le rencontrer.

— Pourquoi pas ?

— Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre. Tu es une kidnappeuse, OK. Et les kidnappeurs ne rencontrent pas la famille des victimes.

   La conversation partait en vrille et l'envie de savoir la fin ne me tentait pas. Un terrain d'entente ? Non, si je voulais sortir d'ici vivant, parlementer ne servirait à rien. Pour elle, tout ça sortait de l'ordinaire.

   Un petit son de mon portable attira notre attention. Si je me fiais à ma mémoire, c'était un message. Mais de qui ? Sarah, curieuse, l'attrapa sur le canapé tout en me lançant des petits regards. Néanmoins, après avoir glissé son droit et effectué quelques clics, ses yeux restèrent fixés sur l'écran d'une manière... Inquiétante. Ses mâchoires se durcirent, sa gorge montait et descendait, sa poitrine prenait et perdait du volume à un rythme infernal. J'arrivais même à entendre sa respiration saccadée qui ennuyait mes oreilles. Mon flair m'alertait, mais mon sang-froid ne m'abandonna pas. Peut-être qu'il attendait lui aussi la suite des événements.

   Elle finit par lever la tête. Une tête défigurée par la colère à un point qu'on dirait deux personnes distinctes.

— Qui est cette femme ? demanda-t-elle d'une voix grinçante.

— Cette femme ?

   Ses mains pressèrent ses tempes tandis qu'elle marmonna des phrases arrivant à mes tympans que par brides. « ... Tous les mêmes... Il me trompe... Envie de l'étrangler... » Elle termina ce numéro de malade mentale brusquement et se mit debout.

— Tu m'as menti. Tu m'as menti. Tu m'as menti.

— De quoi tu parles ? Je ne comprends rien.

   Sans ménager ses forces, elle frappa le portable sur mon buste. J'y découvris un message de Jennifer.

   Salut Apollo. Désolée de ne pas t'avoir donné des nouvelles plus tôt. Mon travail  prend plus de temps que prévu. Mais bientôt, je terminerai tout ça et l’on pourra se voir comme tu m'as supplié. Bisou.

   Bisou ? Quelle manière de terminer un texte. Tout de même, elle me donna le sourire. Pas trop quand même. Il fallait adopter une expression qui montrait mon étonnement. Yeux écarquillés, lèvres entrouvertes et respiration quasi inexistante.

— T'as intérêt à me dire qui est cette pétasse, gronda-t-elle tandis que ses droits tremblaient.

— Pourquoi ? Tu vas la kidnapper aussi ?

— Possible.

   Comprenant peu à peu son état d'esprit, son masque tomba. Jalouse ? Et bien, j'allais être honnête avec le plus malsain des plaisirs...

— Jamais. Cette femme est trop importante pour moi pour te laisser la faire du mal.

À tout prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant