La fille de Kaveh دختر کاوه

Chapitre XXIX : Dozo*

Les yeux fermés, Genrika tentait de deviner où se trouvait son adversaire. Elle tournait la tête, le corps tendu dans l'attente du signal que lui donnerait Shaw. Cet exercice demandait plus de vivacité que quand l'adversaire tapait lui-même dans ses mains indiquant ainsi sa position. Si c'était l'observateur, Shaw en l'occurrence, qui s'en chargeait, elle devait évaluer, la position, la distance à laquelle se trouvait Root et trouver l'attaque la plus rapide. Supporter aussi les critiques, parfois cinglantes, qui ne manqueraient pas de claquer si elle n'avait pas répondu aux attentes de Shaw.

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Root avait eu raison de lui conseiller de ne pas trop se réjouir quand elle avait appris que Shaw serait son prof de sport. Jamais elle n'avait rencontré un entraîneur aussi exigeant. Et aussi qualifié. Shaw se montrait dure et patiente, Genrika apprenait beaucoup en sa compagnie. Les séances du lundi, du mardi et du jeudi s'avérèrent éprouvantes. Par contre, le vendredi finissait agréablement la semaine. Le tir à l'arc la relaxait, Shaw lui laissait plus de liberté et l'activité se pratiquait presque entièrement en autonomie. Et même si Shaw la surveillait et lui donnait des conseils, elle ne se trouvait pas constamment sur son dos, à l'encourager, à la pousser à se dépasser et à la réprimander si son travail ne lui convenait pas. Et puis Root, ce premier vendredi, était venue s'entraîner avec elles et la séance avait tourné à la compétition entre les deux jeunes femmes. Root avait geint en disant que le tir sur cible n'avait rien d'amusant et que les arcs manquaient de maniabilité. Shaw avait ricané en l'accusant de se trouver de fausses excuses. En réponse, Root l'avait défiée de se mesurer à elle en 3D ou sur un terrain de chasse. Shaw avait rétorqué que quand le temps serait venu elle l'écraserait. Root l'avait mise engarde contre son arrogance, lui promettant de cruelles déconvenues. Genrika adorait quand elle s'affrontaient ainsi. Mi-sérieuse, mi-...mi, elle ne savait quoi. Shaw prenait les défis de Root au sérieux, Root s'amusait, mais Genrika pensait que quand le temps de l'affrontement venait, elle se prenait aussi au jeu. Aucune des deux n'accordait facilement la victoire à l'autre.

Les séances de Krav maga avaient conforté Genrika dans cette opinion. La séance du mercredi avait été doublée, puis triplée sur proposition de Shaw, le samedi et le dimanche matin. Elle avait trouvé Genrika agréable et douée. Elle s'ennuyait et considérait qu'il fallait plus d'une séance d'entraînement par semaine pour atteindre un niveau acceptable. Elle avait aussi encouragé Root à se joindre à elles et Genrika ces deux jours-là. Et Root s'était présentée aux trois séances. 

À l'heure.

Genrika avait donc déjà bénéficié de trois cours et put évaluer le niveau des deux jeunes femmes. Root assurait en combat à mains nues, mais Shaw la supplantait largement. Tant que la séance se limitait à un cours, que les places d'élèves et de maître étaient bien définies, tout se déroulait paisiblement. Shaw appréciait les efforts de ses deux élèves et se félicitait de leurs progrès. Mais quand elle décidait, à la fin de chaque cours, de les mettre en condition de combat réel, si avec Genrika elle gardait à l'esprit qu'elle entraînait la jeune fille, avec Root la situation évoluait différemment. En les observant combattre, Genrika s'aperçut que contrairement à ce qu'elle avait pensé au début, c'était Root qui en portait la responsabilité, même si elle avait remarqué que Shaw aimait la provoquer. Root se défendait bien, mais Shaw la surpassait, elle esquivait avec vivacité, plaçait ses coups avec précision et ne se laissait que rarement surprendre. Après s'être fait mettre deux ou trois fois à terre, s'être pris un ou deux coups qui l'avaient arrêtée lors d'une attaque, Root arrêtait de s'entraîner. Elle commençait à combattre. Shaw se prenait un coup vicieux, levait un regard interrogateur sur son adversaire qui lui adressait une grimace moqueuse et profitait de sa distraction pour placer un nouveau coup ou une prise qui envoyait Shaw à terre. Dans ces cas-là, elle l'immobilisait par une clef et accentuait la pression attendant que Shaw tape de la main pour qu'elle la relâchât. Le combat commençait à cet instant précis, beaucoup moins amical. Shaw résistait et Root accentuait sa clef. Shaw renonçait. Se relevait. Root lui souriait d'un air satisfait et Shaw attaquait. La première fois, Genrika eut peur qu'elles fussent réellement fâchées, tant leur lutte lui parut âpre et brutale, même si elles ne portaient pas vraiment les coups. Et puis, elle avait vu qu'elles ne finissaient jamais leur combat. Elle s'arrêtaient avant, juste avant, que cela ne dégénérât en véritable règlement de compte. Shaw donnait le signal, elle abandonnait sa garde et se redressait un doigt dressé devant elle. Root se figeait, la jaugeait du regard. Shaw se tenait immobile une expression dure et menaçante affichée sur le visage. La posture de Root se relâchait et un sourire amical et joyeux se dessinait sur ses lèvres, puis gagnait tout son visage et ses yeux semblaient se remplir d'étincelles. Shaw esquissait une grimace et levait les yeux au ciel. Elle analysait ensuite les différentes phases de leur combat, critiquant les coups que Root avait portés ou pas, ses réactions, la qualité de sa défense et de ses esquives, lui expliquant ses fautes ou ses erreurs. Shaw possédait une qualité qui rendait son enseignement particulièrement appréciable : elle ne se contentait pas de juger son adversaire, si elle-même avait commis une faute, elle la reconnaissait et se jugeait sans indulgence, mais sans se déprécier, comme elle ne dépréciait jamais ses élèves si elles se montraient studieuses et attentives. Elle en profitait aussi pour donner une leçon à Genrika, lui poser des questions sur ce qu'elle avait vu, remarqué, l'obligeant à observer. Root, lors de ce debriefing, lui faisait face les bras croisés adoptant une attitude nonchalante à la limite de l'insolence. Shaw la reprenait parfois, mais ne s'en formalisait pas, elle savait que Root l'écoutait attentivement, car depuis trois semaines qu'elle l'entraînait régulièrement, il était rare qu'elle l'eût surprise à commettre deux fois de suite la même erreur.