La fille de Kaveh دختر کاوه

Chapitre LI : Ce qu'on dévoile et ce qu'on cache

Élisa Brown se rongeait les ongles depuis leur départ. Elle réfléchissait aux derniers événements. Root leur avait dit qu'ils se sépareraient à Amsterdam, qu'elle et Shaw partiraient de leur côté tandis que les deux agents de Terence Beale rentreraient aux États-Unis. Encore bouleversés par la mort de Ian Lepskin, ni Brown ni Muller n'avaient réagi à cette annonce.

Élisa Brown n'avait pas encore digéré ce à quoi elle avait été confrontée à l'hôtel Ashur. Le corps horriblement supplicié, l'aveu de Shaw, sa peine, la détresse que Brown avait ressentie en miroir. Son dégoût pour elle-même, son mépris, sa haine. Et puis, ils avaient fui, elle avait été soignée et ils étaient montés dans le jet.

Depuis, elle se remémorait ses séances avec son médecin, son psychanalyste. Elle s'accrochait désespérément à tout ce qu'il lui avait dit, tout le chemin qu'elle avait parcouru avec lui pour comprendre qu'elle était une victime et non un bourreau. Pour se pardonner.

Elle devait une faveur à Shaw. Élisa Brown lui était entre autre reconnaissante de ne pas l'avoir laissée derrière elle au village de Khalil, de lui avoir promis qu'elle ne la laisserait pas retomber aux mains de ceux qui l'avaient torturée au Nouveau-Mexique, de la tuer de sa propre main avant que cela n'arrivât. Elle se retourna. Root était assise en face de Shaw. Elle les avait entendues échanger quelques paroles au début du vol, mais elles n'avaient plus échangé un mots depuis.

Elle se décida enfin. Il le fallait. Pour elle aussi. Elle se leva et s'assit sans un mot à côté de Root. Le lieutenant surprit son regard, étonné et interrogateur, se poser sur elle. Shaw ne réagit pas. Brown baissa la tête et ne bougea plus.

— Vous voulez que je vous laisse ? proposa Root.

— Non, madame, vous pouvez rester.

Root les regardait alternativement. La réaction de Brown lors des aveux de Shaw l'avait inquiétée. Elle eût voulu savoir ce que la jeune femme ressentait, ce qui l'avait rendue malade, ce que les aveux de Shaw avaient fait remonter à la surface, quels souvenirs ils lui rappelaient.

La présence de Root rassurait Brown, elle lui semblait solide, capable de tout supporter, tout gérer. Si elle ou Shaw tombaient, de les relever. Root représentait la stabilité, la sûreté. Le regard que Brown lui jeta avant de se lancer le lui fit comprendre et celle-ci se demanda ce qui pouvait lui faire croire, leur faire croire, qu'elle avait les épaules assez solides, d'où leur venait la certitude qu'elle était si forte.

— Quand j'étais là-bas, commença Élisa Brown d'une voix sourde et hésitante. Quand je ne savais plus où j'en étais, quand je souffrais trop... Je pensais à mon petit frère, Ethan. Il est beaucoup plus jeune que moi. Je l'aime beaucoup...

Elle fit une longue pause. Root se sentait la bouche sèche, Shaw regardait ses mains posées devant elle.

— C'était mon échappatoire. Quand plus rien ne voulait rien dire, je pensais à Ethan. Je suis née en Floride. C'est moi qui lui ai appris à nager, qui l'ai initié au surf. Petit, il montait sur ma planche et je lui ai offert sa première planche quand il a eu sept ans, juste avant que je rejoigne l'USMC. À chaque permission, nous partions surfer ensemble, à chaque fois il avait tellement fait des progrès... Alors, au Nouveau-Mexique, à chaque fois, quand je sentais que j'allais craquer, que je n'en pouvais plus, que je ne me reconnaissais même plus, je partais avec lui. Je l'appelais joyeusement. Nous partions ensemble, notre planche sous le bras, on se lançait dans les vagues, on allait chercher les plus belles, les plus grosses. On surfait la vague ensemble. J'étais tellement heureuse... Et ensuite, quand le soleil descendait, on plantait nos planches dans le sable et on marchait ensemble sur la plage, il me racontait ses histoires du collège, je lui racontais ma vie à l'USMC. Je m'évadais. Les tortures, les simulations, la honte, le dégoût, la souffrance, la peur, plus rien n'avait de prise sur moi. Mais...