Chapitre 4 : Complications

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Nous nous fixons en silence, aucun de nous deux semblant vouloir céder le premier.

Parce que, pour ma part, je refuse de lui faire ne serait-ce qu'entrevoir la fragilité qu'il vient de provoquer en moi.

Il en est hors de question, cela ne ferait que l'encourager à continuer dans cette voie.

Je me redresse donc sur ma chaise, ignorant toutes les douleurs qui parcourent mon corps, et hausse le menton.

J'incline ma tête sur le côté et fronce des sourcils, mimant la réflexion.

En fait, je crois plutôt que c'est grâce à notre séparation. Je ne sais pas si tu te rappelles, mais je t'-

Oui, je me rappelle très bien, dit-il, sa mâchoire crispée m'étant à peine perceptible.

Seulement, je le connais trop bien pour ne pas la remarquer.

Tout comme ses poings qui veulent se fermer, le pincement de ses lèvres qui menace de le trahir et le froissement, bien que minime, de ses traits.

Je n'ai même plus besoin de fournir les efforts que j'effectuais autrefois pour tenter de le lire, c'est quelque chose qui se fait désormais de manière automatique.

Je me souviens de chaque mot que tu m'aies adressé ou non ce jour-là, poursuit-il tout en s'avançant lentement vers moi, ne me quittant pas du regard. Je me rappelle ce que tu portais, comment tu étais coiffée, de tout. Je n'ai rien oublié. Comment aurais-je seulement pu ? Mais la vraie question est, est-ce que toi tu l'as fait ?

Il s'arrête devant ma chaise, me forçant ainsi à lever la tête pour soutenir ses prunelles sombres.

Ai-je oublié ?

Jamais je ne le pourrai.

Pas avec l'histoire que nous avons eue, ni avec toutes les joies et peines que nous avons partagées.

C'est impossible.

Et, à moins que cela ne serve mes intérêts, je ne compte pas le lui dire.

J'humidifie mes lèvres sèches et gercées, réfléchissant à ce que je pourrais bien lui rétorquer.

J'aperçois alors ses iris quitter les miens, se posant sur ma bouche.

Cela ne doit durer qu'une seconde, un instant, tout au plus.

Néanmoins, j'ai l'impression qu'il l'a fixée pendant une éternité, que nous sommes remontés dans le temps.

Parce que c'est ce qu'il faisait autrefois.

C'est ce qu'il faisait lors de nos débuts, lorsqu'il voulait m'embrasser, lorsqu'il avait envie de moi.

Des sentiments que j'avais enfoui depuis longtemps remontent à la surface, rouvrant d'anciennes plaies.

Ils virevoltent, s'entremêlent, forment une danse que je croyais avoir fait trépasser il y a de ça de nombreuses années.

Mais, qu'apparemment, je n'ai pas su faire cesser complètement.

Émotions contradictoires m'embrouille l'esprit, douleur ressurgit dans mon cœur.

Je le dévisage, semblant incapable de faire autre chose.

Mes yeux sont scotchés sur sa personne, souhaitant désespérément savoir s'il ne cherche qu'à me provoquer.

Parce que sinon, je suis dans de sales draps.

Il ne peut pas encore m'aimer malgré toutes ces années passées.

C'est impossible.

Je le lui interdit.

Certains pourrais considérer cela comme un avantage, un énorme même.

Pourtant, je ne le perçois pas ainsi.

Oh, ça non.

Je le vois plutôt comme une malédiction, comme le retour d'un cercle vicieux qui refuse de prendre fin, alors que je fais tout pour m'en débarrasser.

Il revient, un peu moins de 10 ans plus tard, remettant sens dessus dessous ma vie, exactement de la même manière qu'autrefois.

À une exception près.

Parce qu'aujourd'hui, je ne suis plus la gamine écervelée que j'étais devenue sous le poids de notre amour.

Je suis à présent une femme délaissée de ce fardeau, qui a su retrouver son bon sens et ses bonnes vieilles habitudes.

Je suis une femme changée, qui en a marre de devoir se cacher, qui ne demande qu'à pouvoir poursuivre son existence loin de tout ce monde dangereux et illégal qu'elle a souhaité quitter définitivement.

Même si je sais que l'on ne peut jamais réellement se détacher de ce sombre univers, c'est ce que je souhaite du plus profond de mon âme.

Je déglutis difficilement, tentant de conserver mon calme et de contenir mes émotions.

Mon esprit se met aussitôt en action, échafaudant un plan qui saura peut-être me faire sortir vivante de toute cette histoire.

J'en trouve rapidement un et change progressivement d'expression, le mettant dès lors en marche.

Je laisse apparaitre une vulnérabilité sur mes traits qui, si je ne fais pas fausse route quant aux sentiments qu'il me porte, ne le laissera pas indifférent.

Parce qu'il sait que je ne me montre faible devant personne, et cela, encore aujourd'hui.

Qu'est-ce que tu ferais si je te disais que non ? Cela changerait-il vraiment quelque chose ? demandais-je d'une petite voix.

Il demeure muet pendant un long moment, si bien que je commence à croire qu'il ne me répondra jamais.

Ou qu'il s'en fiche.

Il se met à me tourner le dos pour se diriger vers la porte, l'espoir en moi diminuant à chaque pas supplémentaire qui l'éloigne de ma personne.

Il s'arrête cependant devant le grand rectangle en fer, une main sur la poignée, et se tourne à demi en direction de ma chaise.

Sois sage, nous nous reverrons bien assez tôt, *watashi no hageshī ōjo .

Mon cœur rate un battement à l'entente de ce surnom, un surnom que je n'ai pas entendu depuis une époque longtemps révolue, un surnom que lui seul me donnait.

Watashi no utsukushī ōjo.

Voilà comment il m'appelait, le petit nom qu'il m'avait trouvé.

Il considérait qu'il m'allait bien, qu'il me ressemblait.

Cela a pris du temps, mais j'ai fini par m'y faire.

À l'apprécier même.

Il l'utilisait souvent, presque tout le temps, à vrai dire.

Un mélange de ma personnalité, de moi et de sa langue natale.

Ma féroce Princesse.

Voilà ce qu'il signifiait.

Je l'observe partir sans un mot, mes yeux demeurant longuement rivés sur la porte par laquelle il est disparu.

Mon cerveau me ramène de vieux souvenirs en mémoires, me torture avec des choses que j'ai tout fait pour oublier.

Sans succès.

Peut-être l'ai-je fixée ainsi quelques minutes ou quelques heures, je n'en sais rien.

Mais ce que je sais, c'est qu'à présent, tout vient de se compliquer.

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*watashi no hageshī ōjo : ma féroce princesse

Secret d'État 2 (En pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant