Le trône des héritières

prologue suite

Neuf ans plus tard

Enée était témoin du regard de Jairus un peu plus tendre chaque année. Elle avait supplié Theron de lever le sort mais il ne voulait rien entendre. Le temps commençait à presser. Elle devait éliminer la complicité naissante entre Pénélope et son frère avant qu'il ne soit trop tard.

Les héritiers ne s'étaient pas revus depuis une année et allaient de nouveaux être réunis ce soir. Ils grandissaient, et devaient réapprendre à se connaitre les uns les autres. Le soleil se couchait. Le peuple se réanimait après une longue journée de labeurs pour célébrer les mois de paix qui perduraient. C'était au tour de Légencre d'être le berceau des réjouissances.

Quand les invités furent au complet, la soirée débuta. Si les Narrateurs n'avaient aucun problème pour engager la conversation, ce n'était pas le cas des héritiers que l'âge rendaient plus hésitants. Ils se toisaient comme des inconnus. Dans un premier temps, ils gardèrent le silence, installés dans un fauteuil rouge dont les accoudoir étaient décorés de moulures dorées. Ils entendaient, malgré eux, les conversations inintéressantes de leurs parents attablés à quelques mètres.

Un petit serviteur au nez allongé s'avança pour leur proposer des mises en bouche avant que le banquet ne commence. Il était suivi par deux cuisinières qui déposèrent un panel de nourriture comme des tranches de pains garnis de viande et des petits potages qui sentaient le champignon. Enée n'écoutait pas la description qu'on leur en faisait. Elle fixait Pénélope, perdue dans ses pensées. Le désordre de voix entremêlés des Narrateurs s'élevait jusqu'au plafond. Le père de Nova fit signe aux musiciens de commencer, si bien qu'un air entrainant s'ajoutait au vacarme ambiant.

Enée reporta son attention sur Pénélope. La jeune femme semblait préoccupée sous son air suffisant. Ses cheveux brillaient toujours autant du même éclat crépusculaire qu'on pouvait retrouver dans son regard. Enée n'était pas dupe, il serait difficile pour un jeune homme de résister à l'héritière d'Encrion.

─ Eh bien, servez-vous ! commença Nova.

Nova était sans doute celle qui avait le plus changé au niveau de son style. Elle adorait la mode et ses robes étaient chaque année plus extravagantes. Elle portait un corset et un jupon bouffant couleur crème. Il ne manquait pas de tulle, de dentelle, ni de paillettes. Elle avait aussi des bagues qu'on surnommait "griffes d'Encran" sur chaque doigts. La couleur doré se mariait si bien avec sa peau foncée.

─ Merci, fit Jairus, en enfournant un morceau de pain dans sa bouche. C'est délicieux.

─ C'est de la viande de quoi ? s'intéressa Lavinia.

─ De boeuf, répondit Bram.

Belladonna et Griselda étaient attablées avec leurs parents. Theron aussi.

Pénélope prit l'initiative de ne pas tourner autour du pot :

─ Où se trouve le plateau du trône d'Encran ?

Elle s'adressait à Nova et à son frère.

─ J'attendais que quelqu'un me pose la question. Je ne suis pas surprise que ce soit toi, répondit Nova avec fierté. Suivez-moi.

Elles s'étaient toujours bien entendues.

Les héritiers obéirent à la maitresse de maison talonnée par Bram. Lavinia prit un morceau de pain avant de se lever. Enée laissa passer Pénélope qui ne semblait pas faire attention à elle. Tous les six empruntèrent un immense escalier en colimaçon, puis se laissèrent guider à travers d'immenses couloirs dont les tapisseries ne manquaient pas de motifs somptueux. Nova s'arrêta finalement devant une des portes et l'ouvrit pour les laisser entrer. Il s'agissait vraisemblablement de la bibliothèque du château. Cette fois-ci les murs étaient tapissés de milliers d'ouvrages poussiéreux, certains possédaient des dorures.