chapitre 50

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Les couturières tourbillonnaient autour d'Enée pour l'aider à enfiler la tenue qu'elle avait demandé pendant qu'Elettra s'occupait de ses cheveux. Elle dut lever les bras, baisser les épaules, lever une jambe pour qu'on lui lace ses bottes blanches, puis la seconde. Le corset la maintenait droite. Elle se forçait à garder l'équilibre.

Enfin, elle put admirer le résultat dans le miroir ovale aux contours usés. Il ne restait plus que la femme de chambre qui retouchait ses boucles rebondies en tressant certaines mèches sur les côtés pour les rassembler à l'arrière pour former une couronne.

─ Cette coiffure te va à ravir !

Elettra étudiait le reflet de l'héritière dans le miroir.

─ Merci, répondit simplement Enée.

Elle prit la paire d'aile pour la fixer à l'emplacement prévu par les couturières puis vérifia plusieurs fois qu'elles ne se décolleraient pas au premier coup de vent.

Les chars étaient alignés devant le château juste avant la ligne de départ. Chacun d'eux était décoré aux couleurs de sa Maison. Le vice était poussé jusqu'aux cheveux qui arboraient tous un détail assorti à la tenue de leur cavalière. Enée fut surprise de découvrir qu'on avait doté Parodos d'une paire d'ailes similaire à la sienne. Si cet accessoire ne la gênait pas plus que ça, elle doutait que Parodos soit du même avis. C'était lui qui allait courir. Elle descendit du char pour lui retirer ses plumes. Une costumière vint se scandaliser mais Enée resta sur ses positions. Elle soupira quand on voix fluette lui parvint :

─ Qu'est-ce qu'ils ont tous avec les corsets ? se plaignait-elle. J'arrive à peine à respirer.

Enée pencha la tête sur le côté pour mieux distinguer cette mystérieuse concurrente qui se tenait dans le char voisin. L'inconnue semblait nerveuse mais déterminée.

─ Peut-être qu'ils aiment que les demoiselles aient le souffle coupé sans qu'ils n'aient à faire le moindre effort, répondit Enée.

La jeune femme écarquilla les yeux, surprise, mais pas impressionnée.

─ Qui êtes-vous ? tenta Enée maintenant qu'elle avait obtenu son attention.

La compétition était réservée aux héritières. Avaient-ils invité des membres de la cour à participer ? Ce ne serait pas très logique. Enée jeta un œil aux chars alignés. Il y en avait six. Un par héritière. Et un septième pour cette inconnue. La jeune femme affichait un air de défi tout en toisant les ailes accrochées dans le dos d'Enée. Celle-ci détournait le regard pour essayer de se concentrer. Pénélope avait opté pour une armure ocre entrecoupée par une chemise bordeaux rentrée dans un pantalon lui-même fourré dans des hautes bottes. Son casque était assorti à son plastron tandis que la cape rappelait la chemise comme si elles étaient cousues ensemble. Enée commençait à regretter son choix, elle n'avait vraiment pas choisi la sécurité. Même la robe de Belladonna était confectionnée avec quelques morceaux de cuir plus épais à certains endroits.

Enée empoigna les rênes en appréhendant le top départ tandis que les ovations de la foule s'intensifiaient. Une rangée de Bardes était prête à les suivre. Son cœur tambourinait. Ses mains devenaient moites et glissantes. Elle s'accrochait si fort que ses ongles meurtrissaient ses paumes. Le Narrateur annonça le départ. Enée passait les premières secondes à calmer son esprit le temps de s'habituer à la vitesse. Parodos devait avoir hâte que tout cela cesse puisqu'il n'était jamais allé aussi vite de toute sa vie. Enée l'encourageait du mieux qu'elle pouvait malgré son corps tremblant. Le parcours serpentait à travers de la capitale. Enée se ressaisit, redressa sa posture, et regardait droit devant. Les côtés n'étaient qu'un flou de paysages de rues, de balcons, de linges suspendus, et d'habitants surexcités. Deux autres chars étaient au même niveau qu'Enée. Il y avait encore deux chars derrière se disputant la place et deux qui se suivaient juste après.

Enée s'ancrait aussi fort qu'elle le put sur la plateforme comme si elle pouvait dégringoler à tout moment. Le char accoler au sien était celui de l'inconnue. Elle serra les dents quand celle-ci la doublait. Elle se retrouvait côte à côte avec Belladonna, aussitôt rejointe par Griselda. Leurs roues se frôlèrent, et la secousse les ralentit ce qui donnait à Enée l'occasion de passer devant.

Parodos prit un virage sans ralentir ce qui manqua de la renverser. Elle reprit contenance en s'accrochant à la barre de métal en plus de serrer les rênes. Les applaudissements claquaient sur son passage dans un soulèvement de poussières. Elle dégagea une mèche de cheveux qui lui barrait la vue et se rapprochait de plus en plus du char de l'inconnue qui régnait en première position.

Belladonna bataillait désormais avec Nova, elle-même rattrapée par Lavinia. Pénélope parvint à la hauteur d'Enée. Celle-ci ne l'avait pas vu arriver. Les Encrioniens clamaient le prénom de leur favorite dans une confusion de sons que la vitesse déformait. Enée avait pu déceler des syllabes qui ressemblaient au sien même si elle était persuadée de se tromper. Pourtant, elle avait envie d'y croire. Après tout, c'était ainsi que commençaient les histoires. Enée et Pénélope parcoururent plusieurs allées côte à côte mais la mystérieuse candidate commençait à prendre trop d'avance. Il fallait la rattraper.

Pénélope doubla Enée, et Lavinia prit sa place. Mais Parodos accéléra. Le sol particulièrement grumeleux à cet endroit provoquait des secousses de plus en plus proches les unes des autres. Enée dut s'agripper avec encore plus de fermeté. Elle était certaine que ses paumes saignaient mais elle ne pourrait le vérifier qu'à l'arrivée.

Peu importe, elle n'était pas arrivée à mi-chemin du tournoi, gravit neuf sommets, pour laisser une inconnue venir comme une fleur décrocher la victoire. Etait-elle là, comme un obstacle, servant à décupler la motivation des héritières ? Ce ne serait pas étonnant venant de la part des Narrateurs. Surtout qu'elle était très forte et semblait entraînée à cet exercice en particulier. Elle était trop à l'aise pour que ce soit spontané.

Enée se retrouva juste derrière le char de l'étrangère. Elle vit aussi le château dissimulé derrière quelques édifices ce qui signifiait que le point de départ, qui était aussi la ligne d'arrivée, se rapprochait dangereusement. Il fallait qu'elle passe devant. Il fallait qu'elle lui arrache la première place. Mais celle-ci semblait s'éloignée à mesure qu'Enée avançait. Le jeu était injuste. Les chevaux des héritières marchaient et galopaient depuis des jours. La fatigue ne leur permettait pas d'aller aussi vite qu'ils le pouvaient.

Désormais les chars se suivaient de très près. Mais l'écart entre Enée et l'inconnue ne diminuait toujours pas. Elle n'avait plus qu'une ligne droite pour y remédier. Elle encouragea Parodos à accélérer. Le cheval obéit. Le char d'Enée n'était plus qu'à quelques centimètres de celui de l'inconnue jusqu'à se retrouver à sa hauteur. Celle-ci ne lui accorda même pas un regard. Elle dévoila ses dents en apercevant la ligne d'arrivée. Enée grimaça en maintenant son effort. Elle était sur le point de dépasser légèrement la candidate quand une pierre fit chanceler son char assez violemment pour qu'il se renverse et qu'elle soit projetée au sol en quelques secondes. Le choc avait immédiatement chassé la peur mais pas la douleur.

L'inconnue venait de passer la ligne dans une ovation atténuée par le sort d'Enée.

Elle se releva avec les genoux et les paumes écorchées. Peut-être la joue droite aussi, elle n'en était pas sûre mais en éprouvait la brûlure.

Plusieurs personnes s'étaient précipitées sur Enée pour l'aider dont Pénélope qui avait totalement abandonnée la course. Les autres héritières ne prirent pas la peine non plus de passer la ligne. De toutes façons le char était en travers du passage. L'inconnue, qui s'était rendue compte de l'incident trop tard, les rejoint pour proposer son aide. Même de cette façon, elle dégageait une nonchalance naturelle. Beaucoup plus profonde que celle de Griselda. Enée ne parlait pas. Sa robe et ses ailes complètement déchirées, elle se laissa guider jusqu'à l'intérieur du château où l'on pourrait panser ses blessures.

Elle avait la sensation d'avoir gâché le spectacle et surtout d'avoir déçu le public. Ces pensées étaient plus douloureuses que son corps. On la fit remonter dans sa chambre et s'allonger. Les soins lui étaient prodigués en vitesse. Il n'y avait rien d'inquiétant, rien de cassé. Elle serait vite remise quand elle aurait retrouvé ses esprits. C'était ce que les femmes de chambres disaient en tournant autour de son lit et en pressant des tissus imbibés d'alcool là où sa peau était ouverte. Elle serrait la mâchoire pour qu'on ne remarque pas la douleur qui l'assaillait à chaque fois. Elle eut le temps de faire une sieste de quelques heures avant qu'Elettra ne la réveille, d'abord pour rendre compte de son état, et ensuite pour lui annoncer qu'elle devait la préparer pour le bal.

Le trône des héritièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant