Enée se laissa guider par les voix familières pour rejoindre le groupe sans s'y mêler. Seule Lavinia lui offrit un regard interrogateur assorti d'un sourcil levé. Certaines semblaient suivre une piste. Pourtant, il n'y avait qu'une étendue d'herbe avec un sillon de terre séchée en guise de chemin. Rien d'autre à faire qu'avancer. Parodos rejoignit sa cavalière comme s'ils étaient les meilleurs amis du monde. Ce cheval était lunatique. Enée était fatiguée par la marche alors elle ne réfléchit pas davantage avant de grimper sur son dos.
Belladonna et Nova fixaient quelque chose en hauteur, pourtant il n'y avait rien.
Fallait-il trouver quelque chose d'invisible ?
C'était tout à fait possible dans cet endroit.
Enée sentait qu'il y avait quelque chose à deviner et qu'elle n'en était pas loin. C'était la même sensation que d'avoir un mot au bout de la langue.
D'après les histoires qu'elle avait entendues sur le Mont Hélicon, les choses apparaissaient uniquement lorsque vous les imaginiez pour disparaître de nouveau une fois que vous aviez obtenu ce que vous cherchiez.
Mais ça ne fonctionnait pas avec n'importe quoi. Il fallait que la chose en question existe. On racontait aussi que certains Bardes, qui avaient effectués le pèlerinage par le passé, avaient réussi, en imaginant tous la même chose, à créer un édifice qui n'avait encore jamais existé. Il s'agissait d'un phénomène très rare, et lorsque cela se produisait, l'édifice crée devenait un lieu sacré.
─ Il n'y a rien du tout ! s'impatienta Griselda.
Enée perdit le fil de ses pensées.
─ Chuuut, la réprimanda sa sœur. Je me concentre.
Lavinia rejoignit les deux héritières pour fixer l'horizon à son tour.
Griselda s'insurgea contre l'absurdité de la situation tout en discutant avec les élèves.
Enée se remit en tête quelques histoires d'amour dans lesquelles elle pourrait puiser des indices. Après tout, elle était au cœur même des Terres Encraniennes, là où les histoires naissaient.
Comment commençaient toutes les histoires d'amour ? Par une rencontre. Et si le mécanisme du tournoi fonctionnait avec une trame similaire ?
Il n'y avait rien d'autre à faire qu'essayer. Dans ce vaste espace, que seul l'imagination pouvait combler.
Enée sentit ses idées tournoyer autour d'elle. Fallait-il qu'elle se rappelle leur première rencontre ? Non, il fallait romancer. Il fallait inventer.
Tout à coup, cette idée lui parut absurde.
Lavinia, Belladonna et Nova semblaient voir la même chose.
Or, il était presque impossible d'imaginer la même chose sans se concerter.
Peut-être devrait-elle leur poser la question.
─ Allez, fit-elle à Parodos.
Celui-ci avança à hauteur des héritières.
Enée descendit pour essayer de comprendre mais à peine elle leva le menton qu'un impressionnant temple lui fit face. Elle recula d'un pas.
─ Tu as cru qu'il pouvait y avoir quelque chose ici, ça a suffit pour qu'il se dévoile, ne put s'empêcher d'expliquer Lavinia.
Enée acquiesça, satisfaite.
─ On ne peut pas entrer ?
─ Je pense qu'il faut qu'on parte toutes en même temps mais Griselda n'est pas encore là, râla Belladonna.
Les Bardes se tenaient juste derrière.
Finalement, Griselda se joignit aux héritières, et l'immense porte s'ouvrit lentement comme un gouffre prêt à tout engloutir.
Les héritières s'engouffrèrent à l'intérieur d'un pas déterminé. Belladonna espérait que ses Bardes avaient choisis des mots assez forts en guise de description. Elle replaça ses cheveux en arrière avant d'analyser l'endroit. Il faisait sombre, si bien qu'il était impossible de distinguer le fond sans s'en approcher.
Enée s'attarda sur les moulures en forme de lyres entourées par les gravures en forme de roses et les cannelures de myrtes. Cela suffisait à penser qu'il s'agissait du temple d'Erato.
Il y avait comme un chant lyrique emprisonné entre les murs. Pourtant c'était silencieux. Enée tressaillit. Ce n'était pas désagréable, mais pas si agréable non plus. Elle avait la sensation qu'il fallait résister à un envoutement. Elle décida d'avancer. Lavinia était déjà en train d'explorer plus loin et il ne fallait pas oublier qu'il s'agissait d'une course.
Nova avançait par petits pas sans pour autant montrer une quelconque hésitation. Belladonna ne s'éloignait jamais de ses Bardes, soucieuse qu'ils capturent chacune de ses mimiques. Et Griselda marchait comme si elle cherchait une taverne dans laquelle tout oublier.
Les Bardes écrivaient en ne levant la tête que lorsqu'ils étaient sur le point de se prendre une colonne en pleine face pendant que les élèves attendaient toujours à l'extérieur.
Enée pressa le pas mais le fond du temple semblait encore loin. Peut-être se retrouverait-elle face à un simple mur. Peut-être que le couloir était sans fin, et que la réponse était encore une fois sous leurs yeux.
Mais elle avança, encore, tout en réfléchissant.
Elle était dans le temple de la Muse des sentiments exaltés.
Elle releva la tête avant de s'arrêter brusquement.
Pénélope était assise sur un trône en pierre façonné avec les mêmes ornements que le reste. Ses poignets étaient attachés aux accoudoirs par des chaines dorées. Elle semblait endormie. Harper et Jehona attendaient, plume en main, de chaque côté.
Enée les jaugea, mais leur expression demeura neutre.
Elle comprit ce qu'on attendait d'elle en même temps qu'une sueur froide lui traversa le dos. Elle resta là, à dévisager l'héritière, tout en sachant ce qu'il fallait faire mais sans oser. La jeune femme priait pour qu'une autre héritière comprenne afin d'ouvrir la voie. C'était trop difficile de se lancer la première. Comment faire une déclaration d'amour en étant sincère ?
Enée devina que celle qui parviendrait à faire la meilleure déclaration remporterait l'épreuve. Elle eut le temps de se dire une centaine de fois que cette idée était absurde, et que les autres étaient sur la bonne voie. Pourtant elle ne parvenait pas à élaborer ne serait-ce que le début d'une autre piste.
Elle observait, assise contre une colonne, les héritières tourner en rond. Il n'y avait rien à fouiller, rien à trouver. Pas de vieux manuscrit expliquant les règles à suivre, caché dans l'entaille d'une pierre fendue, ce serait trop simple. Il n'y avait rien que des murs. Lavinia s'approcha de Pénélope, elle hésita une seconde avant de fouiller sous les tissus de sa tenue mais elle n'en ressortit rien.
Enée désespéra. Elle attendait, mais aucune ne semblait avoir la même idée qu'elle. Soit elle devait commencer, soit elles sortiraient d'ici quand la prochaine génération d'héritiers sera née.
Elle se plaça face à Pénélope, l'obscurité dessinait des ombres sur son visage.
Enée fit le vide dans son esprit en s'accordant qu'elle était folle.
Elle se rappela les histoires d'amour qui appartenaient à Erato, et posa un genou au sol et releva la tête face à la princesse.
Harper et Jehona avaient enfin de quoi écrire. Enée chercha dans leur attitude un peu d'encouragement, en vain.
Sa détermination était intacte, pourtant aucun mot ne franchit ses lèvres. Elle se releva en secouant la tête avant de faire les cent pas.
Pourtant, Lavinia l'imita. Elle se plaça aussitôt face à l'héritière avant de s'agenouiller pour déclarer sa flamme. Sa voix résonna dans le temple, et les autres l'encerclèrent en commençant à comprendre les règles du jeu.
Enée écarquilla les yeux en regrettant, sans se l'avouer, de ne pas êtrela première à passer.
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Le trône des héritières
FantasyLe roi doit contrer une menace en donnant la main de sa fille à un héritier. Mais les héritiers sont tués. Il ne reste plus que les héritières.